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TOUBA : Une cité et ses paradoxes

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TOUBA : Une cité et ses paradoxes

Au moment où il est courant d’entendre que les villes meurent au Sénégal, Touba ce petit hameau devenu très grand fondé par Cheikh Ahmadou Bamba en 1888 connaît un développement spatial et démographique fulgurant. Haut –lieu de pèlerinage, Touba est une localité qui jouit d’une zone franche. La dynamique de cette cité apparaît également avec son niveau d’équipements. Ce qui constitue un facteur attractif pour les nombreux sénégalais qui perçoivent la cité de Bamba comme un eldorado. Chaque jour, des pans entiers de village se dépeuplent au profit de la ville sainte. Ce développement fulgurant de la cité de Bamba a pour corrolaire l’émergence d’un grand banditisme et d’autres maux qui caractérisent la société de consommation. Cette forte image d’ une ville à connotation bourgeoise cache en réalité des nids de pauvreté et des contradictions manifestes.

Touba !. La seule évocation de ce nom renvoie à une réalité : une ville où le culte du créateur est une donnée constante . Ainsi, le khalife général des mourides , Serigne Saliou Mbacké ne cessait de dire s’agissant de la grande mosquée de Touba : « Il n’ ya rien de plus fondamental dans le Mouridisme que la grande mosquée dont Serigne Touba était l'initiateur, un projet qu’il nourrissait ardemment à telle ensigne que tout le monde pouvait attester de sa motivation » .

Sous ce rapport, il a emboîté le pas à ses devanciers que sont les khalifes Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, Serigne Fallou, Serigne Fallou, Serigne Abdoul Ahad et Serigne Abdou Khadre. Serigne Saliou n’ a d’yeux que pour le rayonnement de l’ Islam et la perpétuation de l’œuvre de son père. La rénovation de la grande mosquée de Touba et des autres sites de culte a été une constante chez le guide des mourides. Il s’est inscrit dans la dynamique de servir Dieu en servant les hommes .Aux talibés, il saisit toute opportunité pour leur demander de persévérer dans la voie du droit chemin. Les interdits qui ont toujours rythmé cette ville sont toujours d’actualité. La musique, les jeux de hasard, la consommation d’alcool et de drogue et autres vices sont prohibés dans le précarré de Cheikh Ahmadou Bamba.

Le Magal est un événement majeur dans la communauté mouride. Il draine des foules immenses , des milliers d’individus , voire des millions de pèlerins. La déferlante humaine a déjà commencé à prendre la capitale du Mouridisme. Les pôles d’attraction que sont la mosquée de Touba, le cimetière, le puits de la miséricorde( Aynou Rahmati » , les mausolées de Bamba et de ses fils ont été pris d’assaut par des fidèles soucieux de perpétrer leur reconnaissance à Cheikh Ahmadou Bamba. À Touba, l’armée de fidèles n’a qu’une seule préoccupation : servir le Cheikh par des actions pieuses.

C’est la raison pour laquelle l’adjectif de ville sainte qu’on colle à la cité de Bamba se justifie aisément. Les mosquées y sont édifiées de manière exponentielle. Le spirituel y joue un rôle majeur avec la moultitude de daaras. À côté de ce Touba spirituel se dresse la modernité. L’observateur qui débarque pour la première fois au cœur de la cité de Bamba a le sentiment d’être au contact d’une grande métropole avec ses belles villas. Les magasins de luxe offrent les dernier produits de haute technologie. A cela viennent se greffer les grosses voitures , 4x4, les Bmw baptisés dans la localité « Bamba Moo Woor » et les Mercedes dernier cri qui forment le décor de la circulation routière constituée principalement de grosses cylindrées.

Le commerce y est florissant . Le marché Ocas offre une gamme très variée et sophistiquée de produits allant de l’électroménager, de l’électronique, aux tissus. Le développement du capitalisme y est de mise. Présentement, on assiste à une banalisation du cellulaire dans la ville sainte. Par ailleurs, une nouvelle race d’hommes d’affaires assimilables à des « golden boys » émerge. Ces derniers passent la majeure partie de l’ année dans les salons cossus de Bruxelles, New- York, Genève, Singapour… Le principal point de convergence des marchandises est le marché Ocas. qui accueille des acheteurs et des vendeurs venus de tous les coins du pays et même de la sous- région.

Il a été créé par le fondateur de la ville Cheikh Ahmadou Bamba qui lui a donné le même nom qu’un marché de Médine, ville sainte du Prophète. Ce marché détruit en 1975, fut reconstruit et inauguré le 23 mars 1976 par Feu Serigne Abdoul Ahad Mbacké. Aujourd’hui, il a un aspect moderne et compte plus de mille souks. Pour désengorger la ville, un privé vient de réaliser un centre commercial sur la route de Darou Mousty. Celui- ci compte 1432 magasins et 232 cantines. L’ hôpital ultra- moderne financé à hauteur de 6 milliards sur fonds propres par les talibés font de cette localité un exemple réussi d’auto- prise en charge sanitaire. Ce qui fera dire au premier vice - président de la communauté rurale de Touba, M. Fallou Touré : « Touba constitue un cas atypique de développement communautaire. Ici, les populations ont très tôt compris que le développement ne se décrète pas. Il s’assume comme une démarche volontaire. Tout ceci, nous le devons à Cheikh Ahmadou Bamba qui a fait de la solidarité agissante son principal levier ».

