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CHRONIQUE DE L’IMPROVISTE: Démocrature

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CHRONIQUE DE L’IMPROVISTE: Démocrature

Comme avec les trains, un avion peut en cacher un autre. Comme avec les trains et avec les avions, un langage peut en cacher un autre. Depuis plus d’une semaine, le débat national est focalisé sur la Pointe de Sangomar. La fissure d’un hublot de cet avion a fait lever un jour de foire à Dakar. Aussitôt, des « voix autorisées » sont montées au créneau pour défendre l’idée selon laquelle « pour des raisons de sécurité, acheter un nouvel avion à Me Abdoulaye Wade est devenu urgent ».

Maître, de retour de voyage en fin de semaine dernière, répondant à la question d’un journaliste déclare : « je me paie un avion si je veux… Je ne demanderai l’autorisation de personne… Je n’ai pas encore décidé de le changer, mais il ne peut y avoir de débat. Il me suffit de faire çà (en joignant le geste à la parole Maître claque les doigts) pour que des amis me prêtent un avion ». Les mots et les images sont rarement neutres parce que souvent prononcés et/ou montrées, lourds de sens implicites, se déduisant de jugements partisans. A ne vivre la plupart du temps que dans la Pointe de Sangomar (en attendant l’achat du sien), à consacrer chaque seconde à son ambition de « Bour », Abdoulaye a muselé Me Wade, président de la République, l’être privé a étouffé l’être public. Il s’évertue à une dimension monarchique tutélaire dans la figure du chef de l’Etat que sa personnalité ne reflète pas. Le vrai mystère de Maître, est peut-être de ne plus en cacher aucun, de vivre une parfaite immanence, où seul compte le présent et où la fin n’est qu’un instant au bout de millions d’autres, une étoile polaire dans un ciel qu’il ne scrute jamais

Question de sécurité, achat d’un nouvel avion, relations familiales avec les « en-haut des en-haut » comme disent les Ivoiriens : « je suis allé en Mauritanie [à la cérémonie d’investiture] avec ma femme et mes deux enfants pour que nos deux épouses et nos enfants se connaissent ». Après le Maroc et le Koweit, les relations du pays avec la Mauritanie ne seront plus d’Etat à Etat, mais seront réduites aux familles. Les mots sont placés les uns dans les autres, en un même discours fantasmé, comme si les premiers étaient sculptés par les suivants. L’abus de langage entraîne la polémique, laquelle bouge les lignes de la gestion de l’Etat et du paysage politique et assurément, une moisson familiale. A quel prix pour les Sénégalais ? Autant pour les militants en allégeance, qui sont de plus en plus nombreux à accueillir Maître à ses retours de voyage toujours « fructueux » (mais ce dernier ne se pose jamais la question de savoir « qui sont ces milliers de chômeurs qui jalonnent mon parcours » ?), que pour les citoyens en appétence qui savent pertinemment ce qu´ils veulent. Mais l´ardeur de leur souffrance, additionnée à l´urgence de leurs incommensurables besoins, les fragilise et les transforme en une proie facile.

L’Etat –ou Maître plutôt- se veut immortel. Il peut donc supporter la maladie incurable de l’endettement. Jusqu’au jour où ce pays malade ne s’appartiendra plus, ligoté par les mille perfusions de ses créditeurs, désormais en majorité étrangers.

Depuis le 19 mars 2000, date à laquelle le monde a « envié », le Sénégal pour son Alternance politique, la démocratie pose problème. La froideur minérale de la victoire au premier tour du 25 février 2007 est sans doute une triste coulisse, mais le moment est venu du véritable tomber de rideau. Les choses ont empiré. Nous avions été habitués à des lancements de ballons de sonde, balbutiés par des « voix de leur Maître », leurs annonces, leurs retraits, leurs bluffs et leurs « résolutions », débités par des défenseurs de Maître, tenant la contre-chronique d’un pays qui se débat contre un mal invisible, insaisissable que l’on ne connaît qu’à ses symptômes : éducation en déliquescence, choléra, délestages, pauvreté de plus en plus grande. Le marécage à la fois bouillonne et se décante.

Nous vivons en démocrature. Démocrature ne se trouve pas dans le dictionnaire. Contraction de démocratie et dictature, ce terme est pratique pour désigner un régime qui veut se faire passer pour démocratique, mais qui en réalité, relève plus de la dictature, de l’autoritarisme, qui est plus subtil et donc plus dangereux qu’un régime violent et ouvertement répressif. Il peut être perfectionné et approfondi par divers moyens. Passé les temps des institutions déréglées sans être rénovées (aucun contre-pouvoir ne s’est maintenu dans le sillage de la politique, constamment grignotée par Maître), et un pays aux comptes publics dégradés, le Sénégal aurait dû entrer dès 2000 dans le 21ème siècle. Il l’a fait le 25 février 2007, d’un bond périlleux par le biais de la technologie informatique appliquée au fichier électoral.

