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Politique

Eclairage - Falilou Kane, ancien ambassadeur : «Il faut que la diplomatie sénégalaise retrouve son lustre»

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Eclairage - Falilou Kane, ancien ambassadeur : «Il faut que la diplomatie sénégalaise retrouve son lustre»

Ambassadeur du Sénégal au Canada sous l’ère Senghor, puis à Washington et à Bruxelles avec l’avènement du Président Abdou Diouf à la magistrature suprême, Falilou Kane a occupé d’importantes fonctions diplomatiques pour le compte du Sénégal. En retraite aujourd’hui dans sa somptueuse villa du quartier résidentiel du Point E, c’est l’affaire des diplomates sénégalais soupçonnés dans une contrebande de boisson alcoolisée au Brésil qui vient l’extirper de sa réserve. Dans cet entretien, l’ancien ministre du Commerce dissèque les déboires de la diplomatie sénégalaise depuis l’alternance, dont le dernier en date fait l’actualité au pays du Président Lula.

Aujourd’hui, c’est une affaire de diplomates sénégalais pris par la police fédérale brésilienne dans une affaire de trafic de boisson alcoolisée qui fait l’actualité. Quel est le sentiment qui vous anime par rapport à cela, en tant qu’ancien diplomate ?

C’est un sentiment malheureusement de honte. Et d’humiliation. Quand vous avez fait un parcours et quand vous avez vu émerger d’éminentes personnalités de votre pays qui ont occupé à travers le monde des fonctions tant convoitées et honorables, on ne peut être que triste de voir ce qui se passe aujourd’hui. Le premier Africain à la Cour internationale de justice était sénégalais. C’est Isaac Foster. Par la suite, il a été remplacé par Kéba Mbaye qui a occupé les mêmes fonctions. A Air Afrique, le premier Président directeur général, Cheikh Fall a mis sur pied une compagnie admirée, solide, qui était la 17e compagnie du monde, était sénégalais aussi. Quand on a eu Doudou Thiam à la présidence de la commission de loi internationale qui fait la législation pour tout ce qui concerne le Droit international, quand on a Babacar Ndiaye à la Banque africaine de développement (Bad), je peux citer des noms et des noms… On ne peut être que triste de voir aujourd’hui, des diplomates sénégalais soupçonnés de trafic d’alcool puisque c’est de ça dont il est question.

Comment cela a-t-il pu se passer ?

Les diplomates sont régis par une convention appelée la convention de Vienne. C’est la charte où l’on dit ce qui est faisable et ce qui est interdit. Cette convention date d’avril 1961. Elle donne pour les Etats qui ont accepté de la signer des immunités et des privilèges pour leurs diplomates. Le Sénégal envoie des diplomates partout et les pays qui les reçoivent doivent respecter cette convention. Le Sénégal reçoit des diplomates et applique les dispositions de cette convention comme protéger les diplomates et leur donner des privilèges dans certains domaines pour leur permettre d’accomplir leurs fonctions dans de meilleures conditions.

Ce qui veut dire que les diplomates doivent savoir ce qu’il y a dans cette convention. Jusqu’où ils peuvent aller, ce qui est autorisé et ce qui est interdit. Ce qui est interdit, c’est tout ce qui est interdit dans le pays où ils se trouvent. Un diplomate accrédité au Sénégal ne doit pas s’adonner à un trafic de drogue, d’armes et de produits importés. Ce qui est autorisé est pour l’usage exclusif du diplomate et de sa famille. Et ça à chaque fois, il y a une demande qui est faite, qui passe par le ministère des Affaires étrangères et la douane qui est approuvée par la douane ou les impôts, selon le cas.

Dans le cas de l’affaire des diplomates sénégalais basés au Brésil, d’après ce qu’on sait, c’est que ces derniers ont acheté en détaxe de l’alcool et se sont livrés à un trafic. Vous achetez un litre à 9 dollars (Ndlr : environ 4 950 francs Cfa) et vous le revendez à 90 dollars (Ndlr : environ 49 500 francs Cfa), cela veut dire que la différence ne va pas dans les caisses de l’ambassade, mais dans les poches d’un ou des individus. Ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait délibérément, et ont été pris la main dans le sac. A partir du moment où le pays d’accueil fait des investigations et découvre qu’il y a eu trafic, la première chose aurait dû être dans la pratique diplomatique, d’informer le pays qui a envoyé ces diplomates pour qu’il puisse prendre des dispositions avant d’aller devant la presse. Partout à travers la presse mondiale, on parle de ces diplomates sénégalais. Qui sont-ils ? Je ne peux pas dire exactement, mais on le saura plus tard. Ils ont abusé de leurs privilèges. Toujours est-il qu’il y a eu des nominations fantaisistes.

