A la faveur du conflit nord-malien qui met en scène des forces de régression, on voudrait procéder à un mélange de genres qui ferait du Sénégal un pays menacé par le terrorisme salafiste. Une lecture biaisée et sous influence.
La chute du triangle nord-malien Gao-Tombouctou-Kidal inquiète et interpelle un large spectre d'autorités politiques et militaires, d'experts, d'observateurs dont des journalistes, de membres de sociétés civiles, etc. La gravité de la situation dans cette partie de territoire d'un Etat souverain et indépendant que l'on a voulu donner en modèle démocratique dans l'espace africain contre toute réalité explique aisément un tel intérêt dans une sous-région chroniquement instable. Sous cet angle, le Sénégal est particulièrement intéressé. Certains craindraient en effet que, vu sa proximité physique avec le Mali, notre pays soit un terreau fertile pour subir localement l'influence de la «tragédie» salafo-djihadiste. A ce propos, «l'alerte» aux autorités du respectable professeur d'arabe Abdou Aziz Kébé mérite d'être considérée à sa juste valeur. Mais uniquement à sa juste valeur, car elle pose problème.
C'est que, fondamentalement, «alerter l'Etat» sur l'imminence d'un dérapage terroriste au Sénégal ne répond pas à l'évolution concrète de la réalité politique islamiste dans le monde. En cela, il est un appel brut à la répression contre des Sénégalais, citoyens à part entière, qu'on soupçonnerait de préparer en catimini des coups tordus contre la République et la laïcité. Car en vérité, de quoi s'agit-il quand on parle de groupuscules salafistes qui voudraient appliquer la Charia dans leur environnement ? En gros, mais en gros seulement, des personnes imbus de traditionalisme islamique, radicalement coupés des réalités de la vie moderne, qui se nourrissent de pain et d'eau, agrippés à la littéralité des textes sans aucun lien au «sens politique» des choses, avec le Coran comme horizon indépassable. Des personnes d'un autre âge, jusque dans leur accoutrement, pour qui couper une main à un voleur est une nécessité religieuse en tout temps et en tout lieu. Des personnes pour qui la femme est une tentation permanente, d'où la nécessité de l'enfermer dans sa burqa... Évidemment, il y a beaucoup de caricatures entre ces lignes...
Les islamistes ont évolué
Ce type de «militants islamistes» existe bel et bien au Sénégal, et depuis des décennies. Mais ils sont assez largement apparentés à cette école doctrinale pakistanaise appelée «Tabligh» dont le piétisme ambulatoire renvoie plus au soufisme confrérique local qu'au djihadisme des Maliens d'Ansarou Dîn. Au nom de quoi l'Etat du Sénégal interviendrait-il contre la liberté religieuse d'une partie de ses citoyens qui auraient le tort de ne pas être dans les lignes d'influence dominantes en matière religieuse dans notre pays ? Ne serait-il pas préférable, s'il y a réellement menace salafiste, d'en étaler les vrais contours et la vraie dimension au-delà des discours théoriques tirés du rouleau compresseur mimétique fabriqué par les médias occidentaux ? L'idée n'est pas de réfuter l'existence de salafistes sénégalais violents, elle est simplement d'appeler à la prudence dans la caractérisation.
Aujourd'hui, il est aisé de constater que le djihadisme violent qui faisait de la démocratie un ennemi irréductible est en perte de vitesse partout dans le monde. Pourquoi ? Parce qu'à l'épreuve du tragique postulat algérien interdisant l'accès au pouvoir aux islamistes et les conséquences qui en ont découlé pour ce pays et pour la zone saharo-sahélienne (dont le Mali), une normalité démocratique universelle plus sage s'est imposée, en dépit des intransigeances cumulées de caciques politiques et de certains appareils sécuritaires d'Etat. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le phénomène salafiste n'a éclaté en violences politico-religieuses que là où l'exercice d'une démocratie intégrale sans a priori a été restrictif !
Les vraies alertes
Dans le contexte sénégalais, il serait naïf de croire que cette «alerte» du Pr. Kébé est indemne de toute influence. Au contraire ! Il est loin d'être innocent. Dans la lutte d'influence que se livrent entre elles certaines entités religieuses, la démarche a un sens : «protéger» en amont des espaces religieux traditionnels victimes de leurs propres turpitudes et contre lesquelles les Sénégalais ne manquent jamais de manifester leur courroux. Pour certaines confréries, les digues morales ont sauté à partir du moment où elles ont été confrontées à une compétition matérielle dont le centre nerveux organisateur est le pouvoir politique central. On a tendance à l'oublier, mais un chef religieux d'une grande confrérie a perdu la boule jusqu'à traiter d'«imbéciles» des centaines de milliers de Sénégalais qui n'avaient pas eu l'intelligence de voter pour son candidat présidentiel préféré. C'est dire !
Les salafistes sénégalais nous prépareraient une guerre ? Allons donc ! Il y a pire que cela. Ce qui serait essentiellement une menace grave pour la stabilité du pays, pour la forme démocratique de la République, c'est l'incapacité notoire des pouvoirs politiques successifs à mettre au pas la Corruption et ses animateurs tapis dans les hautes sphères de l'Etat. C'est l'impéritie congénitale à solder les comptes d'une demande sociale pressante et dangereuse pour l'équilibre de la nation. C'est la permanence d'une distorsion évidente dans la répartition des maigres ressources dont dispose le pays. C'est... C'est ce type d'alerte qui, nous semble-t-il, est dans l'intérêt exclusif du Sénégal et des Sénégalais. Réprimer les Salafistes ? Oui, pourquoi pas ! Mais après ? Il faudrait alors poursuivre la logique en entretenant une guérilla de longue durée si l'on postule que des extrémistes du martyre qui mène au Paradis ne manquent jamais l'occasion de mourir pour leur foi en affrontant des «forces impies».
