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Samu Social Sénégal : Du baume au cœur des enfants «perdus»

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Samu Social Sénégal : Du baume au cœur des enfants «perdus»
Le Samu Social Sénégal part tous les soirs en maraude dans les rues de Dakar pour venir en aide aux enfants des rues. Nous les avons suivis pendant une nuit. Reportage.

Les portes coulissantes de la camionnette du Samu Social s’ouvrent sur un vaste terrain vague. L’air chaud, humide, vicié de la nuit dakaroise pénètre dans la voiture.Et avant même de mettre un pied dehors, c’est une infection. Ça sent l’oeuf pourri, l’urine, la moisissure. Il suffit de balayer l’endroit du regard pour comprendre : nous sommes juste à côté d’une décharge à ciel ouvert. Là ou une vingtaine d’enfants ont élu domicile, aux côtés des ordures et des asticots qui les accompagnent. ‘J’aide les éboueurs à vider leur camion’, explique Fara*, garçonnet d’une dizaine d’années au visage de poupon. Fara reste emmitouflé dans son grand manteau élimé alors que la température avoisine les 35 degrés. La tête sortant à peine de son col, il nous raconte quelles sont ses combines pour survivre : ‘Quand je les aide, les éboueurs me donnent une pièce qui me permet de m’acheter à manger. Et puis en fouillant dans les déchets tu peux trouver du fer ou quelque chose à revendre.’

La bande se presse autour de la camionnette, reconnaît l’équipe du Samu Social : un médecin et deux éducateurs spécialisés. ‘Dieu vous bénisse’, répètent-ils. Ceux qui le souhaitent montent dans l’ambulance : l’enfant bénéficie alors de soins médicaux et/ou d’un entretien avec Animata, éducatrice spécialisée. La jeune femme inspire confiance. Souriante et douce, Animata a quelque chose de maternel. Elle se souvient de tous les prénoms des enfants qu’elle a croisés, de toutes les histoires de vie. Avec ceux qui sont intimidés par la froideur du néon de l’ambulance, elle fait quelques pas au loin de la décharge. Son visage jovial encadré par un voile se penche avec bienveillance sur Fara et les deux marchent quelques mètres, discutant comme deux amis. Elle répète l’opération avec d’autres, tout en prenant des notes sur sa main discrètement. Animata les recopiera plus tard sur leur fiche individuelle.

Les enfants, de 8 à 17 environ, sont presque tous accrochés à un bout de chiffon imbibé de dissolvant (du ’guinze’) qu’ils sniffent sans relâche. La drogue, l’alcool et l’errance font leurs ravages : certains sont perdus dans leurs délires, le visage déformé, les yeux exorbités, hurlant à la mort ou encore se déshabillant face au reste de la troupe. Avec ceux-là, la tâche d’Animata est rude. L’étincelle prend parfois. Et sur un visage dévasté par l’ivresse ou la maladie, elle réussit à faire résonner un rire de gamin.

Des enfants qui ont fui la maltraitance

Tous ont leur raison pour se retrouver dans cette écrasante misère. Certains, ceux que le Samu social appelle les ‘talibés enfuis’, ont quitté leur daara (école coranique), où la maltraitance est répandue. Fara a fui sa famille en Mauritanie. Il raconte qu’il a été réduit à l’esclavage par ses proches. Sévèrement battu pour un oui ou pour un non. ’Je me suis enfui. Je dors sous un pont un peu plus loin de la décharge le soir. C’est très difficile, les moustiques me piquent toute la nuit, je ne peux pas me reposer. Je ne mange pas tous les jours. Je suis triste. Je veux voir ma mère’, soupire le petit bonhomme avant de respirer son foulard mouillé au ‘guinze’ à pleins poumons. Fara dit avoir 15 ans, mais il en paraît 10. Beaucoup mentent sur leur âge pour gagner en autorité au sein du groupe, nous expliquent les membres du Samu Social. Et ainsi tenter d’échapper aux viols. ‘Les plus grands abusent souvent des plus petits, explique Animata. Ce soir, il y a un petit qui n’arrive même plus à marcher. Je pense qu’il a été violé, mais il ne veut rien me dire.’ L’équipe distribue des verres de lait et fait coulisser les portes dans la camionnette dans l’autre sens. Elle part vers un autre site, en périphérie de Dakar, qui comme tous les arrêts que nous ferons, est maintenu confidentiel. Le Samu Social refuse de dévoiler où sont les regroupements d’enfants perdus. Dans la camionnette, l’ambiance est studieuse. Le médecin remplit les fiches de suivi, fait l’inventaire du matériel utilisé. Pareil pour Animata, qui noircit des pages sur chaque enfant : profil, orientation envisagée, situation familiale… Aucun détail n’est négligé.

