La prison centrale de Rebeuss a ouvert ses portes, hier, non pas seulement à des détenus qui venaient d'être frappés par un mandat de dépôt, mais aussi à quelques représentants de la mairie de Dakar et à une poignée de journalistes.Prétexte : un tournoi de lutte organisé par les services du maire Pape Diop. L’instant d'un après-midi, les détenus ont oublié la rigueur carcérale, la puanteur et l'exiguïté de leurs cellules pour se retrouver dans le terrain vague de la prison, humant l’air pur et dansant au son des tams-tams et des envolés lyriques du chanteur et ancien délinquant Doudou Seck. Les yeux rivés sur des lutteurs détenus qui compétissaient pour des sacs de riz, des grosses de sucre et des enveloppes d’argent gracieusement offerts par la mairie de Dakar.
16 heures. Devant la maison d'arrêt de Rebeuss. Une poignée de personnes, invitées par la mairie de Dakar, est déjà sur place. Mais elles sont cantonnées dans la salle d’attente aménagée en dehors de la prison. Le temps que les derniers réglages se fassent. En fait de réglage, il s’agissait d’installer d’abord, non pas les invités, mais les détenus autour du terrain de la prison où doit se dérouler la séance de lutte. Tous les pensionnaires de Rebeuss n’ont pas ce luxe. Seules les « détenus de confiance » ont droit à cette recréation. Les grands caïds et autres fauteurs de troubles sont laissés en cage.Pour parer à toute éventualité.Les précautions n'étant jamais suffisantes pour garder les pensionnaires de « 100 m2 » bien au chaud dans les geôles, les éléments du task force de la prison, habillés en noir comme les agents du Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (Gign) ou ceux de la Brigade d’intervention polyvalente de la police (Bip) sont déployés sur le toit en dalle de la prison. Ils sont armés de fusils à pompe et de crosses avec casque blindé anti-émeute. Les autres matons, habillés de leurs tenues habituelles sont également armés et veillent au grain. Les agents affectés à des positions avec des instructions fermes et les détenus installés tout au tour du terrain au milieu duquel une arène est aménagée à renfort de sable de mer, les derniers réglages sont ainsi terminés.
« Vous perdez vos badges, vous restez dedans »
Les invités peuvent maintenant être guidés jusqu’aux chaises en plastique de couleur marron installes sous deux tentes ériges pour la circonstance. Mais avant, il fallait montrer patte blanche. Les journalistes sont mis de côté. Les autres invités de l’autre.Ces derniers sont ainsi délestés de leurs portables.Des badges de couleur verte sur lesquels est écrit : «administration pénitentiaire, maison d'arrêt de Rebeuss, laisser passer », leur est distribué. Avec cette remarque, fait sur un ton taquin, : «si vous les perdez, vous restez dedans ». C’est ensuite le tour des journalistes. «On ne va pas vous délester de vos portables, parce que vous en aurez peut-être besoin pour faire votre travail, mais vous n’avez pas le droit de prendre des vues ou de faire des interviews autres que celles qui sont autorisées », fait remarquer le chef des matons. Enregistré. Des badges similaires à ceux donnés aux autres invités leur est à leur tour distribués avant que des gardes pénitentiaires ne les escorte en direction du terrain. Il faut traverser un long couloir qui sépare les secteurs 1,2,3 et 4 de la prison pour accéder au terrain. Certains détenus, cantonnés dans les cellules sont perchés sur les lourds grilles en fer, contemplant le spectacle.Spectacles qu’ils ne voient qu’occasionnellement.Une odeur désagréable nous taquine les narines. Les cellules entrevues ne sont guère grandes, mais elles sont surpeuplées, malgré le fait que des centaines d’autres détenus sont déjà autour du terrain. Des habits pour la plupart sales sont entreposés sur les grilles des cellules avec des paires de chaussures de toutes sortes. De lourdes portes en fer avec de gigantesques targettes emprisonnées par des cadenas tout aussi gigantesques leur rappellent leur statut de prisonnier. Comme des oiseaux en cage, ils ont la mine déconfite et les yeux hagards.
Un champion nomme Pape Tine
Autour du terrain, c’est un autre décor. Les privilégiés ont le visage radieux. Ils esquissent des pas de danse. Chantent. Se chambrent. Luttent. Jubilent. L’instant d’un après-midi, la prison de Rebeuss est transformée en un stade Demba Diop bis. Surtout que le chanteur et ancien pensionnaire de la prison de Rebeuss où il compte encore des amis, Doudou Seck, a rehaussé de sa présence la cérémonie. Égayant l’assistance par ses envolés lyriques. La séance de lutte peut ainsi commencer. Et les meilleurs gagner. Champions qui portent les noms de Limamou Diop (catégorie plume), Karim Diouf (mi-lourd) et Pape Tine (lourd). Ils ont gagné respectivement, outre un sac de riz et une grosse de sucre, des enveloppes de 25.000, 30.000 et 40.000 francs. Vers 19 heures, les lots sont distribués. Les invités et les journalistes priés de débarrasser le plancher. Les détenus remis en cage. Et Rebeuss retrouver son austérité et son calme olympien. La recréation est terminée
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