Moins d'un mois après avoir remplacé "le Vieux", Abdoulaye Wade, à la tête du pays, la jeunesse sénégalaise a de nouveau triomphé de la vieille garde. Cette fois, le combat n'a pas eu lieu dans les urnes mais dans l'arène sableuse installée au centre du stade Demba-Diop, à Dakar. Dimanche 22 avril, deux ténors de la lutte sénégalaise, mélange de lutte et de boxe, avaient rendez-vous pour le "combat du siècle". Et, devant 25 000 personnes en liesse, Balla Gaye 2, 26 ans, a terrassé le "Roi des arènes", Yékini, 35 ans. Après quinze ans de règne sans partage, celui qui avait jusqu'ici "des racines aux pieds" a mordu la poussière pour la première fois de sa carrière.
Depuis, le débat fait rage dans tout le pays : l'ethnie socé de Balla Gaye 2 aurait-elle mis à mal les capacités du Sérère Yékini ? La safara (l'eau bénite), les prières, les sacrifices mystiques et sept mois d'entraînement n'auront en tout cas pas permis au "meilleur lutteur du cinquantenaire" de conserver son trône. Un combat de 2'15'' aura suffi pour que les murs, encore peints de messages politiques, soient recouverts du nom du "nouveau roi de l'arène".
Des mois que le pays attendait le combat. Après l'échec d'un premier jakarlo (face-à-face) à Thiès, à 70 km de la capitale, une conférence de presse diffusée en direct à la télévision avait offert au public le spectacle d'une bataille rangée, avec jets de chaises, bris de glace et armes blanches. L'événement a contribué à faire monter la pression et le prix des billets, dont le moins cher se vendait à 6 000 francs CFA (plus de 10 % du salaire moyen sénégalais).
Le sang versé a surtout déplu aux sponsors et au nouveau gouvernement. L'opérateur de télécommunication Sonatel, principal bailleur de la lutte sénégalaise par le biais de sa marque Orange, a exprimé sa "totale désapprobation devant la surenchère de violence verbale et physique qui tend à s'installer dans le milieu de la lutte". Le président Macky Sall a, lui, réagi avec fermeté et demandé que toutes les mesures soient prises pour "assainir le milieu".
"LA VIOLENCE ET LES FINANCES ONT PRIS LE PAS SUR LE SPORT"
Alioune Sarr, président du très sérieux Comité national de gestion de la lutte (CNG, la fédération) depuis 1994, a désormais sa bénédiction pour contrôler l'ensemble de l'organisation et des acteurs de la discipline, et notamment la poignée de promoteurs qui régit le milieu : Gaston Mbengue, Luc Nicolai ou encore Serigne Modou Niang dit le "promoteur de l'alternance", dont les combats étaient parrainés par les dirigeants du parti du président déchu. "La lutte devrait être une école de vertu. Hélas ! avec les rivalités entre quartiers et l'arrivée de l'argent, la violence et les finances ont pris le pas sur le sport", s'indigne Alioune Sarr.
C'est qu'au Sénégal, la lutte n'est pas qu'une affaire de sport. Les politiques ne s'y sont pas trompés et n'hésitent pas à en reprendre les codes. Entre les deux tours de l'élection présidentielle, Macky Sall a ainsi pris le temps de participer à l'une des nombreuses émissions consacrées à ce sport, "L'Œil du tigre" : "J'ai déjoué le galgal [croc-en-jambe] de Wade. (...) Je n'attends que le 25 mars [date du second tour] pour le poser à terre. Au premier tour, j'ai envoyé Wade chez Ardo [le médecin de la fédération], mais, comme c'est un vieux, je ne vais pas le blesser. Je veux le terrasser doucement..."
Dakar compte aujourd'hui 43 écuries reconnues par le CNG. Officieusement, on parle plutôt de plusieurs centaines. Originaire de Guédiawaye, au nord de Dakar, et considéré comme le principal mécène de la lutte en banlieue, le nouveau ministre des sports, Malick Gakou, explique que, "dans un contexte de précarité et de chômage endémique, la lutte constitue un facteur capable de mobiliser la jeunesse sur le plan sportif". Le ministre, qui a aussi été président d'honneur de l'écurie de Balla Gaye 2, estime que la lutte est également "un accélérateur de développement, générateur d'emplois en banlieue".
Son poulain, issu lui aussi de Guédiawaye, est devenu la nouvelle incarnation des rêves d'une jeunesse désoeuvrée qui a fondé tous ses espoirs dans la lutte depuis que le phénomène "Barça" ou "barsakk" - "Barcelone ou la mort", expression wolof désignant le fait de tenter de rejoindre l'Europe en pirogue - s'est atténué, au début des années 2000.
"IL EXISTE UNE BOMBE SOCIALE EN BANLIEUE"
Selon le célèbre lutteur Mouhamed Ndao, surnommé Tyson, qui a grandi à Pikine, autre banlieue défavorisée de Dakar, "il existe une bombe sociale en banlieue. C'est une raison supplémentaire pour que l'Etat essaie de gérer ce sport de manière professionnelle. Il n'existe pas de meilleur moyen que la lutte pour faire rêver et combattre l'émigration". Tyson est une idole dans son pays. Instruit, il a su tirer profit de son image et fut le premier à atteindre la barre des 100 millions de francs CFA de gains lors d'un combat.