‘Les agressions arrivent parfois’

Deuxième arrêt. Sur l’autoroute, une lumière rose diffusée par quelques vagues lampadaires. Une apparente tranquillité troublée par le passage de quelques véhicules.

A peine le pied posé sur le macadam, l’équipe court vers le groupe d’enfants caché plus loin. Une bagarre entre deux gamins. Les bras chétifs des enfants sont des armes facilement maîtrisables par les éducateurs. Mais le couteau qu’agite Marcel du haut de ses 12 ans l’est moins. La panique s’empare du groupe en quelques secondes. Cris, affolement, peur. Des bouteilles de verre volent en éclats. Makhou, ivre, plante son couteau dans la main du médecin. ‘On s’en va, on ne peut pas travailler dans ces conditions’, déclare Animata en rejoignant le véhicule, suivie par le reste de l’équipe. ‘Les agressions arrivent parfois, raconte-t-elle, et c’est le pan le plus difficile de ce métier. Surtout quand elles viennent d’enfants que l’on connaît bien, avec qui on a créé une relation de confiance, mais qui craquent parce que trop saouls ou trop drogués.’ C’est le cas de Makhou qui selon ses camarades a passé la journée à boire de la liqueur. Il s’endort dans le caniveau, torse nu. Deux compresses de désinfectant plus tard, le médecin lâche : ‘Bah, ce n’est rien du tout’. Sous la pression des autres enfants qui tapent aux vitres, répétant ‘restez, on n’a que vous pour vivre’, l’équipe décide finalement de prodiguer des soins.

‘Le Samu Social, ce sont les seuls qui s’intéressent à moi’

Daouda est soulagé que la camionnette rouge et blanche du Samu Social reste. ‘Ce sont les seuls qui s’intéressent à moi’, affirme-t-il. Daouda n’a plus de lèvres tellement elles sont recouvertes de croûte. Quand il sourit, elles se craquellent et tachent ses dents, déjà noircies, de sang. Daouda a perdu ses parents. Il a tenté de rejoindre l’Europe clandestinement pour 250 millions de francs CFA. Il est resté quelques semaines en Hollande, avant d'être expulsé. Daouda adore raconter le voyage en avion qui l’a ramené à Dakar : ‘Tu vois, il faut attacher ta ceinture au début. Et après on te dit quand l’enlever. Et quand la remettre. On te donne même à manger. Après tu prends un bus. On te dit quand descendre du bus.’ La simple évocation de ce souvenir le fait sourire. ’On ne s’est jamais autant occupé de moi que dans cet avion.’, conclut-il, rejoignant la queue pour obtenir son verre de lait.

 ‘Mais qu’est-ce qu’ils vont devenir ?’

Les portes claquent à nouveau, la voiture repart dans la nuit dakaroise. Pour un dernier arrêt au bord d’un chemin de terre où courent des perce-oreilles. Compresses, verres de lait, quelques blagues avec les enfants. La machine est huilée. Les enfants ont plus envie de discuter que de se faire soigner. Ce soir, ces gamins n’ont pas d’autre blessure que leur solitude. ‘Tu es né en 98 ? demande Animata à l’un d’entre eux qui ne connaît pas son âge. Alors tu as 12 ans ! 98, 99, 2000…’,et tous autour se mettent à compter à haute voix avec elle. Ce sont finalement les enfants qui prennent congé ‘Salut les gars, à la prochaine !’L’ambulance est de nouveau bringuebalée de nid-de-poule en nid-de-poule, direction le siège du Samu Social, dans le quartier de Ouakam à Dakar. ‘Pour moi, c’est l’un des moments les plus difficiles de la journée, confie Animata. Une fois chez moi, j’oublie tout. Mais sur la route du retour, je ne peux m’empêcher de penser aux petits qui sniffent leur dissolvant et de me demander: mais qu’est-ce qu’ils vont devenir ? Mais qu’est-ce qu’ils vont devenir ?’

