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Santé de la mère et de l’enfant - Abdoul Aziz Kébé :« les chefs religieux favorables à la planification familiale ont besoin d’être soutenus »

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Santé de la mère et de l’enfant - Abdoul Aziz Kébé :« les chefs religieux favorables à la planification familiale ont besoin d’être soutenus »

Abdoul Aziz Kébé, universitaire et islamologue, dit pourquoi l’Etat et ses partenaires doivent « s’appuyer sur les chefs religieux qui ont accepté de porter le message favorable à la planification familiale » (PF). La PF qui est une stratégie pour améliorer la santé de la mère et de l’enfant.

Il explique également pourquoi, au Sénégal, le recours à la planification est si faible au sein des couples unis par les liens du mariage alors que dans les pays musulmans du Nord de l’Afrique, la PF est acceptée et largement pratiquée.

Qu’est-ce qui explique la frilosité de certains chefs religieux et autres islamologues dès qu’on parle de la planification familiale ?

Les religieux ont une crainte : que les programmes de planification familiale (PF) qui leur sont proposés ne soient pas des programmes élaborés au plan national. Les religieux ont encore en tête l’opposition islam/Occident. Par conséquent, ils croient que les programmes de planification sont élaborés dans des pays dont les intérêts ne sont pas en phase avec ceux de la religion musulmane. Ce sont donc souvent des arrière-pensées idéologiques qui motivent leurs réactions. Toutefois, des religieux appuient les programmes de planification familiale parce qu’ils ont une compréhension correcte des enjeux de la planification familiale en relation avec le développement.

Pourquoi les religieux qui recommandent le recours à la planification familiale ont-ils tant de difficultés à faire passer leur message ?

De mon point de vue, il y a au moins trois explications. La première est que les religieux qui sont d’accord sur le principe ne portent pas vivement ce message sur la place publique. En réunion privée, dans les conférences, ils ont des positions favorables, dans les limites de la famille, bien argumentées, mais ces leaders ne servent pas de relais dans leur espace de communication pour porter ce message favorable à la planification familiale.

Une deuxième explication serait une adéquation entre le discours et la pratique. Quand on a, par exemple, adhéré à la planification familiale et qu’on a une famille nombreuse, le message risque de ne pas avoir d’impact. Le message risque d’être incompris parce que le public a des difficultés à suivre celui qui l’émet.

En troisième lieu, il y a l’opinion. Ce qui est vrai et ce qui est accepté comme tel par cette opinion est quelquefois totalement différent. La vérité, ce n’est pas ce que croit l’opinion, mais il arrive que ce que croit l’opinion soit si tenace qu’il devient difficile de porter un discours contraire à ce que l’opinion considère comme étant la vérité. Il y a une forte opinion au Sénégal et dans les pays africains qui croit que la planification familiale est illicite. Ceci d’autant plus que la culture africaine est pronataliste. Ajoutez à cela la dimension idéologique qui veut qu’il y ait une compétition entre Islam et Occident et qui milite pour une politique nataliste des musulmans, vous constaterez que la question n’est pas facile. Et comme souvent les leaders religieux ont une base sociale qu’il faut entretenir, ils évitent les questions qui pourraient semer le doute et affaiblir cette base sociale.

Alors que faire ?

C’est de s’appuyer sur les chefs religieux qui ont accepté de porter le message favorable à la planification familiale, de les renforcer et aussi d’avoir des programmes de communication - notamment au sein des médias publics - qui puissent mettre en avant les chefs religieux intuitu personae qui acceptent de parler de la question, d’apporter les arguments historiques, coraniques et traditionnels sunnites tout comme le consensus des oulémas sur le caractère licite de la PF en Islam depuis l’époque du Prophète (Psl) jusqu’à nous jours. Si les téléspectateurs regardent une émission télévisée et voient un imam avancer des arguments en faveur de la planification familiale dans le cadre de l’islam, en indiquant bien clairement ses sources pour authentifier et que le téléspectateur lui-même puisse vérifier ses propos, cela pourrait contribuer grandement à la promotion de la planification familiale.

