Journaliste
aguerri, il s’est forgé un caractère de baroudeur du travail à l’hebdomadaire
« Le Témoin » où il s’est fait un nom aux côtés de grands
professionnels. Ancien journaliste de la RTS, Ibrahima NDOYE, diplômé du CESTI,
occupe actuellement les fonctions de Directeur de la Communication et de
l’Information au Conseil économique et social. Dans cet entretien, il va au
fond des choses.
Que devient Ibrahima Ndoye ?
Je suppose que vous pensez à ma vie professionnelle en
posant cette question comme bon nombre d’autres personnes que je rencontre
souvent. Je suis depuis janvier au Conseil économique et social comme Directeur
de la Communication et de l’Information, chargé en même temps des Relations
publiques. Je comprends, on ne me voit plus à la télévision nationale depuis
fort longtemps. Ainsi va la vie.
Justement, il paraît
que vous avez été chassé de RTS depuis des années pour des raisons
politiques ?
Je ne suis pas chassé de RTS. J’y avais certes des
ennuis ; l’antenne m’y était interdite depuis 2008 mais Dieu merci, tout
est maintenant rangé dans les tiroirs de l’histoire, de mon Histoire avec cette
maison plutôt. Aujourd’hui, j’ai le regard rivé sur l’avenir ; cela m’importe
plus.
Que s’est-il passé
réellement, il semble que le Directeur général Babacar Diagne voulait vous
faire payer votre proximité avec Macky Sall ?
Encore une fois, c’est du passé. Peut-être que j’y reviendrais un jour. Je suis en train de rédiger un bouquin portant sur le peu d’expérience que j’ai des liens entre le monde politique et la presse. Cela dit, Babacar Diagne est un frère qui me voue un immense respect. Vous pouvez me croire, je ne le dis pas par convenance diplomatique mais par respect à la vérité historique. Il a nourri de grandes ambitions pour moi à son arrivée à la direction générale. Les plus éminents postes que j’y ai occupés, c’est à lui que je les dois.
Maintenant, quand on se trouve dans une position de pouvoir, dans un
système politique comme le nôtre, il arrive souvent qu’on ne partage pas avec
tous les collaborateurs les mêmes idées sur des situations déterminées. C’est
dans l’ordre normal des choses surtout dans le domaine du traitement de
l’information avec un service public aussi stratégique que RTS. L’essentiel pour
moi est que les uns et les autres le comprennent ainsi pour ne pas altérer les
relations humaines, personnelles. Dieu merci avec Babacar Diagne, nous avons su
gérer de manière intelligente ces contradictions. Cela a été très dur pour moi
sur le plan social et professionnel mais je suis persuadé qu’il n’en était pas
aussi heureux. C’est un homme bien.
Quelle lecture
faites-vous des soubresauts qui secouent ces derniers temps RTS avec les
syndicalistes qui exigent son départ de la direction générale ?
Cela m’attriste et m’affecte profondément ! J’aurais pu
applaudir des deux mains si je n’étais mû que par un esprit revanchard, strictement
égoïste mais l’intérêt général doit toujours guider ceux qui prétendent servir
la cause publique. J’ai beaucoup d’amis dans les syndicats de la maison mais je
ne partage pas la manière dont le combat est mené. Il appartient exclusivement
au Président de la République, à lui seul, d’apprécier l’utilité du maintien de
Babacar Diagne à la tête de la direction générale. Il est de son pouvoir
discrétionnaire. Nous sommes dans une République. Il y a des limites qu’on ne
doit pas franchir ! Quand on sait comment cette maison était sur le plan
financier à l’arrivée de Babacar en septembre 2006, on doit sincèrement lui
tresser des lauriers. RTS était au bord de la banqueroute ! Je pèse bien
mes mots. Il l’a sortie de l’ornière même si évidemment beaucoup reste encore à
faire pour donner à cette maison ses habits de lumière. Et puis, il a consacré
plus de trente années de sa vie à cette structure qu’il a aidé à façonner. Il
mérite un départ plus honorable que celui prôné par mes frères syndicalistes.
