C'est un pays qui compte 1,4 milliard d'habitants... et trois médailles de bronze dans ces Jeux olympiques. Première puissance démographique de la planète, l'Inde brille encore par son absence sur les podiums. Explications.
Il faut dérouler le classement, encore et encore, passer la Suède, le Guatemala, l’Ouganda, la Corée du Nord ou le Kosovo, pour enfin voir son drapeau apparaître. Ce mardi 6 août, onze jours après le lancement des Jeux olympiques de Paris 2024, l’Inde pointe au 60e rang du tableau des médailles. Son bilan? Trois breloques en bronze, toutes acquises en tir. C’est aussi bien que le Tadjikistan, à peine mieux que la Moldavie et ses 2,6 millions d’habitants. Sauf que l’Inde, elle, en compte 1,4 milliard.
Le pays-continent est aujourd’hui la première puissance démographique mondiale. Ou la seconde, selon certaines estimations, mais le "match" avec la Chine sera bientôt plié. Pourtant, quand il s’agit de JO et de podiums, l’Inde devient toute petite. Ses athlètes, dans toute l’histoire des Jeux d’été, n’ont rapporté que 38 médailles à la maison. 10 en or, 9 en argent, 19 en bronze. C’est moins que les Bleus la semaine passée.
Un pays peuplé, mais un pays pauvre
Comment expliquer ce paradoxe? Déjà, il faut avoir en tête que quand on parle de performances aux JO, démographie et médailles ne sont pas (toujours) liées. L’Indonésie (281 millions d’habitants), le Pakistan (241 millions) ou le Nigeria (223 millions) ne font pas souvent retentir leur hymne...
"Le sport, c’est avant tout une question de fric, avec une corrélation très forte entre le niveau de développement économique et le fait de pouvoir investir dans des écuries de course. Car là on parle de gens ultra entraînés, sponsorisés: ce sont bien des écuries de course", résume Jean-Joseph Boillot, conseiller à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) sur l’Inde. "Si vous prenez le classement, vous voyez que ce sont les pays de l’OCDE, les pays riches, qui sont détenteurs de 90% des médailles. Sauf un cas à part: la Chine. Le modèle chinois est un modèle particulier. En général les pays performent aux JO après leur décollage économique. Pour la Chine ça a été programmé, parce que c’est un pays qui planifie les choses à l’avance. Ils ont dit ‘on va devenir riches, donc on va investir dans le sport’. L’Inde, en revanche, n’est pas du tout un pays de planification, qui va entraîner ses sportifs pour le futur."
L’Inde, surtout, n’a pas encore atteint le niveau de développement de son voisin. "Si vous prenez le PIB par habitant, pour l’Inde vous descendez au-delà du 100e rang mondial", complète Jean-Joseph Boillot. "C’est un pays pauvre, très pauvre. Je vais souvent en Inde et je le perçois: le sport y est la 100e roue du carrosse. Il n’y a pas de politique nationale, et pas d’appétence individuelle. Dans ce pays qui est un océan de misère, il y a d’autres urgences que de financer le sport."
Du cricket, et des castes
Sanjay, lui, a une autre piste à avancer. "Je crois qu’on a choisi les mauvaises disciplines", sourit-il. Casquette sur la tête, ce Parisien d’une trentaine d’années, arrivé d’Inde il y a sept ans, longe le Canal de l’Ourcq en direction de l’India House, le Club France à la sauce indienne, installé pendant ces JO 2024 au Parc de la Villette. "Chez nous, les sports rois, ce sont le cricket et le hockey sur gazon, même si les moins de 30 ans sont très branchés foot aussi", dit-il. Problème: le cricket n’est pas (encore) un sport olympique, le football compte déjà son lot de nations fortes, et le hockey sur gazon ne permet, au mieux, que de prendre deux médailles. Et même là, l’or olympique se refuse à l’Inde depuis Moscou 1980.