Combat pour la survie

À côté du Touba des riches, cohabite une caste de pauvres. Ceux- ci résident dans la plupart des cas dans les « Santhianes » ( les nouveaux arrivants) . Moussa Faye, habitant à la périphérie de Darou Salam se laisse aller à des confidences : «Nous avons quitté notre Lagnar natal pour nous installer ici espérant y trouver un mieux-être. Notre premier problème a été de trouver où loger. Grâce à la magnanimité de Serigne Saliou Mbacké, nous avons pu obtenir un toit. L’ équation majeure est d'arriver à bouillir la marmite. » À la question de savoir comment il parvient à joindre les deux bouts, notre interlocuteur révèle : «Je traîne avec moi un handicap qui ne me permet pas de travailler. Je ne vis que de la générosité des autres.
Mon poste de travail est la mosquée de Touba où je m’assois pour demander de l’aumône » Cet homme âgé de 45 ans éprouve toutes les peines du monde à nourrir sa jeune progéniture. Les résidents des « Sinthianes « viennent en plein centre- ville de Touba pour s’adonner au petit commerce ou deviennent des cochers. «Je travaille pour quelqu’un à qui je verse quotidiennement 3000 frs » nous lance un cocher réajustant sa casquette. Nul doute que ses coups de cravache feraient rougir Gramont qui s’est longtemps battu pour un meilleur traitement des chevaux. Pour sa part, Melle Diagne est domestique à Mbacké. Elle dévoile un pan de sa vie : « J'exerce comme domestique dans une famille huppée à Mbacké. Avec ce que je gagne, j’achète mes effets de toilette et j’aide mon père à régler de petits problèmes »

L’industrie du Mal prospère

La vie pour ces gens issus des quartiers flottants est faite principalement de misère. Leurs habitats précaires et insalubres illustrent leur état de pauvreté. Certains garçons issus de ces couches défavorisées attirés par l’appât du gain facile utilisent des raccourcis et versent souvent dans la délinquance et la criminalité.C’est la raison pour laquelle, le khalife général des mourides Serigne Saliou Mbacké a autorisé l’ État à y installer quatre brigades de gendarmerie et un hôtel de police pour mieux maîtriser cette inquiétante évolution du banditisme.

La ville avait commencé à devenir le refuge des malfaiteurs. Il a été constaté que la plupart des malfrats proviennent des quartiers flottants. Au delà, d’une inquiétante évolution du banditisme se développe un réseau intense de faussaires ou de spécialistes de l’arnaque qui jouent sur la psychologie des talibés pour les tromper. Il arrive même qu’on vous montre un homme, la tignasse crasseuse pour dire qu’il fait partie des compagnons de Cheickh Ahmadou Bamba. D’autres élisent domicile au cimetière de Touba avec comme objectif majeur d’arnaquer les talibés en leur proposant des talismans qui pourraient leur offrir des maris ou de la fortune. Une fille de 25 ans que nous avons croisée le 3 mars 2007 au cimetière de Touba se laisse aller : "Ce talisman que j’ai payé à 5000F est destiné à me doter d’ un époux avant trois mois.

Je le dois à un vieux talibé" balance-t-elle avec conviction. D’autres astuces allant des plus insolites sont utilisées pour les «arnaqueurs ». Ces derniers sont de fins stratèges et savent sur quelle corde tirer pour soutirer de l’argent aux nombreux fidèles qui séjournent dans la capitale du Mouridisme. C’est l ‘occasion pour ces faussaires de rassembler une masse d’argent durant cette période

Temple illégal de médicaments

Les pharmacies parallèles sortent de terre comme des champignons. Au marché Ocass de Touba, considéré comme le « Wall Street « où les cambistes sont au courant des dernières fluxtuations de la monnaie, les pharmacies parallèles constituent un bataillon dans le régiment de l’informel. À chaque coin de rue, à la gare routière, au marché et dans les différents édifices publics, on y rencontre des pharmaciens ambulants. De l’avis de M. Diagne pharmacien de son état : « Ces médicaments qui pullulent à Touba n’obéissent à aucune norme élémentaire de conservation et qualité». « Qu’à cela ne tienne, les populations y trouvent leurs comptes. Notre objectif est de nous soigner à moindre coût. Pas plus », confie Pape Moussa Diop, habitant le quartier de Mbal.

Cette thèse semble trouver un écho favorable auprès de Galass, qui excelle dans ce domaine à la gare routière : « nous ne sommes sortis d’aucune faculté de médecine, mais nous sommes imprégnés des dernières trouvailles en matière de médicaments » déclare-t-il non sans fierté avant d’ajouter : «Nous allégeons des souffrances , c’est cela notre force ». À ce dysfonctionnement vient se greffer les cliniques privées gérées dans de nombreux cas par des personnes qui ne savent même pas ce que signifie le serment d’Hyppocrate. Combien de personnes ont vu leur jambe estropillée par l’inexpertise d’ un « faux agent de santé » ? Elles sont légion à Touba . Il convient de mettre de l’ordre dans le système sanitaire de Touba déréglé malgré l’existence de structures modernes. La santé est véritablement en souffrance dans la ville sainte.

Le Magal 2007 se magnifie aujourd’hui . Le vœu de Cheikh Ahmadou Bamba en recommandant la célébration de cette journée de victoire était destinée uniquement à rendre grâce à Dieu pour les nombreux bienfaits qu’il nous a dotés. Serigne Sam Niang , chercheur à la Bibliothèque de Touba est convaincu d’une chose : Serigne Touba reconnaîtra les siens. En conclusion dira t-il : « les partisans des forces du mal ne pourront nullement prospérer dans la ville sainte. Touba accorde le bénéfice charismatique du pèlerinage à celui qui a le vœu de l’accomplir mais est indigent et incapable d’aller à la Mecque ».



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