Tous les travailleurs ou dans leur écrasante majorité, sont gênés de voir
trainé dans la boue un homme aussi attaché à RTS. J’ai vu passer quatre
directeurs généraux, Babacar y compris mais le problème fondamental qui entrave
la marche réside ailleurs. Mactar Silla, Khoudoss Niang, Daouda Ndiaye ne me
contrediront pas. L’Etat fait certes beaucoup mais ce n’est pas suffisant.
L’Etat injecte,
parait-il, beaucoup de milliards mais la gestion laisse toujours à désirer.
Qu’en est-il de cela ?
L’Etat ne met pas plus quatre milliards chaque année. N’oublions pas que Rts est régie par le régime de l’autonomie de gestion. Le budget est alimenté à plus 70% grâce aux recettes commerciales. Plus de 700 personnes y travaillent, un personnel partagé entre la télévision nationale, Dakar FM, RSI, Radio Sénégal et les quatorze stations régionales. La masse salariale tourne autour de 420 millions de francs CFA tous les mois.
Il faut payer les satellites, la protection sociale, l’essence,
l’entretien des émetteurs du matériel de production, et bien d’autres charges.
Il faut beaucoup de moyens pour faire rouler la machine. Ceux-là qui connaissent
bien de l’intérieur la maison savent très bien que les gens font
quotidiennement des miracles pour assurer la production et la diffusion. La
Gambie, c’est 10 000 Km2, trois fois moins que la région naturelle de la
Casamance. L’Etat injecte 8 milliards de Cfa chaque année dans les caisses de
la GRTV. La RTI de Côte d’Ivoire bénéficie de 16 milliards et le CRTV du
Cameroun de près de 25 milliards de francs CFA. Et pourtant, ces télévisions ne
sont pas plus rayonnantes que RTS par rapport à la qualité des produits
diffusés.
Comment les
pouvoirs publics doivent s’y prendre alors pour relever le niveau des capacités
de RTS au moment la concurrence se développe avec l’arrivée de nouvelles
chaines de télévision ?
L’Etat doit initier une restructuration profonde pour
préparer l’ère du tout numérique qui pointe à l’horizon et permettre une
gestion plus flexible et rationnelle. On doit séparer la radio de la
télévision, la production de la diffusion et l’exploitation technique du reste
des tâches. On peut s’inspirer de ce qui se fait en France en l’adaptant à
notre environnement médiatique et politique. Une lourde menace pèse sur le
service public de l’audiovisuel. Les autorités politiques doivent en être
encore plus conscientes. Quand le pouvoir tergiverse, l’Opposition jette en
pâture RTS sans que je n’entende un seul leader politique apporter une option
alternative à la situation actuelle. Tous nos hommes politiques réduisent
l’existence de RTS aux produits politiques, le journal et les émissions
politiques. C’est une vision tronquée de l’audiovisuel dont les enjeux sont
pourtant hyper importants !
On vous présente
comme l’enfant terrible de la presse sénégalaise. D’où tirez-vous ce qualificatif ?
Des confrères m’ont affublé ce sobriquet par pure amitié et
par sympathie. Cela date des années 90 quand j’étais toujours au front de tous
les combats, toujours en mouvement, de nuit comme de jour, en quête de scoops
et d’informations de première main. J’étais au journal « Le Témoin ».
Je trouve que je ne suis pas pour autant un enfant terrible. (rires)
Il paraît que vous
avez laissé une mauvaise image au Cesti. Vous confirmez ?
Quoi ? Non je ne peux pas confirmer ! Alors pas du tout ! Je ne crois pas avoir laissé une mauvaise image dans cette école de référence qui m’a permis de maîtriser tant bien que mal les rudiments de base du métier de journalisme. Je n’ai pas été toujours d’accord avec le directeur de l’école de l’époque M. Birahim Moussa Guèye et son directeur des études Thierno Diop, et cela avait même conduit à mon exclusion de l’établissement alors qu’on était à quelques mois de la soutenance des mémoires de fin d’études. Je constituais à l’époque avec Mamadou Moussa Bâ, aujourd’hui brillant journaliste à BBC de Londres, un des délégués des étudiants.
