Le week-end dernier, l’île de Gorée s’est souvenue de Boubacar Joseph Ndiaye, ancien Conservateur de la Maison des Esclaves décédé le 6 février 2008. Un hommage vibrant a été rendu à cet homme qui était la mémoire vivante de l’esclavage.
« Seigneur ! Donnez à mon peuple qui a tant souffert la force d’être grand ». L’auteur de cette prière, Boubacar Joseph Ndiaye, a été un symbole. Pour Abdoulaye Racine Senghor, directeur des Arts au ministère de la Culture, l’ancien Conservateur de la Maison des Esclaves de Gorée a été un symbole de la tragédie vécue par les Africains. Après la cérémonie de recueillement et de prières sur sa tombe au cimetière de Cambérène, des prières et une lecture du Coran ont été organisées à Gorée où le défunt a écrit l’essentiel de la trajectoire de sa vie. Sa personne se confond avec l’histoire de cette île, notamment au niveau de la Maison des Esclaves construite en 1776 et qui était un centre de transit ouest africain pour les esclaves en route vers les Amériques. Conservateur de ce Mémorial de 1962 à 2008, Joseph Ndiaye avait cette approche singulière d’évoquer le passé tragique des Noirs. Samedi dernier, lors d’un après-midi de recueillement, parents, amis, proches et membres de la confrérie musulmane des Layènes à laquelle il appartenait (ces derniers étaient tout de blanc vêtus), ont médité sur son legs. Sa légendaire voix rauque, avec laquelle il cristallisait son auditoire, a résonné à travers un enregistrement audio.
Né le 15 octobre 1922 à Rufisque, Joseph Ndiaye a fait ses études primaires à Gorée et à l’école professionnelle Pinet Laprade. Diplômé, compositeur typographe, il a été employé par l’imprimerie du Gouvernement général colonial de 1940 à 1943. Appelé sous les drapeaux dans l’armée française et breveté parachutiste, il a servi en Indochine et a quitté les drapeaux en 1958. Recruté par l’Etat du Sénégal comme Conservateur de la Maison des Esclaves, il a suivi des stages sur la Traite négrière à Nantes et à l’Ecole internationale de Bordeaux. Humaniste profond, Joseph Ndiaye a su ramener les hommes à l’essentiel en prônant une communion dans la diversité. L’un de ses hauts faits historiques à inscrire dans la postérité est sans doute la demande de pardon contre l’esclavage adressée par le Pape Jean-Paul II lors de sa visite à Gorée en février 1992. Homme passionné, il s’est investi corps et âme pour mener à bien la croisade autour de la Maison des Esclaves. « Nous devons méditer ses leçons afin de perpétuer sa mémoire. L’idée est de ne jamais oublier cette page sombre de notre histoire qui doit nous éclairer pour plus de justice, d’équité et de liberté », a suggéré le directeur des Arts, Abdoulaye Racine Senghor.
Dans un élan empreint d’emphase, le maire de Gorée, Me Augustin Senghor, a témoigné en ces termes : « Pa Joe, comme on l’appelait affectueusement, était un homme surdimensionné qui a marqué la génération d’après indépendance et participé à la réhabilitation de notre histoire ». Dans un éditorial publié dans la revue « L’insulaire », il s’est interrogé sur le devenir de la Maison des Esclaves : « Survivra-t-elle à celui qui a été, presque un demi-siècle durant, son âme, son gardien et le médium incarné des millions de Noirs victimes de la Traite négrière ? ».
Contre l’oubli
La préoccupation est légitime et fondamentale car, selon Me Senghor, parmi les mémorialistes, Joseph Ndiaye est parvenu à ériger un temple de la commémoration. Il fut également un conservateur de l’éducation des enfants, un régulateur, un guide social et un leader naturel. Samedi dernier, le centre socioculturel qui porte son nom était très étroit pour contenir tout ce beau monde venu lui rendre hommage.
Dressant le parallèle entre les trajectoires de Joseph Ndiaye et du Pr. Cheikh Anta Diop (décédé le 7 février 1986), Hamady Bocoum, directeur du Patrimoine au ministère de la Culture, a déclaré : « Le second a littéralement réhabilité l’Homme noir, tandis que le premier était le garant de la préservation de la mémoire ». De son point de vue, la mémoire de l’île doit être consolidée comme un legs. Dans la même lancée, il invite à un plus grand respect des anciens. « Nous devons prendre tous les enseignements chez eux pour asseoir un meilleur enracinement », a-t-il dit. Invitée à témoigner sur son défunt mari, Marième Ndiaye a retenu de lui un ami, un frère, un époux. « Il était d’une grande dignité, d’une rare générosité et d’une piété sans conteste », a-t-elle déclaré. De son côté, Cheikh Mbacké Thiaw Laye, fils d’Abdoulaye Thiaw Laye, khalife général des Layènes, a exprimé ses remerciements et sa reconnaissance aux organisateurs de l’hommage. « On ne peut pas oublier son œuvre qui était une action contre l’oubli », a-t-il fait remarquer. Il a salué la grande humilité du défunt qui était un fidèle musulman, avant d’inviter le président Wade à faire émerger d’autres Joseph Ndiaye, car le Sénégal a besoin de références.
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