Smriti Bhat, volontaire à la Reliance Foundation et animatrice de la India House, dresse pour sa part un constat plus nuancé. "Je peux vous garantir que si vous prenez dix foyers indiens, au moins neuf pratiquent le sport. Le sport est important pour les Indiens, notamment les jeunes adultes. Surtout le cricket, sport le plus populaire, et le hockey sur gazon, sport national, mais nous commençons aussi à avoir de bons athlètes en voile, en natation. Et puis il y a aussi le badminton ou le tir", complète-t-elle. Sur les 117 athlètes (70 hommes, 47 femmes) qualifiés pour Paris 2024, les tireurs sont d’ailleurs parmi les plus nombreux (21 représentants) avec les spécialistes de l’athlétisme (29) et les hockeyeurs (19). Et ils ont décroché à eux seuls, depuis Châteauroux, les trois médailles en bronze de l’Inde.
"Ces tireurs, ce sont pour la plupart des militaires", note Jean-Joseph Boillot. "Car ce sont les militaires, pour l’essentiel, qui vont faire le sport olympique en Inde. Le business privé ne s’y intéresse pas pour le moment. Les trois grands groupes industriels du pays, qui font le quart du PIB de l’Inde, qui pèsent 1000 milliards de dollars de chiffre d'affaires, en mettent zéro dans le sport." Et pour comprendre cette singularité, il faut saisir une autre spécificité indienne: celle des castes.
"Dans la hiérarchie sociale, la première caste par le prestige, ce sont les Brahmanes, les prêtres, les intellectuels", décrypte Boillot. "Dans leur culture à eux, le sport, c’est le yoga. Ensuite la deuxième caste, ce sont les commerçants, les grands groupes industriels dont je parlais, les hommes d’affaires. Pour eux l’objectif est encore d’accumuler de la fortune, et le sport n’est pas du tout un élément qui le permet. Il n’y a ni prestige, ni intérêt économique à financer le sport. Et enfin en dessous vous avez les castes les plus pauvres et les hors castes, dont la préoccupation est de savoir ce qu’ils vont manger à midi... Voilà pourquoi on voit très peu de sport en Inde. Ce n’est pas valorisé."
"Le sport, ce n'est pas juste gagner"
À en croire les Indiens rencontrés à la Villette, les choses ont pourtant évolué. "Dans les deux dernières décennies, on a vu beaucoup de changements, plus de respect pour le sport, c’est une bonne chose", se félicite Smriti Bhat. "Les gens en Inde regardent à fond les Jeux olympiques, les membres de ma famille sont branchés sur les smartphones, les PC portables… Ils n’arrêtent pas de m’en parler."
Elle reconnait toutefois une approche culturelle au sport de haut niveau très différente, une autre mentalité. "Représenter l’Inde dans un événement aussi gros, c’est déjà un accomplissement en soi", indique-t-elle. "Vous avez pu voir le message de notre Premier ministre Narendra Modi: le sport, ce n’est pas juste gagner, c’est d’abord participer, partager. Nous, Indiens, partageons totalement cette philosophie. Je ne crois pas qu’une médaille puisse définir un athlète. Ça montre juste qu’il a été performant à un moment donné. Pour moi, qui suis une grande fan de sport, représenter l’Inde est déjà énorme. Et nous sommes très heureux d’avoir ce que nous avons déjà."
À l’ère de la compétitivité à outrance, l’Inde – pays aux valeurs singulières – n’affiche pas une folle soif de médailles. Mais elle a toutefois ses paradoxes. Derrière Smriti Bhat, dans la cour de l’India House, entre deux stands de nourriture et un atelier d’initiation au cricket, le nom de Neeraj Chopra sort des hauts parleurs. Chopra, le champion olympique 2021 de lancer de javelot, une grande première pour l’athlétisme indien. Chopra, la nouvelle idole. "Il est devenu une vraie figure en Inde", admet Smriti Bhat. "Il est passionné par ce qu’il fait, les gens aiment sa personnalité." Les Indiens aimeraient donc aussi les gagnants? "Bien sûr qu’on aime voir nos athlètes gagner", coupe Sanjay. "Une partie de la population trouve malsaine ou déplacée cette envie de résultats, comme si c’était quelque chose de futile. Mais nous, les plus jeunes, on aime voir les Indiens gagner. Il nous faut des modèles comme lui, pour décomplexer les gens, que l’on soit plus tournés vers le sport, plus performants."
