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QUARTIER TRADITIONNEL : Le boom de l’immobilier s’empare de la Médina

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QUARTIER TRADITIONNEL : Le boom de l’immobilier s’empare de la Médina

Le quartier de la Médina est sans doute un symbole de la ‘’folie’’ immobilière qui s’est emparée de Dakar depuis quelques années. Un tour dans les différentes artères le montre. Ce qui attire l’attention du premier venu, ce sont des tas de sable, du ciment et des ouvriers au labeur pour faire sortir de terre leur énième immeuble. Ces bâtisses, modernes et imposantes, toisent désormais les demeures avoisinantes, essoufflées par l’usure du temps.

Il est onze heures. Nous sommes à la rue 29X22 de la Médina. Il fait chaud. Une chaleur de plomb. Défiant la canicule, une dizaine d’hommes participent à la construction de l’immeuble qui, désormais, s’impose aux passants. Juste en face de l’immeuble où opèrent ces braves maçons, assis sur une chaise, portant des lunettes de soleil, Mor Thioune se présente comme le responsable des lieux. Notre interlocuteur nous renseigne sur les raisons qui pourraient expliquer cette ruée vers l’immobilier notée dans ce vieux quartier de la Médina.

Selon M. Thioune, l’aspect mercantiliste prévaut sur toutes les autres motivations. En effet, explique-t-il, la crise étant aiguë et complexe pour les Sénégalais, ils cherchent à sécuriser l’argent durement acquis. Il leur est difficile de trouver meilleur placement que le secteur immobilier, confie M. Thioune. Une tendance qui fait le bonheur des ouvriers qui échappent ainsi aux affres du chômage technique. Venus le plus souvent d’horizons différents, ces ouvriers apprécient à sa juste valeur cette croissance dans l’immobilier tout en déplorant la modicité de leurs revenus, comparés à la débauche d’énergie qu’exige leur labeur. C’est sur cette plainte des hommes du ciment que nous quittons la rue 29, laissant derrière nous une rue qui, une fois son immeuble achevé, sera plus belle.

Direction, la rue 24. Une rue calme. La chaleur y est sûrement pour quelque chose. Au bout de cette rue, se dresse un immeuble où des ouvriers, une dizaine, parachèvent une oeuvre en fer, ciment et béton.

Un immeuble de plus. Moussa Ngom, maçon de son état, de prime abord hésitant à se prêter à nos questions, finit par avoir confiance. La discussion est engagée. Notre interlocuteur fait sien le même argument que ses collègues nous ont servi auparavant : ce sont uniquement les aspects commerciaux qui expliquent cette course vers le secteur immobilier. M. Ngom s’est surtout voulu le porte-voix de tous les travailleurs, acteurs d’un secteur qui rapporte, mais qui, malheureusement, en sont les parents pauvres. Les populations ne sont pas insensibles à cette effervescence occasionnée dans leur quartier par le boom immobilier. Dégustant paisiblement leur thé au bord de la rue 27, des jeunes constatent, avec amertume, que leurs intérêts ne sont pas pris en compte. Ils déplorent que la main d’œuvre ne soit pas recrutée parmi les bras valides que regorge la Médina. Encore faudrait-il que ces derniers sachent manier le ciment et le sable !

Notre reportage sur l’immobilier à la Médina aurait été une maison construite et dans laquelle chaque visiteur aurait remarqué qu’il manquait quelque chose si nous n’avions pas pris le soin de faire un tour chez ceux qui assurent la gestion des immeubles : les agences immobilières. C’est ce qui a motivé notre présence à l’agence immobilière ’’Sakho et Fils’’. Nous sommes accueillis par un homme. La quarantaine. Il s’appelle Lamine Diène. Depuis deux ans, il est actif dans le milieu et constate, comme tout le monde, la vitalité du secteur immobilier. Pour M. Diène, cette ruée vers l’immobilier n’est pas près de s’estomper. Pour étayer ses propos, il nous lance : « Nous avons des dizaines de demandes qui attendent de trouver une chambre. C’est vous dire que la demande est supérieure à l’offre et les immeubles en construction ne seront que les bienvenus. »

Des exigences de modernité face à la préservation d’une identité

La Médina est un quartier riche de son passé, qui a donné à la ville de Dakar et au pays, des hommes et des femmes modèles. L’habitat sommaire, mélange de touche traditionnelle et de perspective moderne, fait partie de l’identité de ce quartier si célèbre. Aujourd’hui, les nouvelles constructions font partie du décor. Mais, elles ne font pas que des heureux ! Les populations trouvées sur place ont tenu à nous faire comprendre que cette croissance notée dans l’immobilier témoigne de la vitalité du quartier.

Cependant, elle cache une autre réalité plus cruelle. Succombant à la tentation de ce business de l’immobilier, des familles cèdent leurs habitations à des personnes plus nanties, tournant du coup le dos à des amis, des parents, leur quartier. Rencontré à la rue 27, un quinquagénaire du nom d’Ousmane Diop, le cœur gros, raconte la manière avec laquelle il a été obligé de se séparer d’un ami d’enfance et de sa famille qui vivent aujourd’hui dans la banlieue. La situation de cette famille est identique à celle de nombreux Médinois de souche qui, aujourd’hui, la mort dans l’âme, ont élu domicile dans d’autres quartiers de Dakar. Au-delà de la pauvreté ambiante qui pousse certains à migrer vers la banlieue, il y a un autre aspect qui explique le départ de nombreux Médinois vers d’autres cieux : c’est la vie en communauté qui y était de mise et que la présence des immeubles menacerait.

La question est difficile à éluder étant donné qu’elle revient très souvent lorsqu’on prend langue avec un habitant de la Médina : comment moderniser le quartier sans pour autant lui faire perdre son authenticité ? Le secrétaire municipal de la Commune d’arrondissement de Médina, Ibrahima Seck, semble affirmer que la messe est dite et que la Médina est dans une pente irréversible. Selon lui, la Médina est un quartier qui doit rompre avec les baraques et les taudis. Elle doit faire peau neuve avec les constructions modernes. Mais, s’empresse-t-il d’ajouter : « Faudrait-il que ces immeubles respectent la norme ! » L’érection d’immeubles tous azimuts pose d’autres problèmes à la municipalité qui voit ses charges se démultiplier. En effet, selon le secrétaire municipal, les flaques d’eau présentes dans certaines ruelles du quartier et le manque d’entretien ont pour cause l’individualisme. En effet, les résidents comme les propriétaires des immeubles sont étrangers au quartier et se soucient peu de la préservation du cadre de vie. Pour Mbaye Diouf, trouvé à la rue 22, en face d’un immeuble construit sur les cendres de leur « penc » (dans la tradition médinoise : lieu de discussion et d’échanges entre notables) : « Il y a encore des poches de résistance, mais si rien n’est fait, ce qui faisait la réputation du quartier, le communautarisme, la chaleur humaine, la solidarité voleront en éclats et la Médina n’existera plus que de façade. »



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