Tamkharit : historique d'une célébration

Dakar, 29 jan (APS) - La fête de Tamkharit ou Achoura est célébrée différemment dans le monde musulman suivant qu'on est de rite sunnite ou shiite, a indiqué l'islamologue Abdou Aziz Kébé.

La fête est célébrée le 10ème jour du premier mois du calendrier lunaire islamique (muharram), qui est «une date mémorable dans l'histoire de l'islam» a précisé M. Kébé, qui présentait, samedi, une communication à l'occasion d'un colloque sur ''Achoura : jour de fête ou jour de deuil ?''.

Pour les sunnites, c'est le jour où le prophète est arrivé à Médine, marquant le grand tournant dans l'histoire de la révélation et de l'islam, alors que chez les shiites Achoura rappelle les dramatiques évènements de Karbala en 680 où Al Houssein, petit fils du Prophète Mohamed trouva la mort.

''C'est ce qui en fait un jour de souvenirs avec tout le rituel de dolorisme qui l'accompagne'' dans ce rite a notamment dit l'islamologue.

Par ailleurs, ''si on remonte aux origines de la célébration de Achoura, on se rend compte qu'il y avait lune sorte de jonction entre juifs et musulmans autour de la délivrance d'Israël de la tyrannie du pharaon'', a-t- il poursuivi.

Pour lui, la question qui est posée dès lors est de savoir comment cet esprit de collaboration et de reconnaissance mutuelle n'a pu être sauvé pour irriguer la relation interreligieuse.

Par ailleurs, l'islamologue a souligné que 60 ans après la première célébration de Achoura par le Prophète à Médine, son petit fils Al Houssein rendait l'âme, suite à la lutte de succession qui opposait les partisans de Ali à Mu'awiya et à sa famille.

''Cette mort tragique allait marquer pour de bon la célébration de Achoura et lui donner deux tons : un ton festif et carnavalesque et un ton triste et endeuillé'', a-t-il expliqué, ajoutant : ''cela peut entraîner à se poser la question de savoir est-ce qu'il est toujours pertinent de porter l'héritage des contradictions politiques de l'époque et de présenter le monde musulman comme deux blocs séparés par un mur dressé depuis l'an 60 de l'hégire?''.

A ce propos, il a estimé que la tenue de ce colloque est un moment de vérité et de dépassement. ''C'est un moment où on peut se poser de bonnes questions sur l'histoire et obtenir de bonnes réponses pour le présent et le futur'', a indiqué M. Kébé.

Entre autres pratiques de la tradition islamique, le Prophète avait recommandé aux croyants musulmans de jeûner ce jour de Achoura. ''Dans tous les cas, l'observation du jeûne est une constante, obligation ou pas'', a martelé l'islamologue.

Toutefois, a-t-il relevé, la célébration de Achoura telle que vécue durant la vie du prophète est différente de la manière dont cela se fait aujourd'hui. ''On peut se demander où se trouve la justification de ces disparités ? Comment est-on passé de la célébration initiale faite de pénitence et de dévotion à cette célébration festive et carnavalesque ou celle endeuillée?'', s'est-il interrogé.

Lorsque l'on interroge les sources, on se rend compte que les anecdotes racontées pour justifier l'importance de Achoura et sa célébration festive relatent des événements de délivrance.

''De Adam à Moïse, en passant par Noé et Abraham, Younous et Moïse entre autres, tous les prophètes qui ont été éprouvés par Dieu ont été délivrés le jour de Achoura. Ce qui sans doute, peut conduire à la réjouissance'', a souligné Abdoul Aziz Kébé.

Cependant, on peut se poser la question de savoir si la réjouissance carnavalesque est la meilleure façon de rendre grâce à Dieu pour le secours apporté à ses serviteurs et «on doit même se poser la question de savoir si la célébration de Achoura du vivant du prophète était festive, a-t-il demandé.

Se poser cette question, selon lui, ne signifie pas que l'on récuse toute manifestation festive. Elle permet seulement de recentrer les choses par rapport à leurs origines et à leurs finalités. Elle permet ensuite de suivre la courbe des évolutions et de comprendre les facteurs qui ont conduit à telle ou telle expression.

''La célébration de Achoura qui reflète aujourd'hui une réalité vieille de 15 siècles doit être revue et réajustée pour répondre aux enjeux de l'heure et rester fidèle à l'esprit insufflé par le Prophète'', a dit l'islamologue.

Les autres communications présentées par les différents participants d'Afrique et du monde arabe ont également considéré ce jour comme un moment de recueillement, de dévotion, de souvenirs douloureux.

Un livre sera publié à l'issue du colloque pour rassembler toutes les thèses retenues par les islamologues, ont annoncé les organisateurs.

SBS/AAS