Un grand virage pour 2036?
Le déclic se produira-t-il un jour? Peut-être. Et peut-être bientôt, à grands coups de manœuvres étatiques. Car si l’information vous a échappée, l’Inde est candidate à l’organisation des Jeux olympiques 2036, huit ans après Los Angeles, quatre ans après Brisbane. Face à elle aujourd’hui: la Pologne, la Turquie et l’Indonésie, même si le Qatar pourrait sortir du bois.
"L’Inde ne peut pas être une grande puissance globale, sans l’être y compris dans les Jeux olympiques. Les Jeux de Séoul en 1988 ont été vraiment très importants pour la Corée du Sud, le pays a décollé économiquement dans les années 70 et a marqué son époque avec ces Jeux. L’Inde a besoin de s’affirmer avec un même événement", analyse Jean-Joseph Boillot. "Elle a un lobbying assez efficace, et bénéficie de cette image de 'challenger de la Chine'. Son lobby politique devrait marcher, malgré le fait que tout le monde sait que ce sera le bordel (rires)."
L’India House de Paris, tout premier site du genre pour l’Inde dans l’histoire des Jeux olympiques, contribue d’ailleurs à cette entreprise en faisant la promotion de la culture, de l’économie et des traditions indiennes. "Nous voulons vraiment, vraiment, accueillir les Jeux olympiques 2036 en Inde", lance Smriti Bhat. "Nous avons nos chances à 2000%, je suis sûre que nous serons prêts. Mais nous savons que nous devons nous adapter, travailler pour obtenir ces JO." Et enfin monter plus souvent sur la boîte? "Le fait d’obtenir les Jeux 2036 va impulser une politique du sport, mais je pense que ce sera toujours l’armée qui jouera un rôle essentiel", estime Jean-Joseph Boillot. "Après, il y aura par contre un engagement des grands groupes industriels à financer un peu plus le sport. Le groupe Tata et son million d’employés va probablement créer une branche sport. Ça fera entrer l’Inde dans le monde du sport moderne. Mais pour moi, l’Inde sera au mieux dans les 20 premières nations au classement des médailles, il ne faut pas l’attendre sur le podium."
6 Commentaires
Sport De Ville
En Août, 2024 (15:00 PM)L'état du Sénégal doit aussi favoriser le sport de ville, c'est la base.
Les mairies doivent jouer le jeu en vulgarisant dans les quartiers les sports de veille(danse, football, arts martiaux, rugby, tennis, basket) y'a que comme çà qu'on arrive à vulgariser le sport et developer la culture du sport dans les pays.
Beaucoup de mairie en occident fonctionne comme çà.
Le Sénégal en a vraiment besoin surtout chez les femmes. La femme sénégalaise est très sédentaire.
IL faut encourager la pratique du sport chez nous, elles sont très touchés par les maladies sédentaires hypertensions, surpoids, diabète de type 2, perte de masse musculaire.
C'est le travail des mairies.
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En Août, 2024 (17:40 PM)886
En Août, 2024 (15:20 PM)Ba
En Août, 2024 (16:00 PM)Me
En Août, 2024 (16:51 PM)Les lutteurs st meme pas capables de gagner et ils nous fatiguent au Senegal avec ca. Bref that was my take on this .
Me
En Août, 2024 (18:47 PM)Pourquoi le petrol au Senegal, le Senegal n'y gagne presque rien , par faute de moyens et manque de preparation depuis des annees a envoye des senegalais a l'exterieur pour etre forme et gerer ca donc on regardent les autres avec plus de moyen venir le faire chez nous et prendre plus de 80% . What stupidity!!!
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