Serigne Fallou Dieng, Responsable du Cercle des intellectuels Soufi :« Serigne Béthio Thioune dénature le Mouridisme »

Descendant, du côté de sa mère, du frère cadet de Serigne Touba, Serigne Massamba Mbacké, Serigne Fallou Dieng aurait été éduqué par feu Serigne Soyibou Mbacké, fils du fondateur du Mouridisme. Son père, Serigne Makhfouss Dieng, est connu à Touba pour ses prières, qui étaient même sollicitées par des dignitaires du Mouridisme. Par ailleurs responsable moral du « Cercle des intellectuels soufi », il a rendu visite à la Rédaction de L'Office pour s'offusquer des prétentions et agissements du marabout et homme politique Cheikh Béthio Thioune. D'ailleurs, à l'en croire, même l'actuel Khalife général des Mourides, Serigne Saliou Mbacké, n'aurait « aucune compétence » pour transférer la voix des mourides à qui que ce soit. Il réaffirme son ancrage derrière Idrissa Seck, et jure que l'ancien Premier ministre sera le « quatrième président » de la République du Sénégal. Entretien.

L'Office  : On vous avez remarqué dans l'entourage du marabout qui a fait un saut dans le champ politique, en l'occurrence Cheikh Béthio Thioune. Mais depuis, avance-t-on, entre vous, la rupture serait consommée. Qu'en est-il réellement ?

Serigne Fallou Dieng  : Votre question est très importante ; d'autant que j'avais en très bonne estime Cheikh Béhio Thioune. Je l'ai beaucoup aidé. Je reconnais que c'est un Cheikh de Serigne Saliou Mbacké. Je reconnais qu'en conséquence, il draine du monde ; même si je conteste le chiffre de six millions de disciples ( taalibés) qu'il prétend avoir derrière lui. Il est également une figure emblématique, dans le sens que sa position atteste de la justice sociale dans le Mouridisme. Car, si un griot comme lui, sans humanité dans le domaine religieux, va jusqu'à occuper la position qui est aujourd'hui la sienne, cela traduit l'existence de la démocratie dans cette voie spirituelle. Oui, Béthio est un exemple d'intégration dans le Mouridisme.

Cependant, il n'est pas dépositaire de la voie de Serigne Touba. Il n'a pas cette compétence, et ne peut pas l'avoir. Car, même Serigne Saliou, l'actuel khalife des mourides, n'a pas le pouvoir de léguer la volonté de Serigne Touba à qui il veut ; à plus forte raison à Béthio Thioune. Parce que, l'actuel khalife a hérité ce pouvoir d'autres : Mouhamadou Moustapha d'abord, Serigne Fallou, Baye Lahad et Cheikh Abdou Khadre Mbacké après. C'est dire que dans la voie du mouridisme, il n'y a pas de transfert de compétences. Je le martèle : Béthio peut parler en son nom ou à celui de ses taalibés. Pas plus. Il ne peut pas parler au nom des mourides. Il s'acquitte certes de sa mission, en aidant ses disciples. Mais s'il a la place qui est aujourd'hui la sienne, c'est du fait des petits-fils du fondateur du Mouridisme, qui ne se sont pas acquittés de leurs missions. Ce sont les Mbacké-Mbacké qui ont failli. Ils ont laissé surgir Béthio. Que personne d'eux ne soit donc jaloux de sa position, de ses taalibés ; quand bien même qu'il est en train de dénaturer le Mouridisme . Et, en définitive, les petits-fils de notre guide et Béthio sont tous pareils. Je l'assume.

Mais au fait qu'est-ce qui est à l'origine de votre rupture ? Des problèmes d'argent ?

