Immigration choisie ou concertée : Les passes d’armes entre Gadio et Sarkozy

Au concept d'immigration choisie, les Africains préfèrent l'immigration concertée. Pour une harmonisation des termes et de leur signification, Cheikh Tidiane Gadio et Nicolas Sarkozy ont croisé le fer. C'était lors de la conférence ministérielle Europe-Afrique sur la migration et le développement qui se tient, actuellement, à Rabat.

(Envoyé spécial à Rabat) - ‘L’expression immigration choisie a été parfois mal comprise ou caricaturée. Mais je ne me laisserai pas intimider par deux ou trois remarques’. C’est en ces termes que Nicolas Sarkozy, le ministre français de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, qui s’adressait aux ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur des soixante pays participant, à Rabat, à la conférence ministérielle Europe-Afrique sur la migration et le développement, est monté, d’entrée, sur ses grands chevaux.

Une sortie qui fut loin de démonter Cheikh Tidiane Gadio. Bien qu’étant intervenu à la suite de ses collègues du Maroc, d’Espagne et de France en tant que co-président de la conférence, le ministre sénégalais des Affaires étrangères demandera à nouveau la parole – ce qui est contraire à la tradition ainsi qu’il le reconnaîtra, pour répondre à Nicolas Sarkozy. Pour Cheikh Tidiane Gadio, il était hors de question de laisser passer sans réplique le laïus du concepteur de l’immigration choisie. Il fallait, comme en conviendra le ministre de l’Intérieur Ousmane Ngom, marquer le désaccord du Sénégal avec l’immigration choisie.

Et quand Cheikh Tidiane Gadio reprendra la parole depuis le présidium, ce fut pour dénoncer pendant quinze minutes cette immigration choisie. Le chef de la délégation sénégalaise de marteler ensuite que, pour le Sénégal, la gestion de l’immigration ne peut qu’être concertée. D’où la préférence des autorités sénégalaises pour l’immigration concertée en lieu et place de l’immigration choisie.

Le chef de la diplomatie sénégalaise reconnaît ensuite que l’Union européenne a fait de grands efforts par une régularisation régulière de sans-papiers. Mais ce fut pour se désoler du fait que ‘tous ces efforts consentis par la France et l’Union européenne sont en train d’être anéantis par les charters de la honte. Je ne peux pas comprendre que des gens soient menottés et livrés comme des malpropres à leurs pays d’origine’. Dans les délégations des pays africains, on jubile et on se presse vers Cheikh Tidiane Gadio, dès la suspension de la séance, pour le féliciter, le congratuler.

En outre, le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Doust Blazy, en faisant face à la presse à la pause-déjeûner, ira dans le même sens que Cheikh Tidiane Gadio, en marquant l’accord de la France pour une gestion concertée de l’immigration. Cette sortie du chef de la délégation française à la conférence ministérielle Europe-Afrique sur la migration et le développement confirme ce qu’on savait dès l’entame du plaidoyer de Nicolas Sarkozy : l’immigration choisie est sa création.

En effet, après avoir précisé que ‘la France veut, à l’instar des grands pays, construire une immigration choisie qui n’a rien à voir avec l’immigration zéro qui est un mythe dangereux’, il enchaînera, comme pour faire taire les critiques généralement faites par les Africains à ce concept, qu’’il n’a jamais été question pour moi d’organiser une sélection unilatérale des migrants sur la base des diplômes. L’immigration, dans mon esprit, doit être choisie par le pays de destination comme par le pays d’origine. Elle doit résulter d’un accord de volonté entre le pays de départ et le pays d’arrivée’. Ainsi, quand Nicolas Sarkozy parle de l’immigration choisie, il ramène tout à sa personne (soit à son ‘moi’, soit à son ‘esprit’).

Autre passe d’armes entre Cheikh Tidiane Gadio et Nicolas Sarkozy après que le chef de la diplomatie sénégalaise eut déclaré, dans son allocution à la cérémonie d’ouverture de la conférence que ‘c’est avec une mémoire douloureuse de l’esclavage et de la déportation de millions d’Africains dans les cales insalubres et meurtrières de la traite négrière que nos pays assistent, parfois impuissants, aux images de la nouvelle tragédie de la traversée de l’Atlantique par nos jeunes, notre force vive, dans des embarcations de fortune’. Réplique du ministre français de l’Intérieur : ‘Je m’adresse maintenant au ministre sénégalais (des Affaires étrangères, Ndlr). Ce ne serait pas la peine de faire voter en France une loi assimilant l’esclavage à un crime contre l’humanité sans être en mesure d’éradiquer ce phénomène (des migrations illégales)’. Ce à quoi Cheikh Tidiane Gadio répondra plus tard : ‘Nous n’avons de leçons à recevoir de personne’.