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Politique

Seydou Guèye sur l'apreté du combat de Macky Sall : " Nous sommes dans le viseur du pouvoir "

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Seydou Guèye sur l'apreté du combat de Macky Sall : " Nous sommes dans le viseur du pouvoir "

Seydou Guèye a été porte-parole du Parti de la République dirigé par Abdourahim Agne. Suite à des conflits personnels, il avait rompu les amarres avec cette formation politique. Aujourd’hui, il milite dans l’Alliance pour la République (Apr)/Yaakaar fondé par l’ex-président de l’Assemblée nationale, Macky Sall. Porte-parole de ce parti, Seydou Guèye, avec une éloquence devenue rare chez nos hommes politiques, décline la nouvelle feuille de route de sa formation politique, fait une lecture du contexte actuel du pays marqué par la marche et les sermons des Imams, «une demande d’alternative». M Guèye livre aussi les appréhensions et les espoirs qui bouillonnent au sein de l’Apr, un «creuset», un espace de convergences qui ambitionne de créer un nouveau leadership et de briguer les suffrages des Sénégalais, avec comme objectifs, entre autres, de battre le Président Wade, suite à des élections régulières et transparentes.

Après plusieurs péripéties, vous venez finalement de mettre sur pied l’Alliance pour la République/Yaakaar. Suite à tout un processus ayant abouti à la création de ce parti, c’est maintenant que commencent véritablement les véritables problèmes. Est-ce que vous pouvez décliner sommairement la feuille de route de votre parti ?
Votre question nous installe immédiatement dans l’avenir. Effectivement, le processus qui a accouché de notre parti qui s’appelle l’Alliance pour la République/Yaakaar a été enfanté par la résistance du président de l’Assemblée nationale. Finalement, c’est une victoire acquise à travers la mobilisation de certains parlementaires et celle de l’opinion qui a manifesté sa sympathie pour la défense de la République et de ses valeurs. Manifestement, les Sénégalais ont bien compris que cette épreuve de résistance à laquelle le président Macky Sall nous a conviés n’était pas motivée par un quelconque orgueil personnel. Nous sommes définitivement convaincus qu’il y a, en termes de projet, une volonté de défendre la République et nos institutions.
Le parti a été présenté au grand public, la semaine dernière, sous ses couleurs marron et beige et l’emblème dont le président de l’Apr a présenté les grandes lignes. Nous préparerons un séminaire ce week-end, au cours duquel se fera la mise à niveau pour l’ensemble des militants et responsables. Dès la semaine prochaine, nous allons commencer la vente et le placement des cartes. Présenter comme ça, c’est comme si nous allions vite en besogne, mais devant la situation du pays, qui est régressive et préoccupante, face au cumul des souffrances sociales, nos responsabilités ne peuvent plus être différées. Aujourd’hui, la République est devenue, dans notre pays, un véritable enjeu dont seules les facéties de l’histoire ont le secret. Ce qui était définitivement considéré comme un avantage comparatif du Sénégal en Afrique se délite sous nos yeux. Des valeurs intangibles, l’unité nationale, l’égalité des citoyens devant la loi et d’autres valeurs comme la forme laïque et républicaine de nos institutions, sont terriblement mises à mal par les gouvernants actuels. Donc, l’appel de l’Apr qui est une convergence, un rassemblement populaire et de mobilisation sociale, consiste à demander à l’ensemble des démocrates, des républicains, de constituer ce regroupement majoritaire pour qu’ensemble nous puissions être capables de nous opposer et proposer demain, puisqu’il y a de grands défis qui attendent le pays dans sa pérennité institutionnelle, dans son développement et son processus démocratique.
En résumé, le projet de l’Apr est structuré autour du triptyque : défendre la République sans concession, oser la démocratie jusqu’au bout et mettre au cœur de notre action les préoccupations des Sénégalais, qui aujourd’hui doivent être appelées les souffrances sociales. Donc, il y a urgence à retenir ces trois éléments qui composent la vision de l’Apr. Notre parti est un creuset qui essaie de mobiliser des hommes et des femmes d’horizons divers. Son projet est un appel autour d’une convergence qui enjambe nos partis d’origine et le Pds. Ce n’est pas un refuge pour frustrés du Pds ou d’autres partis politiques. C’est un cadre qui est dans une attitude prospective.