* Les noms des enfants ont été modifiés par souci d'anonymat. ACTIVITES SAMU

SOCIAL SENEGAL : Près de 3 000 enfants pris en charge

Le Samu Social intervient en urgence auprès des enfants des rues ou en grand danger dans la rue. Pour cela, il organise des maraudes : une camionnette sillonne les rues de Dakar pour aller à la rencontre des enfants, leur donner des soins et écouter leur détresse. Deux sont organisées chaque jour, une l’après-midi une autre le soir. Depuis le 1er novembre 2003, en 1 783 maraudes, près de 3 000 enfants ont été pris en charge au moins une fois selon les chiffres de l’association. Le Samu Social gère également un centre d’accueil pour les enfants qui souhaitent y séjourner : aucun ne peut y être emmené de force. Là, les éducateurs et psychologues essaient de leur apprendre à retrouver un rythme et des repères. Les équipes travaillent ensuite à la réinsertion de l’enfant, soit avec sa famille, soit dans un centre d’accueil longue durée.

Trois questions à Ousmane Ndiaye, psycho-sociologue : Les chemins qui mènent à la rue

Wal Fadjri : Quels sont les profils des enfants des rues ?

Ousmane NDIAYE : Pendant longtemps, les enfants des rues étaient considérés comme une catégorie flottante, nous les appelions ‘groupe vague’. Aujourd’hui, nous savons qu’il y a principalement deux chemins qui mènent à la rue. Le premier, c’est celui des talibés enfuis. Les conditions de vie dans les daaras [écoles coraniques, Ndlr] sont difficiles et les enfants sont exploités économiquement à travers la mendicité. Ce qui les pousse à fuir. Le deuxième, c’est la rupture familiale. L’enfant fugue, soit parce qu’il est battu ou malheureux. Il n’y a quasiment pas de petites filles dans les rues. Tout d’abord, parce qu’elles sont plus protégées. Une famille n’abandonne pas ses petites filles, même quand elle est dans l’extrême pauvreté. Ensuite, c’est parce qu’elles bénéficient de moins de liberté : elles auront moins la possibilité de fuguer en cas de maltraitance. Enfin, elles ne vont pas dans les daaras.

Comment sont organisés les groupes d’enfants des rues ?

 Les groupes d’enfants ont une hiérarchie très stricte, difficile à définir car elle n’est pas forcément systématique. Un leader se dégage, de part son audace ou son courage physique. Celui qui en jette le plus, qui est le plus sécurisant prendra naturellement la place de chef. Il ne s’agit ni d’une désignation, ni d’un choix. Il doit asseoir son autorité, souvent avec l’aide d’une petite garde rapprochée qui influencera les autres. Les groupes d’enfants reproduisent souvent le schéma classique de l’éducation à la Sénégalaise : il faut se soumettre au plus âgé ou au plus autoritaire, lui obéir et respecter les règles sous peine de sanction. Mais le leadership des bandes est fragile, il suffit qu’il arrive un enfant plus fort ou plus charismatique et les cartes sont redistribuées.

Quelle prise en charge recommandez-vous ?

L’enfant sera toujours très marqué par l’expérience de la rue, même si son degré de traumatisme peut varier en fonction de la durée du séjour, son rôle et le statut que les autres lui auront donné. Certains enfants, notamment les leaders, peuvent même avoir envie de rester dans les rues. Malgré tout, je pense qu'un enfant a besoin de sa famille et de chaleur maternelle. Les associations de prise de charge essaient d’organiser un retour dans la famille, ce qui demande beaucoup de médiation et de discussion. Il est parfois très difficile de retrouver la famille d’un enfant, surtout quand celui-ci vient de Gambie ou du Mali, ou même d’un tout petit village sénégalais. Mais je pense que les familles, une fois contactées, sont choquées et honteuses après la fuite de l’un des leurs. Elles ont à cœur de rétablir le lien. Et de faire taire les mauvaises langues. Certaines Ong et associations, type le Samu Social, sont inspirées du modèle occidental de prise en charge. Il faut prendre garde cependant, les enfants des rues Sénégalais sont un public particulier, ils ne sont pas comme les adultes Sdf avec lesquels traite le Samu Social français. La récente décision du gouvernement d’interdire la mendicité des enfants, même si elle ne résoudra pas immédiatement le problème, peut aider à le minimiser.Il y a une large entente au sein de la société pour rejeter l’exploitation financière des enfants par certains marabouts.


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