J’ai toujours mis
en avant les intérêts de mes camarades et l’avenir de cette école. C’est
pourquoi, nous avons mené Moussa Bâ et moi, de farouches combats à nos risques
et périls. J’ai payé cela de ma carrière. Mais je ne le regrette pas même si
beaucoup de mes camarades, à l’époque, ne se sont pas solidarisés avec moi
alors que j’ai sauvé bon nombre d’entre eux menacés d’exclusion pour
insuffisance de résultats. Aujourd’hui, je suis heureux de les voir s’épanouir
pleinement dans les médias, tant au Sénégal qu’ailleurs dans le reste du
continent. Le CESTI accueille plusieurs nationalités africaines. Il y a des
moments inoubliables qui marquent éternellement un individu !
Qu’est-ce qui s’est
réellement passé ?
Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie. La direction
de l’établissement a profité d’un rapport accablant envoyé par le directeur de
publication de Sud-Quotidien, doyen Abdoulaye Ndiaga Sylla, à la fin de mon
stage pour m’exclure du CESTI. Je n’ai jamais été entendu pour apprécier la
sincérité de ce rapport. J’avais des problèmes à l’époque avec M. Abdoulatif
Coulibaly qui enseignait dans l’établissement et malheureusement, j’ai payé par
mon exclusion de l’école, ce conflit. Aujourd’hui, je garde malgré tout, les
meilleures relations avec doyen Abdoulaye Ndiaga Sylla et Abdoulatif Coulibaly.
Après tout, ils ont participé à ma formation. Dans mes rapports à autrui, je
m’efforce toujours de ne retenir que les bonnes choses, c’est-à-dire
l’essentiel de ce qui a fondé la relation. L’amour que nous avons pour ce
métier est plus important. Il m’arrive de croiser ces frères et confrères mais
le regard que je porte sur eux me renvoie toujours les belles pages qu’ils ont
écrites dans l’histoire de la presse et pour la promotion du pluralisme
médiatique, une des marques saillantes de la démocratie de notre pays.
Finalement
avez-vous reçu votre diplôme ?
Oui Dieu merci ! J’ai attendu trois années pour être rétabli dans mes droits mais sur le plan professionnel, je n’avais pas perdu du temps. J’étais déjà sur le terrain, sillonnant le pays, l’Afrique et le reste du monde pour des reportages. Mais si cela a été possible, c’est grâce à des hommes comme les regrettés Oumar Diagne, l’ancien directeur du CESTI et Alioune Touré Dia mon ancien professeur de télévision, de même que Mamadou Koumé. Ils n’avaient jamais accepté mon exclusion et l’avaient manifesté à qui de droit à l’époque. Dès son arrivée à la Direction du CESTI, Pr. Oumar Diagne m’a rappelé pour soutenir mon mémoire afin d’obtenir mon diplôme.
Il était allé jusqu’à penser que ce n’était même pas utile de me soumettre à cet exercice. Je lui ai dit que je mesure parfaitement son affection pour moi mais, je voudrais qu’on respectât les formes légales du processus. Je ne voudrais pas à l’avenir, qu’on me le reprochât. Alioune Touré Dia était d’une intelligence supérieure et Oumar Diagne, un esprit d’une rare fertilité intellectuelle. Ils m’ont marqué pour l’éternité. On me surnommait d’ailleurs dans cette école, « le fils spirituel de Oumar Diagne ». Evidemment, c’était juste par raillerie ou plutôt par camaraderie car mes amis savaient combien j’admirais cet homme. Je l’imitais mais je n’ai pas la prétention de perpétuer sa pensée. Il était d’une dimension hautement élevée !
Cela dit, tout aussi pour Birahim Moussa Guèye et
Thierno Diop mes bourreaux, je ne garde aucune rancune. Et je prends Dieu à
témoin. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas de ces êtres humains
que ronge la rancune.
Vous avez fait vos
premières armes au journal «Le Témoin». Pourquoi le choix de ce
journal ?
Mon premier article, je l’ai signé dans « Amina »
le magazine panafricain édité depuis Paris grâce à l’entregent d’Alioune Touré
Dia disparu aujourd’hui. J’avais regagné « Le Témoin » en compagnie
de deux consoeurs, Aminatou Sar qui évolue aux dernières nouvelles à « Plan
International » et Adama Cissé du ministère de la Recherche scientifique.