Justement, toute l’équation est là : comment comptez-vous y arriver ?   
Pour y arriver, il est important de faire émerger un leadership de type nouveau en rupture avec cette logique consistant à faire allégeance personnelle au chef. Cette logique a fait tant de mal à nos partis. Quand on dénonce le manque de démocratie, il s’agit uniquement de ça.
Il nous faut un leadership qui essaie de fédérer toutes les intelligences, les énergies pour mettre en avant une équipe cohérente, qui puisse prendre en charge cette nécessité de la transformation de notre champ politique et de notre pays.

Ce que les observateurs de la scène politique sénégalaise ont eu à remarquer, c’est que des partis comme le vôtre ont été accueillis à leur naissance par une euphorie populaire qui, au fur et à mesure, s’est estompée. Tenez-vous compte de cette leçon de l’histoire ? Quels sont les voies et moyens que vous avez pour éviter ces précédents ?

Nous avons une claire conscience du phénomène de mode souvent motivé par la sensibilité des Sénégalais face à l’injustice. Cela crée une dynamique de sympathie et d’euphorie populaire. Comme on dirait en rugby, maintenant il faut transformer l’essai.  Le véritable enjeu est la structuration et la massification de notre parti. C’est pour cette raison que l’option a été prise résolument d’organiser ce week-end un séminaire et ensuite de dresser une feuille de route pour procéder à la vente des cartes. Habituellement les partis rechignent à le faire immédiatement, mais vu le rapport fétichiste que nous avons avec l’identification et l’appartenance, il est important de prendre ce pari, de capter cette sympathie et d’en faire une force militante pour engager à nouveau les Sénégalais dans une action politique, dans un électorat. Donc, nous travaillons ainsi. D’ailleurs, l’agenda républicain nous commande d’être encore plus réactifs car, si les élections se tiennent à bonne date, au plus tard le 20 janvier, les listes doivent être confectionnées. Nous sommes nés dans un contexte préélectoral et nous avons une carte à jouer par rapport à cette échéance. Nous le ferons.

Justement, en perspective de cette échéance électorale, puisque manifestement vous envisagez d’aller aux élections locales, sous quelle forme vous y allez ? Seul ou en coalition ?
L’Alliance pour la République est un creuset ; donc, nécessairement le mode de réponse sera de type coalition avec des partis qui partagent les trois valeurs que j’ai indiquées ci-dessus. Ce dont il s’agit, c’est de créer un rassemblement majoritaire, populaire et de mobilisation sociale. Les défis qui nous attendent commandent ce type de comportement. L’Apr ne se décline pas comme un parti chauvin, mais ouvert. La personne qui en est le leader n’est pas dogmatique. Donc, nous pouvons travailler à construire des consensus forts pour avoir une coalition qui, qualitativement, peut être supérieure à ce qui nous a été donné d’observer. Au-delà des enjeux électoraux, il y a des questions de sens, de signification, d’une direction qu’il faut donner à notre société, puisque, tout le monde le dit, si nous ne faisons pas attention, nous irons droit dans le mur.