Comment se fait-il que dans des pays musulmans du Nord de l’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, la planification familiale est largement acceptée et pratiquée sur une grande échelle (1) alors qu’en Afrique au Sud du Sahara, on est encore à débattre sur sa licité, son utilité, etc. ?

Il y a d’abord les niveaux d’instruction dans la religion et d’information dans les sciences religieuses. Il y a également le niveau d’émancipation par rapport à un leader. Dans les premiers pays cités, cette structuration verticale et cette relation d’allégeance quasi absolue que l’on voit au Sénégal entre les leaders religieux et les disciples n’existent pas. La personne peut trouver des éléments de réponses dans ses recherches, dans les « fatwas » (décrets religieux) des autres oulémas. Il faut également ajouter que dans ces pays, l’autorité publique est aussi croyante que l’opinion publique. Il n’existe pas de césure étanche entre l’autorité publique et l’opinion publique pour ce qui est des croyances. Il n’y a pas de séparation entre le spirituel et le temporel comme c’est le cas au Sénégal où l’on croit que l’Etat ne doit pas parler de certaines choses qui seraient de la seule compétence des religieux. D’autres, en revanche, soutiennent le contraire.

Dans ces pays musulmans du Nord de l’Afrique, l’Etat joue également un rôle déterminant dans la promotion de la planification familiale… L’autorité de l’Etat y est effectivement très renforcée. Cette autorité est d’autant plus forte qu’elle est assise sur une base culturelle commune et sur une consultation des institutions religieuses qui concluent sur le caractère licite de la PF. Il n’y a pas de secteurs qui soient porteurs de la valeur islamique en face d’autres qui en seraient opposés. Au Sénégal, c’est totalement différent. Il y a des secteurs qui sont porteurs de la valeur islamique ou se définissent comme tels. On leur a laissé ce rôle. Les gens de ces secteurs ont autorité sur ce qui est relatif à la religion plus que les autres alors que ces derniers sont aussi des musulmans. Ajoutez à cela, l’absence d’une autorité scientifique islamique commune pour l’ensemble des musulmans comme il en existe dans les pays de l’Afrique du Nord avec les Académies, les Universités et les Conseils islamiques.

Selon l’islam, qu’est-ce qui peut justifier le recours à la planification familiale ?

Plusieurs facteurs justifient le recours à la planification familiale. Il y a la crainte d’avoir une famille nombreuse qu’on ne pourrait pas entretenir. Cela est bien spécifié par l’imam Chaféri en expliquant le verset 4 de la Sourate 4. Il y a aussi la crainte d’avoir une femme à la santé fragile, de ne pas pouvoir apporter les soins qu’il faut aux membres de sa famille. Le prophète Mohamed (Psl) dit qu’il faut donner à chaque enfant un lit. Il y en a même qui soulignent jusqu’à la volonté de préserver les charmes de la femme.

Vous avez parlé du couple, de la famille. Qu’en est-il de la communauté ?

Il est difficile de parler de planification familiale au plan de la communauté, car c’est un problème individuel. C’est un problème de couple.

Vous voulez parler d’un couple uni par les liens du mariage ?

Merci de le rappeler. Je parle bien d’un couple avec un homme et une femme mariés. Les familles qui ont recours à la planification familiale ne regardent pas, quant au fond, la communauté…

On peut bien apprécier l’impact de leur choix sur le développement de la communauté… Premièrement, il est important que les familles sachent qu’il y a un lien entre les différentes familles qui forment la communauté. Deuxièmement, c’est aux Oulémas de comprendre qu’il y a des moments où la préservation de l’équilibre de la communauté passe par l’équilibre des familles. Cela est important. Les imams doivent donc bénéficier de formation pour comprendre que le développement, c’est un ensemble de facteurs qui sont inter-liés et que chaque famille a une part de responsabilité à jouer dans cette interrelation. Les ressources dont dispose la communauté sont à distribuer entre les différentes composantes de celle-ci et ces ressources ne sont pas extensibles à l’infini. Il y a donc un effort d’ajustement à déployer pour avoir des ressources humaines de qualité. Dans le coran, on parle d’ailleurs plus de la qualité que de la quantité.