Au bout de quelques mois, elles sont parties, les conditions de travail
n’étaient pas faciles et il n’y avait pas assez d’argent à gagner. Moi, je suis
resté pendant six bonnes années. J’ai choisi ce journal parce que la ligne
fondatrice m’intéressait. Un journal d’enquête, c’est bon pour un débutant car c’est
un lieu par excellence d’application des leçons que nous venions d’apprendre.
Aller à la quête de l’information, la vérifier, recouper avant de la livrer,
tout cela constitue un exercice exaltant. Et puis, le patron du journal Mamadou
Oumar Ndiaye, je le lisais déjà religieusement du temps de « SOPI »
dont il était le rédacteur en chef dans les années 88, 87 et 89, en compagnie
d’autres grandes plumes comme le défunt Madior Sokhna Ndiaye, Khadre Fall,
Mbagnick Diop, Cheikh khouressy Bâ, etc…
Au journal « Le Témoin », il y avait quand j’arrivais des signatures
marquantes : Moustapha Sarr Diagne, Ibrahima Mané, Momar Wade, Ibou Fall,
Serigne Mour Diop, Abou Abel Thiam, Mamadou Pascal Wane, Abdoul Amadou Sakho,
Gilles Eric Foaday, Mohamed Bachir Diop, Matar Gaye, et bien d’autres grands
professionnels. J’étais dans un cadre excitant puisqu’animé par des
journalistes de renommée à l’époque.
Quels sont les
faits les plus marquants de votre séjour dans cet hebdo ?
Il y en a eu beaucoup, les faits qui m’ont marqué ! Surtout ceux qui relèvent des bons souvenirs. Mais une image me restera à jamais collée à l’esprit : c’est quand, en 1994, le soir d’un jour de bouclage, j’ai vu un Mamadou Oumar Ndiaye devant l’ordinateur, suant abondamment dans son bureau pourtant climatisé, évasif, l’index posé sur la tempe, méditant sur le sort de l’édition de la semaine à laquelle il avait du mal à trouver des articles. J’ai pu lire dans son regard le désarroi d’un homme abattu. Je n’ai pas eu le temps de lui poser une question et d’un coup, il m’interpelle : « Ndoye, t’es au courant ? La rédaction est dégarnie, Bachir, Serigne Mour, Moustapha Sarr Diagne ont quitté le journal pour voler de leurs propres ailes » m’a-t-il soufflé.
Et comme Giles Eric avait déjà rompu les amarres de même
qu’Abel, Ibou Fall, Ibrahima Mané, Momar Wade, Matar Gaye et d’autres membres,
je comprenais très vite la raison principale de ses inquiétudes. Que faire
maintenant avec cette vague de démissions pour faire fonctionner le
journal ? A toute chose, malheur est bon. Un grand boulevard a été ainsi
ouvert et je m’y suis engouffré à 300 km/h. C’est l’occasion qui fait le
larron. Avec l’encadrement fraternel d’Oumar, je suis parvenu, en compagnie de
Pape Ndiaye, Alassane Seck Guèye, Gnagna Cissé, Mbagnick Diop, Mamadou pascal
Wane, Mamadou Sylla et la brillante Daba Sarr aujourd’hui disparue, à me faire
un nom tant bien que mal dans les milieux de la presse. Progressivement
l’équipe se renforce au fil des années. Et c’est cet ensemble qui a fait du
journal ce qu’il est aujourd’hui. Il a été pour moi une aventure riche et
absolument fructueuse. Mon passage au « Témoin » est un des plus
beaux moments de ma carrière professionnelle.
Vous avez poursuivi
une formation en France. Pouvez- vous nous en parler ?