En perspective de ces prochaines élections locales, comment vous allez concilier la défense et l’illustration d’un bilan que Macky Sall partage avec le Pds pendant huit ans et le déroulement d’un discours aujourd’hui d’un parti d’opposition ?
En termes de bilan, c’est le président de la République lui-même qui a donné un quitus au Premier ministre qu’a été Macky Sall. Lui-même en a fait l’éloge. Nous ne sommes pas gênés que Macky Sall présente un bilan. Il a été le coordonnateur de pas mal d’actions. Moi-même, j’ai participé, à mon échelle, à la réélection du Président Wade, parce que je viens d’un parti qui était en coalition. Ce qui monte aujourd’hui dans l’opinion, c’est une bonne histoire politique, une bonne trajectoire politique du leader. Maintenant, ce qui est important, c’est qu’il faut que nous comprenions tous que les collectivités locales sont l’espace politique par excellence. Donc, il faut que nous soyons capables d’avoir un projet au niveau des collectivités locales pour les sortir de la misère et, de façon incidente, soulager nos compatriotes. Est-ce que nous serons capables d’avoir des propositions audacieuses, en termes de contrats de mandature ? Est-ce que nous serons capables d’avoir une approche qui corresponde à la vérité, donc avoir un rapport à la vérité ? Il faut convoquer à nouveau les valeurs et faire en sorte que les campagnes électorales, souvent des kermesses électorales, ne soient pas uniquement le temps fort. Il faut qu’une gouvernance légitime que nous appelons de tous nos vœux -puisque c’est la demande des populations-, puisse prendre racine. Que le processus de bonne gouvernance qualitative et au profit du plus grand nombre soit effectivement de mise dans notre société.

Mais, n’êtes-vous pas gênés par rapport à un devoir d’inventaire, si l’on sait que la gouvernance avec le président de la République a abouti à une situation assez désastreuse du pays, à tous les niveaux, aujourd’hui ?
Non ! Je crois que le président Macky Sall aura le courage d’assumer cette responsabilité, de tirer les enseignements. Nos parcours personnels sont marqués par des erreurs, mais ce qui est important, c’est que dans les grands combats, il faut que les gens qui pensent la même chose, qui se préoccupent du pays, soient du bon côté. Une des idées fortes qu’il (Macky Sall) a annoncée, lors de la présentation du parti, est vraie, utile au pays : il faut que la patrie prime sur le parti. C’est ainsi que nous pourrons reconstruire le pays, le mettre en mouvement, du fait de l’avantage que nous avons aujourd’hui avec le cumul des expériences et de la pluralité des personnalités.  

Vous avez formé une convergence où le noyau quand même vient du Pds. Jusque-là, on ne connaît de partis politiques dans cette dynamique de convergence que le Nouveau parti de Mahmoud Saleh. On avait crû comprendre à travers un discours développé par Mamour Cissé (leader du Parti social-démocrate/ Jant bi : ndlr) qu’il se situait dans la même dynamique. Or, jusqu’à présent, on ne l’entend pas au sein de cette convergence. Que se passe-t-il ?
A chaque jour suffit sa peine. Nous sommes en discussion avec des hommes et des femmes, des organisations politiques et citoyennes qui, sur les grandes lignes, partagent les mêmes valeurs. En fait, il s’agit d’être tous ensemble pour défendre des valeurs, la République, prendre en charge de façon prioritaire les souffrances de nos concitoyens. Sur cette base, il y a des consensus très larges, en termes d’organisations, qui peuvent être construites. Le moment venu, la présentation exhaustive des différentes composantes de cette alliance se fera. Mais, ce qu’il faut retenir, c’est que c’est une alliance qui regroupe des Sénégalais connus du champ politique, remarquables dans leur engagement citoyen et des formations politiques préoccupées de l’avenir. Nous avons avec celles-ci en partage cette préoccupation de faire émerger un parti du 21e siècle, structuré par des logiques de gestion de la pluralité, et non dominé par une culture de parti unique.

De manière plus précise, où en êtes-vous avec Mamour Cissé ?
Je ne peux pas vous le dire parce que je n’ai pas d’informations sur l’état d’avancement des discussions entre l’Apr et Mamour Cissé, si discussions il y a. Mais, je sais que d’autres formations et acteurs sont en contact avec ce creuset pour élaborer collectivement un processus politique qui pourra nous permettre d’être présents aux échéances locales et d’avoir une vraie offre politique pour le Sénégal de demain.

