L'ancien ambassadeur de France au Sénégal redoute qu'Aqmi affiche des revendications maximalistes.
LE FIGARO. - Comment expliquez-vous que la revendication n'arrive qu'une semaine après le rapt ?
Jean-Christophe RUFIN. - Il y a d'abord des raisons logistiques. Les ravisseurs ont dû certainement séparer les otages, pour mieux échapper aux poursuites. Mais c'est surtout le signe d'une division au sein d'Aqmi, traversée aujourd'hui par deux lignes de fracture. La première met face à face sa direction, restée au nord dans le maquis algérien autour de l'émir Abdelmalek Droukdel, et les katibas sahéliennes du Sud, qui sont non seulement éloignées de leur direction, mais aussi loin les unes des autres. Or ces phalanges ont pris de l'importance, à la faveur de leurs prises d'otages et grâce au vaste espace désertique, qui leur a permis de nouer des contacts avec toutes sortes de groupes, terroristes pour les uns, mafieux pour d'autres. Du coup, depuis la montagne, la direction d'Aqmi a du mal à contrôler ses troupes. La seconde fracture, est-ouest, met en scène les deux principales katibas sahariennes : celle de Mokhtar Belmokhtar, à l'ouest, qui a une tradition plutôt criminelle et qui négocie ses otages contre de l'argent, et celle d'Abou Zeid, à l'est, favorable au djihad global, donc plus dangereuse. (Le porte-parole d'Aqmi a confirmé dans la soirée qu'Abou Zeid a conduit l'enlèvement des Français, NDLR).
Doit-on redouter que ce groupe n'entre pas dans une logique de négociations avec la France ?
Ce groupe-là est inquiétant. On n'est pas loin de la logique du sanguinaire Zarqaoui (l'ancien chef d'al-Qaida en Irak, NDLR). Voudra-t-il retirer des bénéfices matériels de son méfait ? Pas sûr. D'autant que la France ne veut plus verser de rançon à Aqmi. Et elle a raison : la ligne relativement dure qui consiste, non pas à intervenir nous-mêmes, mais à soutenir les Nigériens et les Mauritaniens, est la ligne de bon sens. Mais le levier des prisonniers Aqmi détenus en Algérie ne pourra pas non plus être actionné dans d'éventuelles négociations, car Alger s'y refusera. Quant à la Mauritanie, elle est sur un axe intransigeant. Cela étant, le fait que les otages soient des salariés d'une grande entreprise peut offrir deux lignes de négociations secrètes. L'une, offensive, menée par le gouvernement français, et, parallèlement, Areva, qui pourrait prendre des contacts en vue de négocier. Cela donne deux fers au feu.
De quels appuis régionaux la France dispose-t-elle ?
La Mauritanie et, à un degré moindre, le Niger ont la volonté d'agir contre le terrorisme, mais ils ont peu de moyens. De son côté, l'Algérie est l'un des rares pays à avoir et la volonté et les moyens, mais Alger ne veut pas que ce soient des forces étrangères, américaines, et encore moins françaises, qui se chargent du combat antiterroriste. Les Algériens ne veulent personne dans leur zone d'influence. Cela étant, on peut coopérer avec Alger, si on sait les rassurer sur nos objectifs. Le problème, c'est le Mali, qui n'a pas les moyens d'agir, et jusqu'à présent, n'en avait pas la volonté.
Y a-t-il risque d'exportation en France du combat djihadiste par Aqmi ?
À travers ce kidnapping, Aqmi cherche à accroître sa notoriété internationale. Elle va se livrer à une vaste opération de communication djihadiste. Mais je ne crois pas du tout qu'Aqmi ait aujourd'hui les moyens d'agir en France. Cela étant, l'agitation créée autour de cette affaire et, peut-être, sa victimisation, si demain Aqmi est frappée, risquent d'avoir des conséquences importantes. Car le danger réside dans le fait qu'Aqmi va chercher à faire bouger des groupes en France, sans liens organiques avec elle, des cellules dormantes qui, par solidarité, entreraient en résonance avec son combat djihadiste contre l'Occident.
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