"Avant, la lutte ne profitait qu'aux promoteurs et était considérée comme un sport pour villageois et analphabètes. Tyson a révolutionné tout cela en introduisant le marketing, les coiffures, le style...", développe Mouhamed Ndao, qui, à la manière d'Alain Delon, parle de lui-même à la troisième personne. Il milite pour que les jeunes lutteurs aient les outils intellectuels afin, au minimum, de ne pas être à la merci des promoteurs.
Parmi les quelque 8 000 licenciés que compte le pays, certains combattent gratuitement dans l'espoir de se faire connaître. Un petit lutteur démarre à 15 000 francs CFA le combat. Ils sont une trentaine à atteindre le million de gains en une saison. Au moment de choisir leur surnom, les lutteurs en herbe n'hésitent plus à emprunter des noms de marque (Sococim, Mobil 2 ou Elton) pour attirer les sponsors. D'autres privilégient les hommes politiques. Ainsi, un Yawou Diaal Macky Sall, maigre et édenté, fait déjà ses premiers pas dans l'arène et espère succéder à Yawou Diaal Abdoulaye Wade.
LES MARABOUTS "GRANDS GAGNANTS DE L'ARÈNE"
Les milliers de jeunes qui s'entraînent dans l'espoir de devenir le nouveau roi de l'arène sont extrêmement malléables. Les encadrer est une des nouvelles missions confiées au CNG par le gouvernement. "Il faut rapidement contrôler les écuries. Les jeunes font n'importe quoi, prennent n'importent quoi", déplore Alioune Sarr, qui, dit-il, "cherche des preuves" concernant la généralisation du dopage. "Les entraîneurs doivent se rappeler qu'ils sont avant tout des éducateurs", poursuit le président du CNG.
Seuls quelques lutteurs et leurs marabouts - "les plus grands gagnants de l'arène", selon M. Sarr -, une poignée de gros promoteurs et les sponsors tirent leur épingle du jeu. On parle de cachets de 160 millions de francs CFA pour Yékini, et de 120 millions pour Balla Gaye 2. Ces sommes ne sont pas déclarées au CNG, qui ne supervisait, jusqu'alors, que les contrats signés entre lutteurs et promoteurs, pas ceux qui lient les promoteurs aux sponsors. Et pourtant "80 % de notre cachet vient du sponsoring", assure Tyson. "La récréation est terminée", tranche Alioune Sarr.
Otage du sport roi, la lutte se produit uniquement dans des stades de football. Avec 600 000 entrées par an et des billets plus chers que pour le ballon rond, elle n'a néanmoins pas encore d'infrastructure propre. La création d'arènes nationales a été promise avant même qu'Abdoulaye Wade n'accède au pouvoir en 2000. Promesse que "le Vieux" reprendra à son compte mais qui restera lettre morte.
Cette fois, "toutes les dispositions seront prises pour que la première pierre soit posée lors du premier mandat du président", jure le nouveau ministre des sports. Malick Gakou assure qu'il ne ménagera "aucun effort pour magnifier ce sport" et promet d'instaurer "la transparence et l'éthique". Un vaste chantier.
"Pape Diop, le président du Sénat, a dépensé sans compter. Et Wade nous aidait. Des valises pleines d'argent !", témoigne Diécko, wadiste convaincu et président fraîchement évincé de la puissante Amicale des amateurs de lutte du Sénégal. Le nouveau président, Macky Sall, souhaite, lui, que la lutte incarne les valeurs qu'il a promis de donner à son mandat.
Dorothée Thiénot (Dakar, correspondance)
19 Commentaires
Péé
En Mai, 2012 (02:41 AM)Wazy
En Mai, 2012 (02:42 AM)Ziz
En Mai, 2012 (02:42 AM)Yoooo
En Mai, 2012 (02:47 AM)Sale Macky
En Mai, 2012 (03:09 AM)Ce qui est destiné à l'usage personnel c'est le traitement (salaire) confortables et les avantages qui vont avec (carburant, logement, personnel de maison,etc.).
Cette mentalité de rapace est affirmée ici par Macky Sall comme étant normale. IL revendique même avoir acquis de biens personnels avec les fonds politiques. Et évidemment, comme Idrissa Seck, il pourra dire que jusqu'à l'extinction du soleil, personne ne pourra prouver qu'il a détourné de l'argent public. Et c'est très grave.
Sed
En Mai, 2012 (03:31 AM)Bbrassa
En Mai, 2012 (04:33 AM)Auditbooleer
En Mai, 2012 (07:22 AM)Vous les sponsors, les télévisions ainsi que le CNG, vous êtes les vrais responsables!
Ano
En Mai, 2012 (07:37 AM)Seven
En Mai, 2012 (07:56 AM)LA TERRE BIENTOT LA SAISON DES PLUIES BRAVES ASPIRANTS LUTTEURS ET ENSUITE TOURNER DANS L'ARENE
Salambaye
En Mai, 2012 (08:03 AM)Skrdj
En Mai, 2012 (08:05 AM)Verite
En Mai, 2012 (10:00 AM)Wade a parfaitement raison. En faisant cette comparaison ,on saura exactement ,qui a bien ou mal gere.
Contrelalutte
En Mai, 2012 (10:02 AM)Jamane
En Mai, 2012 (10:37 AM)Saliouu
En Mai, 2012 (11:48 AM)Aussi Alioune Sarr dirige le CNG depuis 1994, à quand l'alternance au CNG. Yen a marre
Deug
En Mai, 2012 (15:55 PM)Babasse
En Mai, 2012 (18:42 PM)Yasir
En Mai, 2012 (22:11 PM)Participer à la Discussion