Cela ne pose-t-il pas encore une fois l’épineux problème du choix des diplomates sénégalais ?

Nous diplomates qui avons exercé cette fonction, quand nous avons entendu dire un jour qu’on pouvait nommer un chauffeur ambassadeur, on s’est dit : «A quoi ça servirait alors de créer une Ecole d’administration et de magistrature ? A quoi servirait une convention que l’on doit respecter si n’importe qui pouvait être ambassadeur ?» Cela veut dire en quelque sorte que c’est l’image de notre diplomatie qui en prend un sacré coup. Il y a dans plusieurs postes, des personnes qui ont été nommées, qui n’avaient ni le profil, ni l’expérience, ni la compétence. Quand quelqu’un se présente avec des rastas en disant qu’il représente le Sénégal et qu’il est ambassadeur du Sénégal, ça pour nous, c’est inimaginable. Parce que nous à l’époque, le Président Senghor faisait procéder à une enquête de moralité. Si on devait nommer quelqu’un, il fallait faire une enquête de moralité et joindre la proposition au dossier pour qu’on puisse apprécier si cette personne est digne de représenter son pays à l’extérieur, de parler au nom du chef de l’Etat, d’agir au nom du gouvernement et du pays.

Aujourd’hui, malheureusement cela ne se fait plus. Aussi bien au niveau des ambassadeurs que des gens qui sont envoyés comme de simples agents ou encore des conseillers.

Alors, nous assistons aujourd’hui au résultat de tout cela. Nous avons besoin aujourd’hui de nettoyer les écuries, et de rendre l’image du Sénégal aussi reluisante qu’elle l’était. Il y a une remise en ordre qui doit être faite. Au Sénégal, ce n’est pas des diplomates qui manquent, ils sont dans les ministères. Des jeunes qui ont les capacités et l’expérience et qui tournent les pouces. Pourquoi ?

Vous parliez tantôt de l’image du Sénégal qui a pris un sacré coup avec les déboires diplomatiques répétitifs. Quelle conséquence peut avoir cette nouvelle affaire sur l’image du Sénégal ?

Il faut reconnaître tout de même que ce n’est pas la première fois que ça arrive. Cela est arrivé à des diplomates d’autres pays, c’est cependant la première fois que ça arrive dans l’histoire diplomatique du Sénégal. On va en parler pendant quelque temps, mais on va attendre le Sénégal au tournant pour voir s’il va y avoir des sanctions d’une part et d’autre part, s’il va y avoir ce nettoyage dont j’ai parlé. Il faut que notre diplomatie retrouve ses lustres. Car aujourd’hui, si je vois le nom de certains ambassadeurs et qu’on me dise tel est ambassadeur dans tel pays, et quand je me renseigne, je me rends compte qu’il y a un recul énorme. Parallèlement, beaucoup de jeunes qui ont occupé ces postes, ont fait leur rampe, comme dans l’Armée, et quand les autres estiment qu’on a mis à la tête quelqu’un qui n’a ni la compétence, ni l’expérience, encore moins les diplômes qu’il faut pour être à la tête d’une ambassade, ça pose des problèmes…

Quelles sont les critères qui doivent prévaloir dans le choix d’un ambassadeur ?

La nomination d’un ambassadeur est laissée à la discrétion du chef de l’Etat. Mais celui qui est de la carrière, sait qu’il doit passer par une certaine gradation. Celui qui sort de l’Ecole nationale d’administration est d’abord secrétaire d’ambassade. Ensuite au bout de quelque temps, il devient conseiller. Premier et second grades. Et le bâton de maréchal pour le diplomate est le poste de ministre conseiller. Quand on est ministre-conseiller, pratiquement, il n’y a rien au-dessus. Si on cherchait des gens qui ont atteint ce grade, c’est après au moins six ou dix ans qu’on a travaillé ou au ministère, ou à l’étranger. On a le temps d’acquérir les rudiments, de connaître les dossiers et de pouvoir opérer partout où l’on vous emmène.