J’ai quitté le Sénégal pour la France au bout d’une année de
collaboration à COM7 que j’avais intégré à mon départ du « Témoin ». J’y
étais Chef du Desk politique à Radio 7FM et Grand-Reporter au quotidien
« Info 7 » édité par le groupe. A un moment donné, je ne me
retrouvais plus dans la ligne du groupe. Les propriétaires, Cheikh Tall Dioum,
Youssou Ndour et Bara Tall avaient à un moment donné des intérêts divergents et
je sentais venir l’inévitable clash. Je m’en étais ouvert à Youssou Ndour qui
m’avait recruté mais je crois que je n’étais pas suffisamment compris. D’aucuns
lui disaient même que j’étais un oiseau de mauvais augure. Mais aujourd’hui
l’histoire m’a donné raison ! Je suis parti à Paris, le cœur serré, grâce
à mon ami le défunt Bassirou Diagne qui m’avait trouvé une inscription à
l’Ecole Internationale de Création Audiovisuelle et de Réalisation (EICAR). J’y
ai effectué des études de JRI et de management de télévision avant de regagner
les Etats-Unis où j’ai vécu en Caroline du Nord dans la ville de Greensboro
d’où m’a appelé Matar Silla, alors fraîchement nommé Directeur général de RTS
en 2001 pour venir poursuivre ma carrière.
Quelle explication
vous donnez aux problèmes que le groupe COM7 a connus il y a quelques années et
qui avaient abouti à la séparation des administrateurs, Bara Tall, Cheikh Tall
Dioum et Youssou Ndour ?
Il y a des choses que je ne peux pas dire sur la place
publique ! En tout cas pas pour le moment. Toutes les vérités n’ont pas
été dites sur cette affaire et je sais que Cheikh, Bara et Youssou savent bien
ce que je dis. Les intérêts économico-politiques ont pris le dessus sur leur
volonté de promouvoir le pluralisme médiatique. Il y avait beaucoup de sable
dans le couscous de rêve qu’avaient cuisiné ces trois milliardaires. Je vois
beaucoup d’acteurs politiques aujourd’hui qui occupent le devant de la scène et
dont leur responsabilité est entière dans la faillite de ce groupe alors bien
parti pour être le fleuron du secteur des médias. J’ai tous les éléments ou du
moins l’essentiel de cette affaire qu’il ne serait pas trop de qualifier de
véritable nébuleuse. Le contrôle de l’information peut faire parfois l’objet de
combats fratricides, mortels, tout simplement pour servir des intérêts
mercantilistes et politiques au détriment de l’intérêt général et de
l’épanouissement social des professionnels animateurs des médias. L’expérience
COM7 est un cas d’école qu’il faut bien étudier pour comprendre la complexité
des connections entre les milieux politiques et médiatiques.
De la presse
écrite, vous êtes passé sans problème au cœur de l’audiovisuel. Peut-on croire
que vous êtes l’homme à tout faire ?
Je ne serais jamais aussi prétentieux quand même bien que j’aie
vécu des expériences variées et enrichissantes dans le domaine des médias. J’ai
fait sept ans de presse écrite et durant ces douze dernières années, il m’est
arrivé de vivre des moments de folie avec la radio et la télévision. Ces deux
médiums de l’audiovisuel me passionnent certes mais la presse écrite est la
plus grande école pour un journaliste. Il vous confère la facilité d’écriture à
force d’y évoluer.
Quel regard
portez-vous sur la presse ?
Je vais peut-être vous surprendre, je ne trouve pas reluisante la situation actuelle de la Presse sénégalaise. Il y a beaucoup de journaux, un peu trop de radios et quelques chaînes de télévision, presqu’entièrement concentrés dans la région de Dakar dont la superficie dépasse à peine 550 km2 ! C’est irraisonnable et désarçonnant pour les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Le métier de journalisme ne se porte pas aussi bien qu’on nous le laisse croire. Certes, il y a beaucoup d’avancées notamment au niveau des libertés dans l’exercice du métier mais je ne suis pas de ceux qui prédisent un avenir radieux à la Presse de ce pays au regard de l’évolution des choses. Je souhaite vivement me tromper. Nous devons cesser de lier la bonne santé supposée de la presse à la quantité des journaux et radios que compte le pays.
De mars 2000 à nos jours, le Sénégal a connu un boom médiatique sans précédent, mais je ne suis pas fier de constater avec de nombreuses autres personnes que la qualité des écrits et des informations laisse beaucoup à désirer. Peu de journaux, radios et télévisions sortent du lot. Et c’est dommage ! J’ai lu récemment Abdoulaye Bamba Diallo et Mamadou Oumar Ndiaye, tirant la sonnette d’alarme et invitant les acteurs du milieu à une sérieuse introspection pour juguler le mal. Je crois que nous avons intérêt à les écouter et à donner plus d’échos à leur cri du cœur. Ils sont des références quand même dans le milieu.