Prudence
Aujourd'hui encore, l'écrasante majorité des sensibilités islamistes du pays est engagée dans la compétition démocratique, les dernières législatives en font foi. Il y a certes des forces ultra marginales qui refusent cette voie des urnes, mais faut-il penser que celles-ci seraient forcément des adeptes de la violence politique ? Ça fait trop simpliste. Comme au Maroc (PJD), en Tunisie (Ennahda), en Algérie (MSP), en Égypte (Frères musulmans), en Turquie (AKP) et ailleurs, la vie politique entre enfin dans une vraie modernité, celle qui n'exclut pas des centaines de milliers d'hommes et de femmes pour leurs idées «différentes». A l'heure où les Occidentaux recyclent des djihadistes revenus du Pakistan ou de l'Afghanistan dans le jeu politique de leur sphère d'influence, en Syrie et en Libye par exemple, pourquoi voudrait-on «alerter» ici au Sénégal contre des «terroristes» locaux qui, eux, ne se voient pas comme tels ?
Dans une ère de manipulations médiatiques à forte dose, la prudence dans l'analyse des faits reste le premier remède contre l'intolérance tant les clichés médiatiques ne correspondent pas toujours à des réalités vraies. Et pour des chercheurs imbus de neutralité scientifique, cette prudence là est un vrai sacerdoce.
16 Commentaires
Ok
En Août, 2012 (16:10 PM)Bonneanalyse
En Août, 2012 (16:35 PM)Doff Bi
En Août, 2012 (16:43 PM)Non
En Août, 2012 (16:49 PM)2. Interdire toute idéologie qui associent les croyances africaines au diable, c'est à elles de s"adapter aux Africains
3. Créer une TV dédiées aux religions Musulmanes, chrétiennes, et Animistes pour que les sénégalais s'informent et comprennent leur histoire.
Le Grand
En Août, 2012 (16:56 PM)Le Grand
En Août, 2012 (17:08 PM)Packou
En Août, 2012 (17:26 PM)Ex-salafiste
En Août, 2012 (17:34 PM)Je crois que ce qui fait réagir nos islamistes salafistes c'est que de vrais spécialistes ont vraiment touché du doigt là où ça faisait mal : ces courants avaient l'habitude de décréter et de décerner des brevets de "bons musulmans" en croyant avoir le monopole du discours religieux ...véritable !
Aujourd'hui que le monde s'aperçoit de la dangerosité du salafisme par ce qu'on voit au Nord Mali, ce qu'on a vu en Afghanistan, ils prennent panique du fait d'être démasqués..;
L'agenda des Frères musulmans comme des salafistes n'est jamais dévoilé, ils sont dans la taqiyya ou une sorte de "hudna" ; la trêve stratégique jusqu'à ce qu'ils puissent dérouler leur vraie stratégie..
L'un des grands salafistes de ce pays disait que si un jour il pouvait faire ce que ses amis du Nord Mali ont fait, il n'hésitera pas !!! illustration d'une hypocrisie notoire.
Je n'ai jamais entendu ni Abdou Aziz Kébé, ni Bakary Samb dire que tous militants des mouvements islamiques étaient des terroristes, mais que le salafisme comme méthode d'exclusion des autres musulmans, d'anathème sur tous ceux qui ne pensent pas comme Ben Baz et Ahmad Lo, est une idéologie totalitaire et ne participe pas de l'ouverture et de la tolérance qui sont la base de l'islam..
Oui les salafistes sont dangereux, ils commencent par la dictature intellectuelle avant de passer à la vioelnce qui est déjà contenue dans leurs thèses
Doxondem
En Août, 2012 (19:05 PM)Salafiste
En Août, 2012 (21:29 PM)Light Upon Light
En Août, 2012 (21:43 PM)la verite triomphera.
Raisongarder
En Août, 2012 (23:39 PM)Lightuponlight
En Août, 2012 (02:08 AM)Am Seetlu
En Août, 2012 (16:23 PM)La montée en puissance de cette minorité qui s'impose comme le troisième pôle après les tjanes et les mourides,
inquiète les confréries qui ont peur pour leurs strapontins. Ils ont peur de voir l'islam authentique éclore et qu'il ne libère leurs talibés asservis et ne leur fasse perdre leurs privilèges.
C'est pourquoi on entend les caciques des confréries crier à la menace terroriste sur tous les toits, avec leur discours du genre "si vous nous fragilisez, ce qui est au mali arrivera au sénégal, nous sommes les remparts contre l'islamisme".
L'islam était venu sortir l'homme de l'adoration de la créature vers l'adoration du Créateur. malheureusement, il y en a qui l'utilisent pour maintenir des hommes dans un esclavage moral et mental à leur propre profit. Toute chose a une fin!!!!!!
Délectez-vous un instant car votre fin de règne est proche incha Allah, car on ne peut endormir un peuple de manière permanente!
Gogo
En Août, 2012 (11:04 AM)Salafiste
En Septembre, 2012 (01:47 AM)Participer à la Discussion