Déroutante ou prévisible

Déroutante, pour certains, prévisible, pour d’autres. La sortie de l’ex Premier ministre, Idrissa Seck, est diversement appréciée, surtout dans un contexte où le vainqueur de l’élection présidentielle du 25 février dernier a décidé de relancer les dossiers judiciaires des opposants Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Amath Dansokho et Idrissa Seck. 

Déroutante, pour ceux qui s’attendaient à un déballage de la part du maire de Thiès. Des révélations sur les fonds politiques, les Sénégalais n’en sauront pas davantage. Idy a zappé, en adoptant le silence comme mode de communication. Pas un seul mot, pas même une allusion sur les accusations du Président Wade au sujet des fonds politiques. Rien ! Mépris ou souci de prendre de la hauteur, surtout quand le peuple vous place dans une position de « chef de l’opposition » ?

Le temps des CD est-il révolu ? Et celui du déballage, de l’invective, de la parole assassine… mais qui n’apporte rien de positif et de constructif au débat ?

Lui et moi. Une dualité à mort. Ah, nos oreilles bourdonnent encore de ces piques, qui nous donnent envie de vivre une autre façon de faire de la politique, au sens grec du terme.

Une séquence, certainement, dans la vie d’un homme politique qui se trouve aujourd’hui dans une position de devoir capitaliser ses erreurs pour ne plus s’aliéner le moindre suffrage des Sénégalais. Surtout quand l’horizon 2012 devient celui des « possibles », mais avec de réels espoirs pour le maire de Thiès qui a pris la deuxième place lors du dernier scrutin présidentiel.

Ceux qui s’attendaient à voir un Idy belliqueux, rendant coup sur coup, ont fait fausse route. En « bon » politique, il veut certainement profiter des erreurs de son « ex-père » accusé par son opposition et des segments de la société civile d’emprunter la voie « politicienne » de l’invective pour divertir ses adversaires de la présidentielle qui pourraient être contraints et forcés de faire l’unité lors des législatives. En rompant hier, le lourd silence observé depuis plus d’une semaine, l’ex. Premier ministre veut surtout marquer sa différence avec le leader du Pds. La dualité implique cette fois-ci une différence de comportement.

Donc, sa sortie d’hier, s’inscrit dans l’ordre normal des choses, surtout pour des politiques qui savent analyser des situations et profiter des opportunités du moment. Situationnistes, pour caricaturer le philosophe Jean Paul Sartre.

Prévisible, alors, car le souci de faire bonne impression est bien réel. Idrissa Seck fait d’abord figure de bon perdant, en félicitant Me Wade, contrairement à certains candidats de l’opposition qui voient derrière la victoire de MeWade une grosse machine de fraude. En dehors du candidat Petit Mbaye qui a félicité Me Wade, mais soupçonne une mascarade, lui parle de « choix de Dieu » (déclaration faite en wolof où il soutient que Me Wade a été choisi par Dieu). Cette image du croyant qui voit derrière les actions des hommes (comme le choix des électeurs lors du scrutin du 25 février) le décret divin, est conforme à celle que « Mara » a toujours vendue à l’opinion sénégalaise, en particulier. On pense à cette fameuse phrase : « je rends grâce à Dieu… », avec des références coraniques qui viennent étayer un propos. Cette fois-ci encore, Idrissa Seck n’a pas dérogé à la règle : « Je remercie Dieu d’abord pour m’avoir permis de participer à cette élection présidentielle, malgré tous les obstacles qui ont été placés sur mon chemin », dit-il. La figure de Dieu comme grand Protecteur, Bouclier contre le mal est mise en avant. Cela peut-il laisser indifférent, dans un pays profondément croyant où les appels au calme des religieux se sont multipliés à la veille du scrutin demandant à tous les candidats d’accepter le verdict des urnes, de Dieu, puisque pour eux (religieux), c’est le Créateur qui met à la tête du pays qui il veut. Le maire de Thiès va plus loin, en formulant des « prières » pour que « l’action future du Président Wade, ainsi que celle de l’opposition, soient au bénéfice exclusif du Sénégal ». Son message est de signifier à l’opinion qu’il fait de la politique pour le bien exclusif des populations. C’est « Rewmi » (le nom de son parti) qui s’invite dans la danse. Tout un programme.

Puis, l’ex Premier ministre se glisse dans la peau d’un rassembleur qui reconnaît certes les différences (exhorte toutes les Sénégalaises et tous les Sénégalais de quelque obédience politiques qu’ils soient…), mais invite tous les acteurs de la société à travailler pour le développement de leur pays. Croyant et matérialiste, les deux faces d’une même pièce. Ces cibles peuvent parfaitement se reconnaître dans ce discours.

Il ne pouvait non plus, dans cette sortie, se permettre d’oublier de remercier les Sénégalais et les Sénégalaises qui ont voté pour lui, en portant leur choix sur sa « modeste personne ». Tout en « compatissant avec tous ceux qui ont eu à subir physiquement ou des dommages matériels issus des quelques actes de violence dont la campagne a été le théâtre ». L’ex Premier ministre fait de la « relation publique ». Combien d’électeurs de « Rewmi » seront touchés par cette marque de « considération ». Et que dire de cette volonté affichée de casser l’image de quelqu’un de suffisant, hautain, qui n’en fait qu’à sa tête. Idrissa Seck met les électeurs dans le coup en reconnaissant que sans eux, il n’est rien, sinon une « modeste personne »..

La sortie n’est pas décalée, non plus inopportune. Elle s’imposait pour marquer la différence. Mais si elle peut redresser une image et faire récolter des dividendes aux prochaines échéances électorales, cette sortie peut aussi contribuer à alimenter des soupçons chez les personnes qui croient dur comme fer que Gorgui et Ngorsi mènent le peuple en bateau. D’aucuns verront certainement dans cette sortie des indices d’un rapprochement entre Idy et Wade, en direction des élections législatives ? Interdit de parier.