L’analyse faite
également à ce sujet par Mame Less Camara est pertinente. Vu sous les angles de
l’occupation professionnelle et de l’emploi, le développement des médias
renferme en soi un certain nombre d’avantages sociaux intéressants. Moi, je
suis de ceux qui pensent cependant qu’il faut nécessairement regrouper les
forces pour avoir une presse très forte, populaire et économiquement rentable.
Deux à trois groupes de presse seulement suffiraient pour arriver à cela.
L’avenir est aux grands ensembles, et je suis convaincu que la presse ne peut
échapper à cette exigence qui configure les réalités économiques. Trop de
presse tue la presse !
Vous n’êtes pas emballé apparemment par la multiplication des titres ?
Pas du tout ! Et ce n’est pas cela qui m’inquiète. Regardons bien le paysage médiatique sénégalais avec la forte concentration des groupes de presse entre les mains d’un individu. C’est un danger pour la profession et pour la démocratie. Je regrette fort que la loi qui était de mise contre la concentration avant l’alternance soit maintenant remise en cause. L’Etat n’acceptait pas qu’un individu contrôle à la fois une radio, un journal et une télévision. Nous devons mettre des garde-fous. Le nouveau code de la presse doit intégrer également un élément qui me semble important pour la pérennité des structures : permettre d’office aux travailleurs d’un groupe de presse de disposer d’actions dans le capital. Je pense que ce n’est pas juste que les groupes Excaf-Com avec ses radions et sa télé RDV, Futurs Medias avec ses journaux, sa radio et sa télé TFM, Origines S.a avec sa radio et sa télé 2STv, Wal Fadjri avec ses journaux, radios et sa télé Walf-Tv, n’appartiennent qu’aux promoteurs et leurs familles !
Alors
que ce sont des professionnels qui font fonctionner ces outils sans qu’ils ne
disposent d’aucune marge de manœuvre dans la circulation de l’argent que ces
médias génèrent. Ils n’ont que leurs salaires et cela les expose
dangereusement. Tous les grands groupes de presse dans le monde ouvrent le
capital aux travailleurs. Au Sénégal, je ne crois pas qu’au rythme où vont les
choses, les groupes de presse gestion familiale survivront à leurs
propriétaires. Qu’ils soient Ben Bass Diagne, Youssou Ndour, Sidy Lamine Niasse,
Bara Tall et Elh Ndiaye, ils sont les maîtres à tout faire. L’Etat a
l’obligation de trouver des mécanismes d’équilibre et de protection de ces
outils, pour aider parallèlement à la protection sociale des professionnels qui
font tourner les machines. Il y a une hérésie historique à corriger !
Le Président Wade s’en est pris
récemment aux journalistes pour fustiger leur travail. Comment vous percevez
les relations entre la presse le pouvoir que l’on juge toujours difficiles
depuis l’arrivée de Me Wade ?
Les critiques émises par le Président de la République sont en bonne partie fondées. Il ne faut pas qu’on se voile la face. Autant nous refusons que les décideurs politiques s’adonnent au jeu facile de la stigmatisation quand ils apportent des observations sur le travail des journalistes, autant nous devons accepter de nous soumettre au regard critique des populations et des acteurs politiques. J’ai exercé pendant des années dans les journaux, à la radio et à la télévision. Malheureusement beaucoup des reproches qui nous sont faits se justifient. Evidemment, on peut être tenté de ranger tout cela dans ce que Diderot appelle « les idiotismes moraux », autrement dit les entorses à la morale générale que chaque individu fait dans l’exercice de son métier. Mais dans les années à venir si nous ne nous organisons pas très vite pour mettre un bémol aux dérives de plus en plus « liberticides », il arrivera qu’on ne puisse plus constituer un rempart pour la défense de notre démocratie.
