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Pourquoi l’homophobie se radicalise au Sénégal : Le rôle de la France pour faire libérer neuf homosexuels pointé du doigt

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Pourquoi l’homophobie se radicalise au Sénégal : Le rôle de la France pour faire libérer neuf homosexuels pointé du doigt

La libération de neuf homosexuels sénégalais le 20 avril suscite bien des remous. Les leaders religieux dénoncent l’ingérence de la France dans ce dossier. Plus généralement, reprochent à la communauté internationale de faire pression pour que le pays de la Teranga dépénalise l’homosexualité.

Les « neuf homosexuels de Mbao », coupables d’être libres ? Ces militants de la lutte contre le sida chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) ont retrouvé la liberté le 20 avril. Ils avaient été condamnés en janvier à huit ans de prison pour « comportement impudique et contre-nature et association de malfaiteurs », mais la cour d’appel de Dakar a annulé le jugement pour vice de procédure.

Depuis, les homosexuels se cachent pour échapper à la vindicte populaire. L’homosexualité est un crime passible de cinq ans de prison au Sénégal, pays à 95% musulman, et nombreux sont ceux qui voulaient voir le groupe purger intégralement sa peine. Du coup, la colère gronde. Une colère que beaucoup justifient en se basant sur le Coran qui prohibe, selon eux, les relations entre personnes de même sexe.

Chez certains, cependant, le courroux a également des racines patriotique et culturelle. Car si la cour d’appel a expliqué sa décision par le vice de procédure, eux estiment que la justice sénégalaise a ployé sous les pressions étrangères.

Plusieurs organisations de défense des droits humains et des droits des gays, lesbiennes, bisexuels et transsexuels (LGBT) avaient appelé à la libération des prisonniers. Le président français avait quant à lui fait part, le 14 janvier, de son « émotion » et de sa « préoccupation ». La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot-Narquin, avait de son côté exhorté son homologue des Affaires Etrangères, Bernard Kouchner, à « obtenir la libération des neuf homosexuels emprisonnés au Sénégal ».

« Restez à l’écart, laissez-nous faire »

A l’époque, ces déclarations avaient été vivement critiquées par des leaders religieux musulmans, qui dénonçaient une ingérence de l’ancienne puissance coloniale.

Craignant que la situation s’envenime, un comité national d’associations sénégalaises formé pour aider les neuf homosexuels avait appelé l’Hexagone et les organisations étrangères à la retenue. « On leur a dit : "Restez à l’écart, ne réagissez pas, laissez-nous faire", mais ils se sont entêtés », confie à Afrik le responsable d’une organisation non gouvernementale (ONG) travaillant avec les HSH.

S’exprimant sous couvert d’anonymat pour « raisons de sécurité », il poursuit : « Nous étions dans une logique de dialogue satisfaisante avec les religieux. Mais il y a eu une pression extérieure, le fait de présenter l’affaire sous l’angle des droits humains et non de la santé, sans compter le Discours de Dakar [de Nicolas Sarkozy] qui n’est pas passé… Les Sénégalais se sont sentis agressés. Ils avaient le sentiment qu’on voulait leur imposer l’homosexualité. Tout ça a aggravé la situation. »

A tel point qu’une frange de la population du Sénégal, pays généralement présenté comme tolérant vis-à-vis de l’homosexualité, s’est radicalisée. En témoigne la création, le 29 avril, d’un Front islamique pour la défense des valeurs éthiques, regroupant une vingtaine d’associations et de chefs religieux.

« Conspiration contre les valeurs religieuses »

« Depuis quelques temps, la tension couve au Sénégal et oppose les défenseurs des valeurs éthiques aux homosexuels, à certains soi-disant organisations des droits de l’Homme et aux lobbies tapis dans l’ombre », s’insurge le Front dans une déclaration. Le texte ajoute que « ces lobbies ont ourdi une conspiration dangereuse contre les valeurs religieuses en général et contre l’islam en particulier ».

Le Front s’emporte aussi contre « l’appel pour la dépénalisation de l’homosexualité » lancé le 18 décembre dernier par 66 pays lors de l’assemblée générale des Nations Unies, à New York (Etats-Unis). Là encore, des « lobbies » sont pointés du doigt. Ils « se livrent à la recherche effrénée d’un "quorum" pour permettre à l’ONU d’avaliser une convention portant sur la "dépénalisation universelle de l’homosexualité". (…) L’objectif de ces lobbies est de faire signer la convention à 38 pays africains, dont le Sénégal, pour légaliser ces pratiques contre-nature ».

L’Association des élèves et étudiants musulmans du Sénégal (AEEMS), pour qui l’acte homosexuel est « pervers et dangereux pour la santé physique et mentale », s’en prend quant à elle directement à la France. « Le dernier scandale en date est la tentative d’érection de ce comportement anti-valeur (l’homosexualité, ndlr) en valeur par la libération des neuf homosexuels soutenus par la France. Cette libération (…) constitue à notre sens une jurisprudence qui cautionne de manière tacite l’homosexualité et nous laisse sceptique quant à l’indépendance de la justice de notre pays », s’indigne sa section étudiante.