Je tiens à préciser que je ne suis pas pareil aux Mbacké-Mbacké qui sont contre Béthio, du fait qu'il est griot. Ce que je crois est que l'on se nomme Mbacké, Thioune ou encore Diop, l'essentiel est de s'acquitter de sa mission en toute intégrité, et dans un engagement désintéressé. Ainsi, si quelqu'un appuie d'une manière ou d'une autre la jeunesse, qui a perdu ses repères, je ne peux que le soutenir et l'encourager. Et Béthio aide ses disciples. C'est ce qui fait que je l'ai toujours appuyé. C'est ce qui fait également que même si demain des Mbacké-Mbacké tentaient de le combattre, je serais à ses côtés pour le défendre. Mais je suis contre lui du fait qu'il saccage et galvaude la voie du Mouridisme. Parce qu'il ne doit pas utiliser ses taalibés pour faire de la politique. Serigne Touba ne s'est jamais mêlé de ce domaine ; ni à titre individuel, ni au nom de ses nombreux disciples. C'est dire que Béthio peut s'adonner à la politique ; mais pas au nom du Mouridisme. Je le réaffirme : dans le Mouridisme, point de transfert de compétences ; surtout pour des ambitions politiques ou personnelles.

Pourtant, il se dit de plus en plus que vous êtes un fidèle de l'ancien Premier ministre, Idrissa Seck. Vous vous seriez même engagé à le soutenir politiquement aux prochaines élections.

Oui, j'ai décidé de le soutenir. Je puis même dire qu'au soir du 25 février 2007, je téléphonerai à Idrissa Seck. Et il est sûr que, ce jour-là, je relèverai la tête. Je me suis engagé pour que M. Seck préside, à partir de l'année prochaine, aux destinées du Sénégal. Dans cette perspective, je tiendrai à Touba la dragée haute au parti de Abdoulaye Wade. Et j'ai bon espoir. Parce qu'à Touba, on oublie que les arabisants représentent 70% de la population. J'ai obtenu une maîtrise puis un Diplôme d'études approfondies en Droit musulman. J'ai fait mes études au Maroc. Je ne suis pas le seul. Or, qui dit arabisant, dit conscience islamique. Et quand on a celle-ci, on ne peut plus verser dans le fanatisme. Or, Me Wade a opté pour la politique « Ndiaga-Ndiaye ». C'est elle qu'il pratique. A Touba comme ailleurs. A chaque fois qu'il veut réunir des militants, il fait appel à Béthio et bien d'autres pour l'applaudir. Mais, rares sont ceux qui croient en lui. Car les Sénégalais sont pour l'essentiel confrontés à des difficultés. L'inflation, l'augmentation des prix du sucre, du gaz, du carburant, bref de toutes les denrées de première nécessité, sont là pour le traduire. S'y ajoute que les jeunes n'ont pas d'emplois, et que l'Europe a fermé ses portes. Devant la politique de libéralisme sauvage appliquée par Me Wade, les paysans aussi n'ont même pas d'intrants, à plus forte raison de quoi donner aux marabouts. Les marchands ambulants, qui sont pour la plupart des taalibés, subissent également la cupidité du régime de Me Wade. Ainsi au soir des élections, il est évident que Me Wade sera destitué ; même s'il remplit les cars d'électeurs et qu'il leur remette des billets de banque, il sera perdant. Ceux qui le représentent à Touba sont tous insignifiants. Nous, les arabisants et disciples éduqués dans l'orthodoxie sommes décidés à bouter Me Wade hors du palais présidentiel aux prochaines élections.

L'actuel chef de notre Etat a encore répandu un amalgame corrosif et dangereux dans la République  : les considérations d'appartenance confrérique, auxquelles il a ouvert la porte dans la profession de foi des hommes politiques. Par ce fait, il menace la paix sociale. La ruée des ministres vers Touba en est une illustration.

Idrissa Seck, par contre, n'est pas de ce bois. Il ne s'amuse pas avec sa foi ou celle des autres. Il promet aux Sénégalais, par un programme politique réaliste, des lendemains meilleurs. Il se promet, dans un contexte de perte de valeurs, de rétablir l'homo-sénégalensis. Nous avons opté pour un président fort et soucieux du développement économique et social de son pays. Et c'est Idrissa Seck qui remplit ce profil. Son charisme est tel que tous les citoyens honnêtes et les patriotes sont derrière lui. Il est le commandant que tous attendent. A Touba, nous sommes plus de cent mille électeurs à l'attendre.