L’instinct grégaire du corporatisme nous pousse très souvent à rejeter avec
véhémence l’opinion que les autres se font de notre travail, ce n’est pas une
chose constructive. Je pense que nous devons être encore plus exigeants,
d’abord avec nous-mêmes, pour pouvoir servir un discours rassurant et crédible
à ceux qui dirigent ou aspirent à gouverner le pays. Evidemment, le pouvoir en
place est également en bonne partie responsable de la situation actuelle mais
je trouve que le Président Wade a fait preuve d’une grande humilité en admettant
dans le dernier ouvrage-entretien qui lui est consacré, s’être trompé
d’appréciation dans ses rapports à la presse. J’ai été Conseiller du Premier
ministre, du Président de l’Assemblée nationale et aujourd’hui directeur de la
Communication et de l’information au Conseil économique et social. Je crois
être bien placé quand même pour savoir qu’il y a beaucoup de gens par exemple
au cœur du pouvoir qui ne veulent jamais que les rapports entre la presse et le
gouvernement se normalisent. Il y a une sorte de rente qui ne dit pas son nom.
Cela pose problème !
Cette presse
est-elle libre ?
Plus ou moins ! Mais
attention on ne peut pas juger les journalistes de manière globale. Il y a des
professionnels honnêtes qui se tuent à exercer dans les règles de l’art leur
métier. Mais il ne faut pas jouer à la sainte nitouche, il y a beaucoup à
redire. Faisons bien la radioscopie du secteur médiatique et voyons ceux qui y
ont investi ces dix dernières années. Ils sont en grande partie des hommes
d’affaires soucieux de leurs relations avec les décideurs politiques. Beaucoup
ont fait des journaux, radios et télévisions des instruments d’influence, de
manipulation voire de pression pour orienter les décisions politiques et
sauvegarder leurs intérêts économiques. C’est une réalité évidente ! La
presse de connivence ne relève pas de la pure fiction au Sénégal. L’humoriste
français Guy Bedos disait quand on lui avait posé la même question, « je croirais vraiment à la liberté de la
presse quand un journaliste pourra écrire ce qu’il pense vraiment de son
journal. Dans son journal ». Chaque puissance politique ou financière a ses
chiens de garde. Et c’est pas demain la veille, l’éradication d’un tel
phénomène.
Vous avez travaillé
avec Macky Sall avant de le retrouver à l’Apr. Aujourd’hui vous êtes avec
Ousmane Masseck Ndiaye. On dit aussi que vous êtes un intime à Gadio ?
Qu'est-ce qui explique cette inconstance dans le milieu politique ?
Il n’y a pas d’inconstance politique ! Vous posez une
question qui renferme pour moi trois dimensions : professionnelle,
politique et personnelle. Tout n’est pas politique dans la vie. Macky Sall a
été Premier Ministre du Sénégal et président de l’Assemblée nationale. A chaque
fois, il a fait appel à moi comme Conseiller en Communication, aux Arts et à la
Culture. Je l’ai connu dans les années 90 et il m’arrivait de dormir chez lui à
Fatick en compagnie de son jeune frère Aliou Sall, aujourd’hui chargé des
affaires économiques à l’Ambassade du Sénégal à Pékin. Il y a des liens qui
défient les lois actuelles de la météorologie politique. Je ne suis pas du
genre à lier mes relations aux fonctions d’autrui. Je suis un professionnel de
l’information, je dois pouvoir travailler aux côtés de tout responsable avec
qui je partage les mêmes valeurs. C’est aussi valable pour le président Ousmane
Masseck Ndiaye. Pendant que beaucoup de monde me fuyait comme la peste, il m’a
pris à ses côtés pour gérer la communication et les relations publiques au
Conseil économique et social. Il n’a même pas cherché à savoir si je suis
« politiquement correct » ou non. Aussi bien aux présidents Macky et
Ousmane Masseck, je n’ai jamais rien demandé. Dans la mesure de mes capacités,
je me bats tous les jours pour mériter la confiance du président du Conseil
économique et social. C’est l’essentiel. Il faut qu’on arrive à faire la
différence entre un engagement politique partisan, donc privé, et un engagement
professionnel. Moi, je sais ce que je fais. J’ai une haute vue de la
République. Quant à Cheikh Tidiane Gadio, je le connais depuis dix neuf
années ! Mon fils ainé porte son nom. Cela veut tout dire. C’est d’ailleurs
maintenant qu’il n’est plus aux affaires qu’il bénéficie encore plus de mon
affection. Ces trois hommes ont des traits communs : le courage, la
générosité et l’esprit hautement républicain. Je me retrouve dans ces qualités,
c’est pourquoi mon compagnonnage n’est pas aussi difficile avec eux.
