Alhaji Muus

A Birago Diop mon mentor d’antan et toujours Maître, j’ai emprunté un petit conte, pour le plaisir gourmand de le réécrire…

En raison de son caractère sournois, tout le monde a fini par oublier son véritable nom, Wund-le Chat plus connu sous le sobriquet de Muus-Malin qui lui colle jusque dans l’allure et le regard. Il déjoue la vigilance des ménagères dont elle chipe les denrées ; Les gamins, tapis derrière leur pigeonnier, le guettent, lance-pierres au poing. Siiru, son oncle paternel retiré en brousse, depuis les temps immémoriaux, jouit de la même mauvaise réputation auprès des trappeurs d’oiseaux.

Muus-le chat, pris d’on ne sait quels remords, décida sur ses vieux jours  de ne plus dévorer vives ces  innocentes créatures que sont les souris. Il s’en ouvrit à Xar-le mouton, son proche voisin de basse-cour qui lui tint ces propos:

- « J’admire ta sagesse fraîchement acquise…D’ailleurs, ces jeux de chat et souris, ces courses poursuites ne sont plus de ton âge. Mets-toi à l’herbe. C’est bien plus sain, ça pousse  partout et pas besoin de se battre pour avoir sa part…  Imagine un peu le désordre sur terre si Ñey-Eléphant, Njamala-Girafe et autres zèbres se nourrissaient des petits comme toi et moi… »

- « Oui, mais comment vais-je me débarrasser de cette si vieille compagne qu’est l’habitude ? Xar donna sa langue au chat….

Muus, désemparé, consulta Bëy-Chèvre  Nag-Vache et même Mbaam-Ane, souffre douleur de l’enclos….Aucun avis ou conseil n’allait au delà de l’herbage ou des feuillages. En dernier recours,  le matou s’approcha de Ganaar-la Poule qui recula d‘un mouvement de crête tout en déployant une aile protectrice par-dessus ses poussins. Son vieux compagnon Séex-le Coq, perché non loin de là, lança un retentissant cocorico en guise d’avertissement; lui et les siens n’ont jamais eu confiance au félin.

Sur ces entrefaites, un marabout-saisonnier, en collecte annuelle de sa part indue des récoltes paysannes arriva. Muus, quoique n’ayant jamais ni semé ni planté, demanda audience… Le religieux qui espérait sans doute que le carnassier lui débusquerait quelque perdrix pour améliorer son couscous de bienvenue le reçut et lui parla longuement des mérites d’épargner la vie d’autrui ainsi que des vertus  du pèlerinage à la Mecque.

Muus commença sa diète en se nourrissant, comme les corbeaux, charognards et autres espèces nécrophages. Le temps de la Mecque arriva… Muus noua son baluchon, fit ses adieux et partit. Le pèlerinage battait son plein. Muus s’acquitta consciencieusement des rituels prescrits dont les allers et retours entre Safa et Marwa. Au lieu dit Jamra, l’ancien prédateur se prêta avec une application particulière au geste symbolique de lapider Satan. On eût dit que chacun de ses  jets de pierre lui exorcisait ses propres démons de carnassier. Au dernier jour du pèlerinage Muus fit plaquer d’or ses canines meurtrières, se promettant désormais d’afficher des sourires de paix à Jinax-la Souris plutôt que de lui mordre dans les chairs.

Et Muus revint au pays. Ses femmes apprêtèrent toutes sortes de mets pour le repas de bienvenue : pigeon, pintade, foie de mouton. Alhaji Muus ne toucha à aucun plat, arguant des fatigues du voyage, se retira dans son trou privé du labyrinthe familial, le ventre inassouvi.

Vers minuit, n’y tenant plus, Muus se débarrassa de ses babouches mecquoises et, à patte de velours, fît le tour de la concession… La communauté souris qui l’avait congratulé, le matin même, célébrait au clair de lune la fin de sa peur millénaire des félins de basse cour. Les canines en feu, la bave aux babines, Alhaji Muus joignant les pattes au ciel comme dans une ultime prière, bondit sur une grassouillette de souris, lui planta les crocs dans le cou et l’engloutit avec un immense soupir de soulagement.

Conclusion de Birago : « la Mecque n’a jamais changé personne ».

Oh, que si Maître…! L’on en revient meilleur ou pire qu’avant.