Quel est le rôle de l’homme dans la promotion de la santé de la mère et de l’enfant ?

Un rôle primordial. Les finalités dont on a parlé par rapport à la jurisprudence islamique le confirment amplement. La première finalité est la préservation de la vie. La deuxième est la préservation de la religion, des biens, de la descendance, c’est-à-dire la capacité d’avoir une progéniture saine. Une autre finalité est la préservation de l’honneur et des biens.

La santé est la première ressource dont on peut jouir pour préserver la vie. Il est donc important pour l’homme comme pour la femme de veiller à ce que la santé de la femme, la santé de la reproduction de celle-ci soit bien préservée par le couple. C’est la raison pour laquelle, il ne faut jamais que les gens croient que la femme a été créée uniquement pour procréer. Elle a également droit au bonheur, au bien-être et le bien-être de la femme passe par une bonne santé mentale et physique.

Avec l’appui de son époux…

Bien sûr. La responsabilité du chef de famille, de l’homme est très importante dans la préservation de la santé de la mère et de l’enfant.

(1) En Afrique du Nord, plus de la moitié des femmes mariées de 15 à 49 ans utilisent des méthodes modernes de contraception (53% en Tunisie, 55% au Maroc et à 57% en Egypte). En Afrique de l’Ouest et du Centre, hormis le Ghana (19%) et le Cap Vert (46%), le Sénégal est un des rares pays à avoir un taux de prévalence à deux chiffres (10%). (Source : Fiche de données sur la population mondiale 2006. Population Reference Bureau - PRB).

Un homme qui sait écouter pour mieux convaincre

Il sait écouter ceux qui ne sont pas d’accord avec ses idées sur la PF avant de leur opposer des arguments tirés à bonnes sources.

Abdoul Aziz Kébé est à la fois un islamologue, un chef religieux et un universitaire – il enseigne au département d’arabe de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il est membre de plusieurs organisations religieuses, alliances et réseaux qui, au Sénégal et en Afrique, luttent contre le VIH/SIDA et militent en faveur de la santé de la reproduction, etc.

En sa qualité d’expert en islam, population et développement, Abdou Aziz Kébé est un ardent défenseur de la planification familiale pratiquée selon les enseignements de l’islam par les couples unis par les liens du mariage. Cet homme aux convictions fortes est présent dans l’espace public sénégalais. Ses commentaires et ses analyses y sont appréciés. Il sait écouter ceux qui ne sont pas d’accord avec ses idées avant de leur opposer des arguments tirés à bonnes sources. Nous avons été témoin de cela au mois d’avril 2005, à Saint-Louis, pendant les travaux de l’atelier sur « islam et espacement des naissances : principes et arguments ». Organisé par l’Agence pour le développement du marketing social (ADEMAS), cet atelier était un moment de partage et d’imprégnation avec les prédicateurs et producteurs d’émissions religieuses. Dans le rapport qu’il a rédigé après cette manifestation, Abdoul Aziz Kébé écrit ceci parmi les leçons apprises et recommandations : « (…) il est utile d’inviter intuitu personae, dans de tels ateliers, des personnalités qui ont une expertise et une expérience de longue date, mais aussi qui ont le courage de leurs idées, l’art de convaincre et l’habitude des contradicteurs professionnels (…). Une telle stratégie pourrait enhardir d’autres personnalités religieuses qui craignent encore de s’engager non pas par manque de sources authentiques mais par sauvegarde d’une image qu’il croit menacée s’ils changent de point de vue ou s’il s’engagent avec plus de vigueur. » (1) Nous avons rencontré cet homme, érudit, ouvert et tolérant. Ce qu’il dit sur la planification familiale contribuera à relancer le débat sur cette question dont le repositionnement est une des préoccupations actuelles du gouvernement sénégalais décidé à réduire fortement les niveaux de morbidité et de mortalité maternelle et infantile.