Parlez-nous de
votre compagnonnage avec les artistes tels que Youssou Ndour et Oumar Pène dont
vous avez été le chargé de communication ?
Mes liens avec Oumar Pène sont plus anciens mais je garde
toujours les mêmes relations d’amitié et de fraternité avec les deux. Chacun de
ces grands Messieurs a sa personnalité, son caractère, son tempérament et sa
philosophie de vie. Je crois les connaître très bien pour pouvoir disserter sur
eux. Enfant, je les entendais chanter. Quand Dieu m’a donné la chance de les
côtoyer quotidiennement, de m’imprégner de leurs vies jusque dans leurs
intimités respectives, j’ai pu mesurer tout le mérite qu’ils ont en arrivant
aujourd’hui au stade de réussite professionnelle qu’on leur connaît. Ils sont
tous les deux des légendes vivantes. Avec Ismael Lô, Baaba Maal, Thione Seck,
Kiné Lam, Ouza Diallo et bien d’autres figures, ils constituent les derniers mohicans
de la scène musicale nationale. Il nous faudra peut-être un autre siècle pour
que le Sénégal dispose d’aussi valeureuses voix artistiques. J’ai beaucoup
voyagé avec ces artistes mais c’est avec Youssou que j’ai cheminé le plus long
temps. Je l’ai aidé à mettre en place le Groupe de Presse « Futurs
Médias » et la création du quotidien « L’Observateur » porte ma
signature. Il m’a toujours fait l’honneur de m’associer à la conception et la
mise en place de ses structures médiatiques. En côtoyant ces figures
emblématiques, j’ai beaucoup appris de l’art de la vie.
21 Commentaires
Ouf
En Octobre, 2011 (09:37 AM)Heuchy
En Octobre, 2011 (09:54 AM)On le connait du temps du temoin mais il n'est plus le meme.
Lagaffe
En Octobre, 2011 (10:04 AM)Le_gabonais
En Octobre, 2011 (11:07 AM)Almami
En Octobre, 2011 (11:08 AM)Patisco
En Octobre, 2011 (11:38 AM)Vive wade et ses alliés 75% au premier tour
Ndiaganiao
En Octobre, 2011 (11:44 AM)Aucun superlatif ne convient pour définir vos qualités infinies… A moins d'en inventer un nouveau ?
Définition d'extraordinaire : Se dit de quelqu'un dont les capacités surclassent de loin celles des autres. Unique exemple de quelqu'un d'extraordinaire : Vous !
Aujourd'hui, "Parfait" n'est plus un terme abstrait : avec vous, nous en avons enfin un exemple vivant !
Mbeugue Beuré Bagne Baré , vive wade et ses alliés 75% au premier tour
Kiné Ndiaye Diop
En Octobre, 2011 (12:31 PM)Nabou 25
En Octobre, 2011 (13:12 PM)Katerine
En Octobre, 2011 (14:05 PM)Deug
En Octobre, 2011 (14:32 PM)Sait Tout
En Octobre, 2011 (16:11 PM)Maya
En Octobre, 2011 (17:26 PM)Joe Gningue Asecna
En Octobre, 2011 (17:58 PM)Lamane Diop
En Octobre, 2011 (21:20 PM)Petit Frere_montreal
En Octobre, 2011 (01:49 AM)Penelope
En Octobre, 2011 (09:56 AM)Sangoulé
En Octobre, 2011 (14:15 PM)Dias
En Octobre, 2011 (06:10 AM)Vieille Connaissance
En Décembre, 2011 (21:28 PM)Nous devons tous saluer au moins son formidable parcours car il faut le reconnaître, il est parti de rien et s'est fait tout seul. je ne serais pas surpris de le voir à un poste à plus grande responsabilité.
Diopghana
En Juin, 2012 (22:17 PM)Participer à la Discussion