Vous avez lu l’information parue dans Le Quotidien à propos d’émissaires envoyés en France pour le retour des démissionnaires du Pds. Vous attendez-vous à une amplification de ces formes de déstabilisation de votre parti de la part de l’espace présidentiel ?
Oui ! Nous sommes nés dans un contexte d’un conflit. Nous sortons du pouvoir et il faut avoir conscience que nous sommes dans le viseur du pouvoir. Un homme politique bien averti a dit, dans une interview avec un autre quotidien, que le phénomène Macky Sall et l’Apr peut fragiliser et affaiblir, non pas le Pds, mais la majorité présidentielle (Il s’agit de Djibo Kâ de l’Urd : ndlr). De ce point de vue, ils (les gens de l’espace présidentiel) vont faire le travail politique de contenir la saignée ou de nous empêcher de nous développer. Mais, il faut qu’ils le fassent dans les logiques politiques, qu’ils acceptent d’aller dans la démocratie. C’est ça l’âge de notre pays. Nous ne pouvons pas passer notre temps à avoir peur ou à craindre. Avec l’expérience démocratique de notre pays, chacun doit pouvoir exprimer avec responsabilité sa position, prendre son courage à deux mains pour faire des choix. Nous venons de formations politiques où nous avions fait des ruptures, des choix et nous les assumerons jusqu’au bout.

Sur l’échiquier national, de tous les leaders politiques, Macky Sall semble avoir un itinéraire politique qui présente le plus de ressemblance, en quittant le Pds, avec Idrissa Seck de Rewmi qui était d’ailleurs présent quand vous étiez en train de formaliser votre parti. Peut-on s’attendre à une alliance avec le parti Idrissa Seck ou y’a-t-il une différence dans vos démarches ?
La question ne peut pas se poser en termes exclusifs de personnes et de personnalités. Nous sommes porteurs d’un projet ; Rewmi également. Les dossiers politiques ne doivent plus être initiés ou construits à partir des profils personnels. Aujourd’hui, les difficultés dans les partis sont pour l’essentiel liées à cela. Nous travaillons pour l’émergence d’un leadership nouveau et il s’agit d’équipes cohérentes pour mener les organisations, mais également des projets au cœur desquels ces questions sont considérées comme prioritaires. Sur ces bases, il est possible de construire des plates-formes partenariales, étant donné que notre champ politique est ainsi structuré. Aujourd’hui, les coalitions ont pris le dessus sur les partis. Cependant, il faut travailler à rendre les coalitions politiquement plus cohérentes. Du point de vue éthique- puisque nous défendons des valeurs-, il faut rendre nos coalitions homogènes sur ce plan-là.

Certes, il faut rendre ces coalitions homogènes, mais vous êtes intervenus dans un champ politique dont vous ne pouvez faire abstraction de la configuration avec des partis comme Rewmi issu du Pds, l’opposition parlementaire et celle dite significative. Comment vous vous situez par rapport à cette compartimentation du champ politique sénégalais ?
La politique, c’est observer la réalité, intervenir sur elle et chercher à la transformer. Notre position est très claire : nous sommes dans l’opposition que vous avez segmenté en deux ou trois grandes familles. Il y a la place pour une autre famille politique dans l’opposition. Le plus essentiel, c’est la création de dynamiques de convergences sur la base de principes pour que les valeurs ne soient pas sacrifiées sur l’autel des intérêts. Il n’y a qu’un seul intérêt qui commande : apporter des réponses aux préoccupations des Sénégalais. On a une claire conscience que nous avons besoin d’une nouvelle combinaison de forces pour inverser le rapport de forces actuel. Notre objectif -et nous avons cela en partage avec l’ensemble des partis de l’opposition- c’est faire en sorte que ce régime soit bouté dehors. Avec intelligence, mais avec générosité, seuls guidés par le souci de ne pas desservir les populations, il nous faudra construire des plates-formes beaucoup plus cohérentes. C’est que les Sénégalais attendent. Ils ne nous pardonneront pas de refaire les mêmes erreurs que par le passé.

