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ANGLE MORT - La Seleçao chérie du football : Comment le Brésil fait l’amour…

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ANGLE MORT - La Seleçao chérie du football : Comment le Brésil fait l’amour…

Mardi dernier, face à une Croatie pugnace, le Harlem Globe Trotters avait oublié de chausser ses semelles de vent. Et le Brésil n’a pas soufflé le show à Berlin. Mais son football demeure incontestablement le chéri du monde. On a tenté de savoir pourquoi.

Ça a fécondé en plein Freidrichstrasse. Mardi matin, à quelques heures de Brésil-Croatie. Quand une bande de joyeux drilles brésiliens, dans l’impatience de propager sa «fièvre jaune» dans l’Olympiastadion, a fait résonner un tonnerre de dieu dans les entrailles de la gare berlinoise : «Nous sommes le Brésil/ Nous ne sommes pas les plus riches/ Mais nous sommes les plus beaux, les meilleurs/ Nous sommes les chéris du monde.» Ça fichait le frisson.

On file alors dans les coursives de Berlin, dans les dédales de cet étrange centre de la planète-foot. Comme ça. Innocemment. Pour en savoir plus long sur le secret le mieux partagé du monde : Qu’est-ce qui sous-tend cet amour indéfectible et irréductible que le monde du foot voue au Brésil ? Qu’est-ce qui explique que Berlin, si fière de sa NationalMannschaft, s’est senti le devoir de troquer son blanc fidèle contre le «jaune cocu» pour saluer bas le «Roi du jeu» ?

Pourquoi se pâme-t-on toujours au passage de ce fiancé du football universel qui a «fait l’affaire» cinq fois avec «Dame coupe» ? Pourquoi le reste du monde semble, une nouvelle fois, unanimement prêt à tapisser son chemin de roses pour permettre au bel auriverde d’aller la «visiter» une sixième fois ?

Direction Zoologischer Garten. C’est un chemin à lacets. Souvent embouteillé d’hommes et de personnages étranges. Une route où domine le gris des tours commerciales aux sommets fondus dans les nuages, où l’odeur de bière s’échappe de chaque pas de porte, de chaque fenêtre. Où le Tex mex est immanquable : son enseigne est une bouteille de bière gigantesque. L’endroit ne serait rien s’il n’était pas la «Villa planétaire», «le nouveau siège des Nations-Unies» (des supporters) : «Là où toutes les nationalités des 32 pays du Mondial sont presque chaque jour représentées, sourit Fatik, son bedonnant patron turc. Un joyeux condensé d’un monde en fête.» Un «monde» livré à la rue, à la bière, à la came. A tous les excès. Ici l’exploit d’une vie se résume à trouver un homme ou une femme lucide. Mais l’or du Brésil brille encore devant les yeux les plus embués, son football-samba pétille comme des bulles de joie dans toutes les boissons. Son nom fait l’effet euphorisant d’un produit-miracle : il fourgue un semblant de supplément d’âme.

Au parloir, se redresse à peine Manuel Duenas, Espagnol bourru et bourré. D’une gestuelle veule, il dessine un bijou serti de mots diamantés : «La Seleçao est un monument érigé au plaisir. Dans nos vies d’amertume, c’est une des dernières sources du plaisir au monde.» L’homme qui vient de parler a le visage cramoisi, les yeux cachés derrière des paupières trop lourdes. Ce qui ne l’empêche pas de voir clair.

L’homme qui suit n’est sans doute pas mieux. Mais il a eu le réflexe pudique de cacher ses monstruosités sous des lunettes de soleil. Il s’appelle Antonio Felci, il est Italien. On l’a modelé dans la pâte du Calcio, «sauce bolognaise», mais il s’est ouvert aux délices aromatisées qui libèrent les sens. De sa bouche qui pisse l’alcool, il suce le robinet de ses excitations les plus inspirées : «Le football brésilien, salive-t-il, est la création la plus aboutie dans ce domaine, un amalgame merveilleux d’une compagnie de Mozart. Gauchers ou droitiers, noirs ou blancs, le Brésil tient en d’ingénieux équilibres, en d’extraordinaires magiciens qui ont le don de Dieu d’enchaîner de réjouissants feux d’artifices qui éblouissent le monde et font chavirer son cœur. Qui ose ne pas aimer le Brésil ? On peut le combattre sur un terrain, le battre même à l’occasion, mais on ne peut pas ne pas l’aimer. Son charme est irrésistible. Celui qui n’aime pas le Brésil, n’aime pas le foot !»