Enfin, l’AEEMS appelle à « une guerre sans merci aux homosexuels » et à ceux qui les soutiennent. Des propos qui rappellent ceux tenus après la libération d’homosexuels accusés d’avoir assisté à un prétendu mariage gay. Des photos avaient été publiées fin janvier 2008 dans le magazine people Icône, conduisant à l’arrestation de plusieurs personnes, qui auraient été relâchées suite à des pressions. Les religieux avaient alors vu rouge et publiquement appelé à tuer les homosexuels.

Appel à tuer les homos

Un message que le Front semble avoir fait sien. Sa déclaration mentionne que « le prophète a dit : "Si vous trouvez les gens en train de pratiquer les pratiques du peuple de Loth, tuez-les". Ces paroles d’Allah et Hadiths du prophète nous obligent à réagir contre toutes attaques de l’Islam, d’où qu’elles viennent ».

Le discours de Mamadou Lamine Diop, l’imam de Guédiawaye (banlieue de Dakar), est dans la même veine : les homosexuels « sont des gens qui méritent d’être mis au ban de la société quitte même, s’ils refusent de le faire, à ce qu’ils rejoignent le silence des cimetières, (…) qu’ils soient tout simplement éliminés de la vie ».

Résultat, on rapporte plusieurs violences homophobes. Un gay a notamment été exhumé deux fois le 1er mai dans un cimetière musulman de Thiès. Motif : les habitants ne voulaient pas qu’il repose auprès de leurs disparus. « La famille [du défunt], dont la dépouille mortelle a été traînée et jetée devant la maison, a été obligée à procéder à l’enterrement (…) dans la cour de la maison », raconte le site d’information sénégalais galsentv.com.

Le directeur du plaidoyer et de la recherche en Afrique à la Commission internationale pour les droits des gays et lesbiennes (IGLHRC) souligne que ce n’est pas la première fois que des homosexuels sont ainsi arrachés à leur dernière demeure. Si Joël Nana blâme les discours des religieux, il reproche aux « autorités locales et nationales de croire que ces personnes doivent être déterrées, puisqu’ils ne font rien. Il y a du laissez-allez ».

Les homosexuels bouc-émissaires ?

Comment expliquer que la population qui tolérait l’homosexualité devienne si agressive ? « Avec la crise économique, les Sénégalais trouvent refuge dans l’islam, mais la plupart ne lit pas le Coran. Et comme les leaders religieux s’expriment à la radio, à la télévision et sur les chaînes - les canaux d’informations que le peuple utilise - ils font passer les messages qu’ils veulent. Il y a une désinformation », analyse Joël Nana.

Le responsable de l’ONG de lutte contre le sida estime également que la crise pousse la population du Sénégal, comme celle des autres pays, à chercher un « bouc-émissaire, un éxutoire au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes. Il y a une sorte de transfert, de manipulation ». Il ajoute que les articles et émissions homophobes n’arrangent rien, et que la récente interview d’un homosexuel sénégalais exilé aux Etats-Unis a « mis de l’huile sur le feu parce que les Sénégalais se sont sentis nargués ».

Il appelle donc à une communication « intelligente » pour préserver les intérêts de tous les citoyens. A cet effet, le comité national auquel il appartient a repris le dialogue avec les chefs religieux. « Avant, indique-t-il, il y avait une radicalisation ferme, mais maintenant certains disent qu’il faut éviter les dérives ».

Le responsable se montre confiant : « Le processus de dialogue est assez bien engagé. D’ici quelques semaines, nous espérons un apaisement. La priorité est qu’il n’y ait plus d’agressions, ni d’appel à tuer et qu’on attire l’attention sur la lutte contre le sida ». En attendant des jours meilleurs, les homosexuels se cachent pour ne pas mourir.

Habibou Bangré - Afrik.com

 

ENCADRÉ : Conséquences du climat homophobe sur la lutte contre le sida

Les neuf homosexuels relâchés le 20 avril étaient engagés dans la lutte contre le sida chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH). Ils leur délivraient des conseils et fournissaient des préservatifs, du lubrifiant et des traitements antirétroviraux pour les porteurs du VIH/sida. Mais le climat homophobe qui s’accentue depuis leur libération les pousse à se cacher, menaçant le travail de sensibilisation et de prévention chez les HSH. « Nous n’avons plus la maîtrise des homosexuels. Ils sont entrés dans la clandestinité et nous n’arrivons plus à leur mettre la main dessus », résume sous couvert d’anonymat le responsable d’une organisation non gouvernementale (ONG) travaillant avec ce groupe à risque. La séroprévalence chez les homosexuels avoisinerait les 22%, contre à peine 1% chez la population générale. Or, conclut le responsable associatif, « plus de 80% des homosexuels sont bisexuels. Ce qui fait que si le sida se propage chez eux, il se propagera aussi dans la population générale ». « Il est temps que le ministère de la Justice, de la Santé et le Conseil national de lutte contre le VIH/sida prennent leurs responsabilités et mettent fin aux campagnes homophobes », conclut donc Joël Nana, directeur du plaidoyer et de la recherche en Afrique à la Commission internationale pour les droits des gays et lesbiennes (IGLHRC).



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