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Cérémonie de dédicace : Yoro Dia alerte sur une démocratie sénégalaise figée dans l’éternel recommencement

Auteur: Moustapha TOUMBOU et Oumar PENE

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Ce samedi 12 juillet, devant un parterre d’intellectuels, d’anciens ministres et de hauts fonctionnaires, Dr. Yoro Dia, ancien ministre et ex-coordonnateur de la communication présidentielle, a présenté ses deux derniers ouvrages : « Le Sénégal, une démocratie de Sisyphe » et « Les intellectuels sénégalais dans la marche vers la première alternance, l’exception démocratique en question(s) ».
« Quand on dit ‘démocratie de Sisyphe’, ça veut dire que c’est un éternel recommencement », a-t-il d’emblée expliqué. Le débat démocratique, selon lui, stagne. « Depuis 1983, le débat public au Sénégal n’a pas évolué : ce sont les mêmes questions électorales, les mêmes règles du jeu qui reviennent ».
L’ancien porte-parole de la présidence a détaillé une mécanique bien huilée : alternances électorales saluées à l’international, transitions apaisées… mais retour systématique aux sempiternels débats institutionnels. « Abdoulaye Wade, le 19 mars, installé le 1er avril. Macky Sall, élu le 25 mars, installé le 1er avril. Diomaye Faye, élu le 24 mars, installé le 1er avril. Cela montre la solidité de notre administration ». Pourtant, l’après-scrutin semble toujours bloqué à la même étape. « On revient systématiquement aux mêmes débats : règles du jeu, réforme de la justice, code électoral, dialogue national… », liste-t-il.
Pour nommer ce phénomène, Yoro Dia emploie un mot wolof : Dem dik. Il s’explique : « nos standards démocratiques nous placent au niveau de la Suède ou du Royaume-Uni, mais dès le lendemain, la classe politique nous ramène au niveau du Congo ». Et si le Sénégal a longtemps été considéré comme une exception démocratique, l’ancien ministre regrette qu’il n’ait jamais transformé cette avance politique en performance économique. « Le cerveau de la classe politique, pourtant brillant, est piraté à 95 % par la question électorale », pense-t-il.
Pourtant, il y voit une opportunité immense : « Le Sénégal est aujourd’hui dans la même situation que la Suisse en 1648 : stable, entouré de pays instables. Mais nous n’avons jamais profité des dividendes de cette stabilité ».
L’idée d’un pays figé dans l’électoralisme revient comme un leitmotiv. « Avant 2000, il fallait brûler des pneus pour créer un rapport de force. Aujourd’hui, les citoyens savent que le système fonctionne. Ils votent dans le calme, tandis que la classe politique reste dans l’agitation », dit-il. Il ajoute : « Nous avons raté l’alternance de 2000, celle de 2012 et déjà celle de 2024, à cause de ce recommencement ».
Même les appels au dialogue national semblent, pour lui, englués dans la répétition. « Les termes de référence du dialogue national convoqué par le président Diomaye Faye, c’étaient quasiment les mêmes qu’en 1999 : statut de l’opposition, financement des partis ».
Yoro Dia distingue deux âges dans le développement démocratique. Le premier est celui de la querelle institutionnelle. Le second est celui qu’il appelle, en reprenant Benjamin Constant, « la jouissance de l’affaire privée », autrement dit la gouvernance orientée vers la création de richesse. « Aux États-Unis, en France, on débat d’économie, de fiscalité. Personne ne parle des règles du jeu », fait-il savoir.
Il plaide pour une redistribution des rôles dans le débat politique : « Il faut chasser les juristes du débat politique. Il faut y faire entrer des entrepreneurs, des économistes, des industriels pour passer de l’exception démocratique à l’exception économique ».
Dans son second livre, « Les intellectuels sénégalais dans la marche vers la première alternance » Yoro Dia revient sur les ressorts intellectuels qui ont accompagné la première alternance démocratique au Sénégal. En ce sens, il déclare : « Le Sénégal a un avantage absolu : la qualité de sa ressource humaine. Le pétrole peut s’épuiser. Mais la compétence humaine, elle, est durable ». Il y pointe une démocratie « excessive », phagocytée par des préoccupations électorales. Pourtant, indique-t-il, les intellectuels et les médias ont activement contribué à ouvrir la voie à l’alternance. « Les radios en wolof ont démocratisé l’accès au débat pour ceux qui ne parlaient pas français ».
Il cite la professeure Aminata Diaw : « On est passé d’une démocratie des lettrés à une démocratie des masses ». Il évoque aussi Céline Morbay qui notait que « les deux tiers des électeurs avaient moins de 20 ans, et ne voulaient plus de gérontocratie ». Pour Yoro Dia, ces voix ont agi comme « des Témoins en disant aux Sénégalais « Réveillez-vous ».
À la question sur la manière de réinitialiser le débat politique pour qu’il porte davantage sur des sujets d’intérêt commun, l’intellectuel estime que la question économique a toujours été le « parent pauvre du débat ». Il précise que même dans les zones de tension, l’angle économique n’est jamais mis en avant. « Sur la crise en Casamance, jamais un débat économique », ajoute-t-il.
Pour l’avenir, Dr Yoro Dia a une ambition claire : « L’objectif, dans dix ans, c’est d’être comme la Suisse : le pays le plus riche d’Afrique de l’Ouest ». Pour cela, il faut, selon lui, sortir de la fascination pour le processus électoral : « Aujourd’hui, l’alternance ne doit plus être un exploit, mais une banalité. Donc on ne doit pas encore se glorifier que le pays a une alternance pacifique ».
Auteur: Moustapha TOUMBOU et Oumar PENE

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