Contribution : Arrêtons de prendre nos footballeurs pour des dieux !

Dans ma jeunesse, j’ai pratiqué le football, le handball, le volley-ball, le racket-ball, le tir au pistolet et à l’arc. Je suis donc sportif comme tout bon Sénégalais. Voilà pourquoi, j’aime toutes les disciplines sportives parmi lesquelles la plus populaire mais hélas la plus problématique : le football. Ce football, qui nous procure beaucoup de plaisir, mais également et surtout beaucoup de déceptions, de stresse et de nuits blanches, depuis la campagne de Caire 86. Comme beaucoup de mes compatriotes, j’ai décidé de tourner le dos à ce sport qualifié de « roi », quand j’ai constaté les abus, anti-valeurs et autres dérapages qui l’entachent avec persistance et qui sont essentiellement imputables aux dirigeants, aux journalistes sportifs, aux supporteurs, aux parents de joueurs et aux footballeurs eux-mêmes.

J’ai tourné le dos au football quand j’ai constaté que certains dirigeants, sous prétexte de « gérer le groupe » et de « sauvegarder l’esprit d’équipe », tergiversent et hésitent souvent quand il s’agit de prendre des sanctions contre un joueur coupable d’inconduites manifestes et de violation flagrante du règlement intérieur de la « tanière ».

J’ai tourné le dos au football quand j’ai constaté que certains journalistes sportifs, parfois, évitent soigneusement de dénoncer, avec vigueur et impartialité, les comportements immoraux et les limites physiques et techniques manifestes de certains footballeurs, de peur de ne plus bénéficier des largesses et autres cadeaux et faveurs que lesdits joueurs leur procurent dans les couloirs et les halls des hôtels.

J’ai tourné le dos au football quand j’ai constaté que les supporteurs, comme des fauves, sont toujours prêts à hurler à se déchirer les entrailles quand l’équipe gagne et à abreuver les joueurs d’injures quand ceux-ci perdent un match. Ces mêmes supporteurs sont surtout des « spectateurs » plutôt que des « supporteurs ». Ils n’encouragent leur équipe que quand celle-ci n’est pas menée au score. Quand le score est en faveur de l’autre camp, ces supporteurs se transforment en zombies, silencieux, le visage hagard, le regard perdu dans le néant et dans un silence d’outre-tombe !

J’ai tourné le dos au football quand j’ai constaté que nos footballeurs sont exagérément pris pour des dieux par les supporteurs. Dans ce domaine, ce sont surtout les supportrices qui remportent la palme. Souvent, elles tombent en transe ou en syncope devant leur idole de footballeur. Elles vident les larmes de leur corps rien qu’en les voyant. Et pourtant, ces mêmes admirateurs, filles ou garçons, demeurent indifférents devant leurs parents malades ou morts ou devant les prêches des guides religieux ou autres élus de Dieu, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. Ces admiratrices zélées et écervelées dis-je, sont toujours prêtes à défier l’autorité de leurs parents pour suivre leur idole de footballeur jusqu’aux enfers, en bravant tous les dangers embusqués dans les ténèbres de la nuit.

Certains parents de footballeurs n’échappent pas à la règle ! Ils prennent leurs progénitures de footballeurs pour des stars, voire des dieux. Ils se mettent à genoux devant eux et n’ont pas le courage de les réprimander, de les rappeler à l’ordre ou simplement leur donner des conseils. Et pourtant, cette star éphémère qui inspire tant de crainte à ses parents, n’est que leur fils, rien d’autre que leur fils, leur neveu ou leur frère qui par la grâce de Dieu est devenu une star hissée au firmament par des supporteurs fanatiques et souvent hypocrites. Ces mêmes supporteurs seront prêts à conduire leur idole à l’échafaud et à le sacrifier sans remords, à la première erreur. Certains parents, par crainte de perdre les téranga et autres subsides que leur enfant-star leur envoie, n’osent jamais lui dire la vérité. Ils le laissent user et abuser de son succès, de son statut de star et se singulariser dans l’impolitesse, l’arrogance et la violence. Pour eux, leur fils a raison. Il a toujours raison ! Leur fils est une star ! Certains parents de footballeurs que je connais, gardent heureusement leur autorité sur leurs enfants footballeurs. Ils les ont formatés dans l’humilité, la modestie et le sérieux. En revanche, pour d’autres parents, leur fils a toujours raison. Il a tous les droits. Il a le droit de se tresser les cheveux comme une femme, de faire du xessal comme elle, de faire du piercing comme elle et de porter des boucles d’oreilles à donner le complexe à la plus belle femme du monde ! Pelé, le plus grand footballeur de tous les temps, a toujours rejeté ces extravagances !

Et pourtant, l’histoire du sport mondial regorge des dizaines de footballeurs et de sportifs de grand talent qui se sont éteints parfois dans le plus triste anonymat ou la plus grande misère, malgré leur succès et leur richesse d’alors. Rappelez-vous les sportifs comme Garincha, Mohamed Aly, Mike Tyson et Maradona ! Que nos footballeurs, bon sang, reviennent sur terre ! Qu’ils arrêtent de bomber le torse et comprennent qu’ils ne sont pas plus méritants que l’agent des Eaux et Forêts ou des Parcs nationaux tombé sous les balles d’un braconnier. Ils ne sont pas plus méritants que le douanier abattu par un contrebandier. Ils sont loin d’être plus méritants que le soldat sénégalais tombé au Koweït, au Darfour ou en Casamance ! Qu’ils se souviennent du légendaire Edson Arantes do Nacimento dit Pelé. Son talent fabuleux est toujours resté inégalé. Et pourtant, il a toujours été habité par l’humilité devant Dieu et la modestie devant les hommes. Que nos internationaux regardent autour d’eux, des footballeurs comme Ronaldinho, Samuel Eto’o, Zidane, Thierry Henry, Roger Milla, Georges Weah et j’en passe. Ils sont sûrement plus talentueux et plus riches que nos internationaux, mais nul ne les a vu ou entendu se singulariser dans l’orgueil, les frasques, les injures, l’impolitesse, l’arrogance et l’alcool !

Si le Sénégal, mon pays, veut un jour monter sur la plus haute marche du podium dans le football africain voire mondial, nous devons commencer par nous remettre en cause et arrêter de prendre nos footballeurs pour des dieux, afin qu’à leur tour, ils ouvrent les yeux, reviennent sur terre et se laissent enfin habiter par l’humilité, la modestie, la discipline et le sérieux !