Oscar Luna, peut-être le dernier lucide de la maisonnée, s’interdit de passer pour le dangereux «footophobe» du coin. Il mouche alors son ego de Gaucho, déploie ses maigres guiboles qui débordent de son short bouffant et articule d’une voix chevrotante son «coming out» : «Je suis Argentin et c’est vrai que nous ne nous aimons pas beaucoup. Mais j’avoue qu’ avec les Brésiliens, j’ai toujours pris mon pied.» Car ses hommes jaunes ont l’éminente force physique de ne jamais (ou presque) connaître de «panne» et l’époustouflante technique de toujours sortir le «grand jeu». Ils s’y prennent comme personne.

Le Brésilien n’est pas seulement le plus fort, il est différent. Un mélange de trop de choses pour supporter la comparaison. Danny Weir, un Anglais, gueule de brute, se réinvente orfèvre de la formule : «Le Brésilien titille les sens. Ses mouvements sont plus rapides, plus lumineux, plus légers que ceux des autres. Sa gamme est à la fois plus raffinée et plus inattendue. Il a de la grâce dans les veines, du feu dans le cœur, de la synchronisation et de l’équilibre dans les pieds.» De la magie, sans doute.

Alex Quaye, Ghanéen dodu, trace son chemin dans la foule de compliments et vient accrocher son petit mot fleuri sur la colonne des louanges : «Les Brésiliens sont les héros dans cette terre de foot en manque de héros. Dieu sait pourquoi il a fait descendre ces génies sur le terrain du jeu le plus populaire.»

Marek Chovanec, une sorte de taureau tchèque, rempli à goulot d’une infecte mixture de vin et de bière, bondit alors sur ses énormes tongs pour armer une…finesse : «C’est tellement vrai que tout le monde se sent à l’aise quand le Brésil est champion du monde. On sait que le meilleur a gagné et il n’y a ni jalousie, ni mécontentement.» Il pose une question de vie : «Comment peut-on être fâché avec les anges ?»

Le souffle du silence qui lui a répondu laisse enfin deviner pourquoi on pardonne à «Gronaldo» ses impardonnables excès. Pourquoi on goûte aux «insultes» de Roberto Carlos : «Le meilleur joueur de la Coupe du monde sera Ronaldinho. Le deuxième meilleur ? Ronaldo. Le troisième ? Kakà. Et après, Cafu, moi et les autres Brésiliens.» D’une autre bouche que carioca, on imagine les hallebardes qui lui seraient tombés dessus…

Cap sur Porte de Brandebourg. A un souffle du Reichtag, le Parlement allemand. Le génie d’Adidas y a transformé le petit stade Olympique en salle de cinéma futuriste, où on suit le foot en haute-définition. Le hasard a bon goût : Brehme est venu en représentation commerciale. Andy-Le Magnifique, un type sans-façon qui décochait des «pralines» de sa patte gauche.

La presse allemande le caricature comme un «mauvais client». Il ne serait «pas très intelligent» et son discours raserait le gazon comme ses frappes d’hier. Quand on lui agite le Brésil au nez, il semble transformé. Son verbe s’illumine : «Dans ma carrière, j’ai croisé pratiquement tous les pays du foot. Mais à chaque fois que tu joues contre les Brésiliens, tu sors du terrain en te disant que ces gens-là ont quelque chose de plus, qu’ils te sont différents.» Ce n’est un quidam vulgus qui souffle dans l’encensoir. Mais un champion du monde (Italie 90).

Plus bas, Oranienburgerstrasse. Il faut slalomer entre les «marchandes de sexe», slaves pour la plupart, pour accéder au Rocky-bar. Jurica Buça est là. Presque couché sur la table. Epaules arrondies sous un maillot à damier rouge, le Croate picore sur une assiette de cacahuètes et trempe ses lèvres charnues dans un Kölsch.

Entre deux gorgées, sans doute émoustillé par le goût enivrant de sa boisson moussante, il invite à un parallèle savoureux. Il demande surtout de choisir entre l’or et le plomb, entre la gadoue et le sable fin : «Pour mesurer la différence entre le foot européen et le foot brésilien, s’amuse-t-il, il faut monter au ciel et regarder la planète qui sépare Ronaldinho et Gattuso. Déjà, pour monter les cieux, il n’y a que les dieux du foot brésilien pour t’y envoyer…» Cruel Buça !

Gennaro Gattuso, c’est la boue et le sang. En Italie, on l’appelle Ringhio («je grogne»). En Ecosse, surtout pour les fans des Glasgow Rangers (il y a joué 2 ans), il est «le Rhinocéros». Une «bête de jeu» qui «sent la sueur et l’animal, les tacles et la mauvaise foi». Incapable d’effectuer une passe à plus de 5 mètres, de marquer d’une reprise de volée, de réussir un passement de jambe.

