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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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CONTRIBUTION: Lettre à Bara Tall

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CONTRIBUTION: Lettre à Bara Tall

 

Je ne suis pas entrepreneur BTP. Non plus évaluateur de chantiers. Je ne suis pas juge. Non plus contrôleur des finances publiques. Je ne peux donc soutenir et assumer que mon intime conviction. Vous avez dit, de ce que j’ai lu dans la presse : « Même si l’on me donnait cent milliards, je ne donnerai aucune caution parce que je n’ai rien fait ».

Je suis avant tout philosophe de formation et le doute m’a toujours été d’un compagnonnage précieux. Pourtant, votre phrase m’a emporté. Elle m’a transi comme l’aile lumineuse de la vérité au crépuscule. Votre phrase, M.Tall, a définitivement fondé ma conviction que votre place est sous le soleil de plomb des chantiers, précisément sur les lieux souvent difficiles où se déploie le génie humain pour concevoir, construire, se mouvoir, habiter et penser. Je le dis parce que votre phrase a quelque chose de vrai, d’authentique, de fort et, en même temps, de fragile car elle est portée par un corps forcé à vivre dans une sinistre enclos.

Socrate aussi ne protesta pas devant ses juges. Ma posture philosophique me dicte de le rappeler. La sérénité dont le philosophe grec a fait montre cohère parfaitement avec le propos vrai, compliqué et conclusif de sa ligne de défense après que les juges l’aient condamné à boire la ciguë. C’était en 399 avant JC. Il avait soixante dix ans. Socrate mit en effet ses juges face à une éternelle angoisse : entre eux ici-bas qui continueront de vivre et lui qui va mourir, lequel est le plus heureux ? Le sage d’Athènes venait de dire ainsi définitivement l’inconsolable tristesse de ses bourreaux du fond de sa joyeuse immortalité. « Un homme qui s’est appliqué durant cette vie à la vertu, doit mourir avec une grande espérance ». Ajoutons à la vertu, pour être plus clair, la justice, la dignité, le courage, le beau et le Bien.

Vous, M. Tall, entrepreneur. Moi, philosophe. Voilà que le destin me force à m’adresser à vous. Je sais que vous savez : nous ne nous connaissons pas. Nos chemins se sont croisés une ou deux fois. Je me souviens en tout cas que nous avons échangé une poignée de main, un soir, à Washington. Le Président Wade recevait alors un de ses Prix. Vous aviez un regard fuyant et c’est à peine si vous n’étiez pas comme ce personnage de Woody Allen que la caméra ne « capture » que dans son absolu flou. Parce que, semble-t-il, vous êtes trop peu sensible aux mondanéités de la même manière qu’elles m’indiffèrent.

Bref, nous ne nous connaissons pas, M. Tall. N’avons jamais eu de contact téléphonique. N’avons jamais convenu d’un rendez-vous. Mais il se trouve que le destin et l’infernale machine politico-étatique ont fait de vous un point capital dans la séquence en cours que traverse difficilement et douloureusement notre pays. Je crois comprendre, chez Einstein, que le hasard n’existe pas, car le hasard serait le chemin qu’emprunte Dieu sous le sceau de l’anonymat. Du pseudonyme ! Je le dis sans ambages : vous avez été là au mauvais moment. Nul n’ignore en effet qu’une meurtrière guerre de succession a été ouverte dans l’immédiat après-19 mars. Après tout, vous n’êtes que l’ombre forcée d’une des parties en conflit, M. Idrissa Seck en l’occurrence. En vérité, depuis 2000, la question de la succession a été brutalement posée. Elle fait rage aujourd’hui parce que son enjeu, pour toutes les chapelles en scène dans le camp libéral, se situe à deux niveaux : le contrôle des ressources et celui des leviers du Parti-Etat. Idrissa Seck, Aminata Tall, Macky Sall, Karim Wade, Modou Diagne Fada, Farba Senghor, Ousmane Ngom, chacun jour et jouera de plus en plus sévèrement ses « chances ». Au sein de la « génération du concret » comme entre celle-ci et les « témoins des périodes de braise », le temps des cadeaux est périmé.

On peut dire, par ailleurs, que la guerre intra-pouvoir pour la succession va de plus en plus prendre des allures spectaculaires avec l’entrée en scène de nouveaux acteurs. Djibo Kâ, Abdourahim Agne et, dans une position âprement « dialectique », Landing Savané, sont en vérité des alliés très peu ordinaires. L’ancrage des deux premiers dans l’opposition était plus qu’improbable du fait de l’étroitesse de leur espace de déploiement, tandis que le troisième mesure bien que les assurances données à Wade peuvent jouer lourdement sur la balance lorsqu’il s’imposera au Président d’opérer des choix décisifs dans un contexte où son Parti est voué fatalement à l’atomisation au fur et à mesure que s’approche l’échéance de sa retraite.

Tel est l’arrière-fond de la scène qui explique l’extrême et inquiétant « désordre politique », selon le mot de Pierre Lenain, silence fait sur les manœuvres ombrageuses au sein de l’opposition, l’épisode indiscernable de l’appel de la Korité ou les clameurs au sein la société civile, ou encore les menaces répétées contre ceux qui portent le doute et la question dans leur chair et leur sang, voire le montage du dernier attelage gouvernemental. La bataille pour la succession est vraiment ouverte et est ouverte l’ère des alliances et des ruptures, des combinaisons et des recompositions !

Vous êtes ainsi, M. Tall, dans une pièce de théâtre qui vous échappe, dont le metteur en scène lui-même semble perdre le fil du jeu et, par conséquent, la direction des acteurs. Voilà pourquoi, vous devez sortir immédiatement de cette scène et tous les spectateurs doivent crier fortement « Rideau » et vous arracher des planches. Parce que cette pièce de théâtre est loin de traduire les bruits de fond et les profonds désirs des millions de Sénégalaises et Sénégalais.

Votre place, pour dire les choses sans le biais de la métaphore, n’est pas dans cette prison qui, à force de refermer si frénétiquement ses portes sur des libertés, n’a même plus la vertu du mystère et du tragique. Votre place, et ceux qui vous ont conduit dans les enclos liberticides devraient le comprendre, est dans l’entreprise : libre et créatrice de richesse, respectueuse de son capital humain et dotée d’un seuil élevé d’utilité sociale. De nombreux Sénégalais, y compris vos employés et collaborateurs, ont témoigné pour vous sur ces quatre marques distinctives de l’entreprise citoyenne.

Un de mes maîtres, Spinoza, disait que « seuls les hommes libres sont reconnaissants les uns envers les autres ». Je témoigne ainsi que le Président Wade a souvent désamorcé des bombes. Je suis d’avis qu’il a le devoir impérieux et urgent de désamorcer celle-là en rendant Bara Tall à sa famille, à son entreprise, à l’entreprise sénégalaise et aux Sénégalais soucieux de la liberté et de la sécurité de ses fils qui ont osé investir et entrepris de créer des « cathédrales » qui les survivent. Enfin…

El Hadj H. KASSE
Ecrivain-Journaliste



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