Le discours que vous développez est semblable à celui des initiateurs des Assises nationales. Envisagez-vous d’y participer ? Ou bien tenez-vous compte aujourd’hui de ce qui s’y passe?
Il faut en tenir compte, même si moi, par le passé, je n’étais pas pour les Assises et je m’en étais expliqué. Cela ne me paraissait pas être la réponse par rapport à la situation. Je continue à le croire, mais il ne s’agit pas de critiquer les Assises nationales. Quand une proposition émane d’un des segments du champ politique, il est toujours utile d’y prêter une bonne attention. Si l’intérêt qui nous anime tous est le devenir du pays, nous regardons les résultats des Assises avec un œil très intéressé. Maintenant, la question d’une participation de l’Apr aux Assises nationales n’a pas été encore discutée en réunion. Là, j’ai donné un point de vue personnel.

Il y a un phénomène qui polarise un peu l’attention des hommes politiques, c’est la «Génération du concret» contre laquelle certains récriminent en y voyant un projet monarchique. D’autres soutiennent que Karim Wade, président de cette «Génération du concret», peut, comme tout Sénégalais, briguer les suffrages. En tant que nouveau parti qui veut construire un nouveau leadership, quelle est votre position ?
Une position simple et de principe : M Karim Wade est un Sénégalais comme tout autre Sénégalais. Il n’y a aucun doute là-dessus. D’ailleurs, nous nous battrons pour qu’il puisse jouir de la plénitude des droits des Sénégalais. Ce que nous disons, c’est que s’il a envie de s’engager en politique, il a la liberté égale vis-à-vis de chacun, une égale dignité vis-à-vis de ses concitoyens. Ce que nous n’accepterons pas, c’est qu’il y ait un tripatouillage institutionnel ou constitutionnel pour le faire accéder au pouvoir. Ce n’est pas seulement les partis politiques qui le refuseraient, mais le Sénégal tout entier qui se lèverait. Pour l’instant, la «Génération du concret» ne s’est pas présentée, de manière officielle à partir de son leader. Elle ne s’est pas encore présentée sous la forme de structure ni en termes de projet. Le type d’organisation qu’est «La Génération du concret» n’est pas une catégorie politique que nous traitons habituellement. Nous traitons avec des partis et des organisations citoyennes.

Vous avez déposé le récépissé pour la reconnaissance de votre parti. Où vous en êtes dans ce processus ? Envisagez-vous la possibilité que l’on vous mette les bâtons dans les roues et, dans ce cas, quelle stratégie allez-vous mettre en branle pour contourner pareil écueil ?
L’administration a été d’une extrême diligence. Les choses sont allées très vite. Nous félicitons l’administration pour son côté républicain, qui applique la loi dans toute sa rigueur. Ce dont il s’agit, ce n’est pas une autorisation de créer un parti, mais une déclaration. La liberté de créer un parti politique est consacrée par la Constitution. Le récépissé nous donne la possibilité et le droit de mener nos activités en toute liberté. Il y a une plus grande souplesse en matière de processus électoral. Même si nous rencontrons des difficultés demain, nous trouverons des solutions pour participer correctement, de façon régulière et en conformité avec la loi, à toutes les élections.