Ronaldinho, c’est Garrincha, Zico et Romario dans un même corps, dyslexique et surpuissant. «Capable de déplacer l’autre, de le mettre en position vulnérable, sans toucher le ballon», a dit un jour Claudio Basilio, maître capoeiriste.

«Le plus que Vilain», l’horrible surnom que lui a gratifié l’incorrigible Roberto Carlos*, est la réincarnation vivante du beau…jeu. Il a réinventé le foot comme dans nos rêves les plus fous et incarne le geste dans sa plus absolue virtuosité. Buça : «Que l’on soit Brésilien ou Japonais, Allemand ou Indien, Ronaldinho, c’est le présent qui a anticipé sur notre fantasme du futur.» A côté de Buça, presque au pas de la porte, le fantasme a un autre nom : «Kakààààà». Mathilda, brune Allemande, croise et décroise ses jambes, guette le partenaire d’occasion. Quarantaine maquillée, elle noie sa solitude de cœur dans des gorgées «d’eau de feu». Son manque d’homme semble lui avoir enlevé toute vergogne. Elle gémit, les yeux dans les yeux : «Je mouille pour Kakà.»

Elle l’a dit à sa maman malade, sur qui elle «veille depuis plus de 10 ans» : «Le jour où Kakà frappera à notre porte, je te quitte.» Cet «amour de garçon au sourire fondant», cette «perfection masculine» qui lève la tête quand il joue et baisse le regard dans la vie, ferait sur elle «un effet de dieu».

On réécoute Roberto Carlos, en version intelligente : «Illuminer le regard d’un enfant, ça donne des ailes. Illuminer le regard d’une grande personne, c’est mille fois plus fort. C’est presque un orgasme.» Alors la Seleçao est-elle donc une banque surliquide d’orgasmes ? Détour par Tiepark Bistro. A l’Est de Berlin. Ici, le plaisir ne visite le septième ciel. Il est plutôt terre à terre. L’impression dégage la sueur au boulot et la calculette pour s’échapper des fins de mois difficiles.

Au fond, au tréfonds presque, Johnny Huymann pose son regard sur un livre et une main sur une bouteille. Œil charbon noir, sourcil broussailleux, quelques poils au menton, lèvres serrées, le Hollandais dégage une impression confuse. Il desserre le masque : «Je suis un chercheur…» Et quoi encore ?

Normalement, entre ce type aseptisé, carré, Batave pur champ de tulipes, «nourri au lait du football total» et l’enfant des rues, danseur de Samba, qui a germé dans le bouillon des quartiers pauvres de Rio ou de Sao Paulo, le courant aurait eu besoin d’un bon transformateur pour passer. Mais cet ombrageux Johnny dit avoir promené «sa curiosité intellectuelle» jusque dans les pires favelas. Il en a ramené quelques gentillesses : «Quand tu vois d’où la plupart viennent pour arriver sur le toit du monde, tu ne peux avoir que des sentiments positifs pour ces gens-là, que les aimer, que les admirer. Leur art du dribble a une origine sociale, car ils ont souvent passé leur jeunesse à esquiver la misère, la drogue, le banditisme…Quand tu échappes à ces fléaux, tu peux échapper à n’importe quel défenseur.»

Il tient à offrir une dernière fleur : «Chez eux, le maillot a une portée divine. Tu ne verras jamais un Brésilien refuser une sélection. Sous le maillot or, noirs ou blancs, ils s’aiment comme des frères, d’un amour vrai. Et c’est connu : une passe adressée avec des sentiments positifs arrive toujours à destination.»

Dernière station : Hönow. C’est là où le métro s’arrête. C’est là où débute le «monde à part» de Christoff Hansen. Le quadra allemand, gros et gras, véritable banque de données du foot, est un doux rêveur. Un fin gourmet au palais puni. En mal de sensations fortes et épicées. En rogne contre tout : «Ce foot moderne, sorte de guerre de tranchées, qui aiguise plus les couteaux que les appétits», «ces tenants du contournement de l’adversaire par la passe au détriment de la magie du dribble», «ces injures au jeu», «ces coureurs pieds», «ces chaussures de clown que portent aujourd’hui les footballeurs». Il stoppe net le mot à maux. Mais c’était pour dégueuler une énormité : «Je n’aime pas l’Allemagne ! Quand je regarde cette Mannschaft jouer, je me demande souvent si c’est au foot que cette bande d’ouvriers s’adonne.»

Et le Brésil alors ? «Devant ces gens-là, je reste béat devant les scènes d’intense harmonie où s’épousent les arpèges.» En post-scriptum, il cisèle un ultime joyau : «Vous savez pourquoi les Brésiliens sont les chéris du foot ? Les autres insultent le jeu, le Brésil lui fait l’amour…» C’est là où gît donc le mystère…

 



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