(1). Rapport final de l’atelier de partage et d’imprégnation avec les prédicateurs et producteurs d’émissions religieuses et Conférence publique sur « islam et espacement des naissances : principes et arguments » tenus à Saint-Louis les 26 et 27 avril 2005.

Ces Sénégalaises qui aimeraient espacer leurs naissances…

Des études et enquêtes montrent qu’une femme en union sur trois aimerait avoir recours à la contraception pour essentiellement espacer les naissances. Qui écoutent et s’occupent de ces Sénégalaises dans le besoin ? Qui pensent à satisfaire leurs besoins ?

Au Sénégal, selon l’enquête démographique et de santé de 2005 (EDS IV), 10,3 % des femmes actuellement en union utilisent des méthodes modernes de contraception malgré une connaissance quasi générale de la contraception.

Trois régions se distinguent par leur forte prévalence contraceptive moderne : Ziguinchor (20,9 %), Dakar (19,2 %) et Thiès (15,2 %). A l’inverse, les régions de Matam (1%), Diourbel (3,3 %), Kaolack (5,4%), Tambacounda (5,6 %) et Louga (6,2 %) sont encore à des niveaux extrêmement faibles (1). En 1997 (EDS III), ce taux était de 8,1 %. En 1986 et 1992-1993, le taux de la contraception moderne était respectivement de 2,4% et 4,8%. Entre 1992 et 1997, l’augmentation est de 69 % (2).

L’utilisation actuelle de la contraception est encore faible au Sénégal. Toutefois, les études et enquêtes –notamment EDS IV– montrent qu’une femme en union sur trois aimerait avoir recours à la contraception pour essentiellement espacer les naissances. Si l’on parvenait à satisfaire les besoins de ces femmes, le taux de prévalence ferait un important bond. Qui écoutent et s’occupent de ces femmes dans le besoin ? Qui pensent à satisfaire leurs besoins ?

Répondre à ces questions et surtout agir relèvent de la responsabilité des leaders politiques, des responsables de programmes, mais aussi des acteurs de la société civile comme les chefs religieux. Certains leaders religieux, organisés en réseaux, associations ou coalitions, sont déjà actifs dans le champ social depuis de nombreuses années. Des partenaires du Sénégal les ont appuyés dans leurs efforts de mobilisation sociale pour l’espacement des naissances à la lumière des enseignements du Coran et de la Sounna. « Cet appui a permis la formation d’un grand nombre de relais religieux qui ont, (entre autres), contribué à une meilleure sensibilisation des hommes sur la contraception », a rappelé Mme Suzanne Maïga Konaté, représentant de l’UNFPA au Sénégal, le 11 juillet dernier, à Dakar, à l’occasion de la célébration de la Journée Mondiale de la population (JMP).

Que faire d’autre pour d’autres pour mieux promouvoir la PF ? « S’appuyer sur les chefs religieux qui ont accepté de porter le message favorable à la planification familiale et les renforcer (…) », suggère Abdoul Aziz Kébé, islamologue et universitaire, dans l’interview qu’il nous a accordée. Son plaidoyer fort bien argumenté par ailleurs montre que tous les acteurs impliqués dans la mise en œuvre des politiques et programmes de santé de la reproduction ont encore un long et difficile chemin à faire ensemble.

Sources :

(1). Plaquette sur « la santé de la reproduction au Sénégal en bref » éditée par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD, juillet 2007). Page 15.

(2). Enquête démographique et de santé 1997 (EDS III). Résumé. Page xx.


 



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