Le président de la République ne bafoue-t-il pas tous ces préalables en estimant qu’il peut lui être loisible de nommer son chauffeur au poste d’ambassadeur ?

Bon ! Il assume toujours ce qu’il dit. Mais ce sont les conséquences de ses sorties qui, dans une certaine mesure, créent problème. Si un chauffeur arrive dans une ambassade et trouve des gens qui ont fait des études supérieures avec des diplômes, qui ont une expérience solide, lui qu’est ce qu’il fait ? Il s’appuie sur des personnes qui peuvent obéir ou ne pas obéir. Et il va se retrouver dans des difficultés. Mais dans la bonne image, je pense que c’est une erreur de sa part (Ndlr : le président de la République) et heureusement qu’il ne l’a pas fait. Mais peut-être qu’on a fait ce qu’il a dit et que s’il cherche bien, il verra qu’il y a des personnes qui sont au poste d’ambassadeur et qui ne devraient pas y être.

Par conséquent, quelles que soient les relations que nous avons avec ces pays, peut-être que ces derniers ont toléré quelques difficultés à ce niveau, mais une remise en ordre est absolument nécessaire.

Il y a eu ces six dernières années des précédents comme l’affaire du fils d’un ambassadeur du Sénégal en Inde qui a tiré sur un chauffeur, entre autres déboires diplomatiques …

Pour l’affaire du fils de l’ambassadeur du Sénégal en Inde, ça ne s’est pas passé comme ça et c’est de la faute de l’Etat qui n’a pas fait les investigations nécessaires. L’ambassadeur n’a même pas été entendu. Moi je l’ai entendu. C’est la presse dans une certaine mesure qui a dit cela, mais ça ne s’est pas passé comme ça. Dans cette affaire, le fils de l’ambassadeur a peut-être commis une erreur, mais ce n’est pas lui qui a tué. L’ambassadeur est là aujourd’hui puisqu’il est rentré.

Depuis qu’il a mis les pieds ici, personne ne l’a reçu. Est-ce que c’est normal ? Il faut entendre les deux sons de cloche. En justice, on ne peut pas juger quelqu’un sans entendre les deux parties. Sanctionner sans entendre, ce n’est pas non plus une bonne chose.

Aux premières heures de l’alternance, le pouvoir avait prôné une diplomatie qui vendrait l’image du Sénégal à l’étranger. Pensez-vous que ce pari est tenu aujourd’hui ?

Au contraire ! Cette image a été ternie. L’image, c’est comme un lustre, quand on ne l’entretient pas, elle perd de sa luisance. C’est le cas avec la diplomatie du Sénégal actuellement. On annonce des résultats qu’on veut obtenir avant même de les avoir atteints. Ce n’est pas comme ça.

Prenons l’exemple de l’annonce de la proposition de l’ancien ministre, Eva Marie Coll Seck, à l’Oms. La démarche entreprise n’a pas permis à cette dernière à défendre sa candidature. C’est au niveau de l’Oua que la diplomatie sénégalaise devait se battre pour obtenir la candidature unique d’Eva Marie Coll Seck. Mais il y a eu beaucoup de bruit, sans rien au finish.

Je me rappelle qu’à l’époque du Président Abdou Diouf, c’est la diplomatie qui avait permis à Jacques Diouf d’obtenir le soutien de toute l’Afrique pour accéder à la Fao. Je me rappelle qu’à l’époque, Salim Ahmed Salim, le secrétaire général de l’Oua était venu avec nous pour soutenir la candidature du Sénégal devant six autres du monde. Au finish, on nous demandait : «Quel est le trésor de la diplomatie sénégalaise ?» Je pense que c’est ce genre de combat qu’il faut mener et remporter avec brio… des actes positifs qu’il faut poser et qui peuvent vendre l’image du Sénégal.

Vous préconisez donc un retour à l’orthodoxie ?

(Rires) En tout cas, il faut reprendre dans la diplomatie tranquille et sérieuse. Notre diplomatie n’a jamais atteint un niveau aussi bas que celui auquel nous avons droit actuellement.



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