En tant que parti politique, vous n’êtes pas insensibles à l’actualité immédiate caractérisée par la marche des Imams, chefs de quartiers et des populations contre les surfacturations de la Senelec. Vous avez aussi entendu les sermons de certains Imams qui ont insisté sur la crise que traverse la société sénégalaise à tous les niveaux. Quelle lecture en faites-vous au regard du contexte dans lequel vous vous situez aujourd’hui ?
Une lecture simple : une vraie demande d’alternative. L’alternance de l’an 2000 a été une bonne amorce, mais qui a été insuffisamment construite, parce qu’elle n’a pas mis au cœur de son projet la prise en charge des préoccupations des Sénégalais. Je me félicite de cette capacité retrouvée des Sénégalais de s’indigner, de prendre part de façon courageuse et d’être acteurs de leur propre destin. En vérité, vivre en citoyen, c’est vivre dignement cette appartenance. Aujourd’hui, devant la difficulté de nos concitoyens de ne pas être fournis en électricité avec des surfacturations qui ne s’expliquent pas, ils ont porté une réaction à la hauteur de leurs difficultés. Maintenant, aux hommes politiques de comprendre cette nouvelle citoyenneté en émergence, de l’accompagner pour qu’elle se développe, parce que notre pays n’a jamais connu d’âge d’or de la citoyenneté.
Par rapport aux sermons des Imams, ce n’est pas une nouveauté. Nous avons été habitués depuis un certain temps à ce ton. On le retrouve également dans les homélies des hommes de l’église, tous les dimanches, voire à l’occasion des grandes fêtes religieuses. Cela veut dire qu’ils sont dans leur rôle de responsables, en alertant et en avertissant à l’endroit de notre société : «attention, ça va mal, ça va mal, ça va mal !»  Nous avons encore cette chance que des hommes remarquables de vertus, de qualités et de spiritualités nous donnent ces indications. Nous avons besoin de cette dimension prophétique, fonction que les intellectuels de moins en moins jouent aujourd’hui. Eux-mêmes sont happés par notre société et n’ont plus le temps de réfléchir pour donner des orientations tellement ils sont pressés par le quotidien. Nous sommes dans une société complètement éclatée entre les très très riches et les plus pauvres des plus pauvres. Cette fonction d’alerte est bien jouée par le corps intermédiaire qui, par rapport à nos valeurs culturelles, ont leur rôle à jouer et leur mot à dire.

Ne peut-on pas aussi regretter le développement de mouvements spontanés, comme les émeutes de l’électricité, aujourd’hui la marche des Imams, en l’absence de l’implication des partis politiques ?
J’en ai une expérience assez particulière. La Gauche française, à une époque de son histoire, a été débordée par le pôle de radicalité. C’est l’ensemble de ces mouvements que l’on a appelés «droits devant», de soutiens aux Sans-papiers. Ce sont des initiatives citoyennes et de sociétés civiles. La vitalité d’une démocratie se mesure aussi à ça. Il ne faut pas que nous en ayons un quelconque complexe. Les citoyens sont dans leur rôle et dans leur responsabilité en agissant de la sorte. Nous connaissons un grand problème dans notre pays : la politique n’a plus ses lettres de noblesse, elle s’est discréditée. Nous ne sommes pas les meilleurs aux postes où nous sommes. Il y a une crise politique, une panne de projets. Il y a énormément de choses sur lesquelles les citoyens ont des griefs contre les hommes politiques. Il nous faut apprendre à vivre modestement ces critiques qui nous sont formulées et essayer de reconstruire notre légitimité en renouant les liens entre citoyens et hommes politiques, entre électeurs et élus. Il y a un déséquilibre entre électeurs et élus, entre citoyens et hommes politiques. Si cette initiative de reconquête citoyenne peut permettre de re-tisser ce lien, nous allons davantage progresser dans une logique de transversalité de notre société qui est aujourd’hui structurée verticalement. Tout événement est potentiellement facteur de conflits. Il ne faut pas avoir peur de cette initiative citoyenne, mais l’accompagner avec modestie - car ce sont là les véritables interpellations de l’heure - et de façon hâtive, travailler à y apporter des solutions.

On ne peut pas ne pas vous interpeller, vous qui venez du Parti de la République (Pr) et Benoît Sambou du Jëf-Jël. Avez-vous mesuré le risque de votre choix et le challenge en allant aujourd’hui rejoindre l’Apr ?
Je me suis plus préoccupé du challenge que du risque ; puisque de façon continue, nous sommes tous exposés aux risques. Nous vivons dans une société de risques. Ce challenge correspondait à deux choses. D’abord, j’avais des difficultés dans mon parti et finalement mon parcours et celui du Pr ont divergé. J’en ai pris acte. Et je me suis dit que devant tant de souffrances, je préfère différer mes responsabilités…

Le conflit entre vous et le Pr est-il né de divergences politiques ou de relations interpersonnelles ?
Plutôt de relations interpersonnelles avec des musiques de batailles fratricides entre membres d’un même parti politique. De façon responsable, je ne suis pas dans un parti politique pour être traité en paria, mais parce qu’il y a des convictions que je partage, des engagements que je veux mettre en œuvre et au service d’un projet qui me dépasse. Si les questions sont ramenées à un conflit, je prends courageusement ma décision, je l’assume en toute responsabilité. Je vais voir un autre, puisque je suis toujours à la recherche du meilleur pour mon pays. Je suis aussi à la recherche d’un cadre où je peux m’épanouir politiquement et humainement. Et à un moment, j’ai compris que le Pr n’était plus ce cadre-là (…)

A certains moments, il a été flûté dans la presse qu’on a voulu engager des poursuites judiciaires contre Macky Sall. Etes-vous prêts à affronter des situations de cette nature, eu égard à ce que l’expérience a donné avec Idrissa Seck sur les chantiers de Thiès ?
Dans notre pays, c’est ça aussi la façon de faire la politique. Souvent, les opposants sont malmenés. Tout homme politique doit en avoir conscience. C’est bien dommage, parce que, de nos jours, ce qui donne des galons à un homme, c’est d’aller en prison. Or, en vérité, on doit pouvoir faire la politique sans risquer sa vie et la prison. La politique est commune à l’ensemble des ressortissants d’une même communauté. Mais, aujourd’hui, on pense qu’il faut faire du «Djambarisme (néologisme à partir du wolof et signifiant témérité : Ndlr)». On pense qu’il faut aller en prison pour être un homme politique accompli. Ce n’est pas vrai ! On doit pouvoir le faire et ne pas craindre pour sa sécurité, sa liberté et ne pas créer des angoisses pour ses enfants. On est prêts et on fera face à toute éventualité judiciaire ; le combat politique étant âpre ; il a ses difficultés avec lesquelles il faut cohabiter.

Quand on voit la situation du pays actuellement, on nourrit des appréhensions quant à l’issue des prochaines Locales et même de l’élection présidentielle à venir. Etes-vous optimiste ou pessimiste au vu de cette ambiance délétère qui règne dans le pays?
 La situation économique, sociale et politique est inquiétante et régressive. Je ne dirai pas que le Sénégalais est un génie particulier, mais il y a une très forte vigilance pour sauver notre cause commune : la République, les institutions. Je crois que le président de la République est un bon démocrate. Quand il sera battu aux élections locales, puisque c’est l’objectif autour duquel nous souhaitons travailler, il prendra acte de sa défaite…

Vous pensez vraiment que le président de la République est un bon démocrate ?
Je pense que s’il perd les élections, il prendra acte de sa défaite…
Donc, vous n’avez aucune appréhension quant au déroulement des élections à venir, dans la transparence et la régularité ?
Non ! Ce serait naïf de ma part que de le croire, puisque l’histoire électorale du Sénégal montre que si on baisse la garde, on est malmené. Nous ne baisserons pas la garde. D’ailleurs, il importe de prendre des initiatives fortes, comme le Frte de 1999-2000. Nous en avons besoin pour accompagner le processus électoral. C’est la loi elle-même qui donne aux partis d’opposition cette responsabilité. Il faut que l’on crée une dynamique sociale. C’est le président de la République qui nous l’a appris. C’est à nous de garantir les victoires électorales. Notre expérience démocratique le commande. On aurait un système démocratique parfait, qu’on n’aurait pas besoin de cette vigilance extrême et pointilleuse. Mais nous savons que les élections peuvent être truquées, volées, mais le défi c’est que nous parvenions à des élections à contestations marginales, sinon nulles. C’est l’avenir et la stabilité du Sénégal qui en dépendent. Et nous y mettrons toute notre énergie, toute la vigilance. Nous nous battons pour que les élections se tiennent de façon régulière, à bonne date et dans la plus grande transparence.   
Pour finir une question simple, mais dont la réponse n’est pas souvent aisée : qui êtes-vous ?
Un Sénégalais qui a envie de donner à son pays. C’est tout.



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