Dans son édition hebdomadaire du 13 au 19 mars 2007, l’édition du Témoin, nous informe que nous sommes désormais et en permanence sous haute surveillance électronique. Les technologies informatiques ont permis d’augmenter ce que les spécialistes appellent notre "traçabilité". Nos activités, nos conversations, nos goûts et nos centres d’intérêts ont laissé des traces dans le système informatique qui gère notre vie quotidienne. Toutes ces données ont été collectées, centralisées et mémorisées par des techniciens qui avaient pour « mission de mieux étudier le « profil » des probables électeurs » votant pour le parti au pouvoir.

A force de simplification, on a confondu démocratie et élection. Un pays qui organise des élections de façon régulière est réputé démocratique. Des sceptiques de la victoire ont dénoncé des « forces occultes » qui ont veillé à ce que le vote n’ait en rien, exprimé la volonté populaire. En voulant dissiper les doutes nés dans les esprits, le ministre de l’Intérieur avait répondu : « les djinnés ne sortent pas la matinée. Ils se promènent le soir ». C’est peut-être la raison pour laquelle, lui qui connaît si bien les habitudes des djinnés, a pris sur lui, la décision de prolonger le vote, dans certaines localités du pays jusqu’à deux heures du matin, le 26 février 2007. En auréolant le scrutin de toutes les vertus, il a attiré sur lui toutes les tentations. Si le scrutin ouvre la voie à l’emprise dite démocratique et, par ricochet, au pouvoir, c’est le scrutin qu’il importera de bricoler. Certains ont compris la grandeur de la cause pour canoniser les pires entourloupettes.

Les autres concepts-clés de la démocrature sont connus : Maître, idole dont « les chantiers vont orienter et déterminer le mouvement général de l’économie », « le plus diplômé du Caire au Cap ». J’ai même entendu un illuminé, pince-sans-rire, déclarer : « juroom ñaari at, suulnañu ñenfukki at ».

La télévision nationale ? Il est vrai qu’aujourd’hui, quand quelqu’un vous demande : « qu’est-ce que tu as fait hier soir », la réponse est celle-ci : « Rien, j’ai regardé la télé ». Il n’est pas possible de répondre à cette même question : « j’ai appris plein de choses, j’ai regardé une émission incroyablement passionnante ». Regarder la télévision nationale est devenu forcément passif tant qu’elle manque cruellement de diversification. A part les activités de Maître, de sa famille et de son parti, rien d’autre n’est à l’antenne qui monopolise le champ public. Ma belle-sœur Yolande a trouvé une réponse géniale : « Je ne fais rien. Je suis devant la télé. Elle et Abdoulaye Wade me regardent ».

La démocrature propose une certaine forme de pouvoir : tous les assoiffés, qu’ils soient tyrans ou démagogues, échevelés ou défenseurs aux articulations coincées, rendent un culte à Maître... Regrettons cette convergence de toutes les voracités, mais ne nous étonnons pas de rencontrer le pire et le meilleur. Notre « démocratie » n’est en fait qu’émotionnelle. La réaction précède la réflexion critique et elle recourt aux amalgames. Et malheur à ceux qui émettent une opposition ou même des réserves. Dans un langage fleuri, des thuriféraires de la 25ème heure, arrivés quand tout était prêt, enveloppés dans une arrogance réfrigérante, et n’ayant de souple que le tissu dans lequel sont coupés leurs costumes, leurs sabadors ou leurs foulards, raides comme sortis d’un bain d’amidon, font le siège des radios et occupent les colonnes des journaux, pour répondre. Ils débitent une doctrine visqueuse dans le but d’envelopper tout raisonnement « rebelle » pour l’inhiber, le troubler, le paralyser pour l’étouffer. Ils travaillent à la pensée unique, la seule autorisée par une invisible et omniprésente « police » de l’opinion.

Les élections législatives ? Elles vont produire une Assemblée nationale qui nous offrira, à coup sûr un spectacle affligeant. Une mauvaise lumière tombera sur les têtes de nos chers « représentants », soulignera leurs rides, leur épaissira le nez et leur élargira les mâchoires. Pas besoin d’être devin pour parier déjà que nous assisterons à un spectacle de laisser-aller d’après banquet (du 3 avril), dans un tohu-bohu rigolard, avec des incantations surjouées. Ils mimeront leurs propos dans une gestuelle à la vulgarité consternante, faisant concurrence aux caricatures de O. Dia…. Et il n’y aura personne pour leur rappeler qu’ils ne sont pas à l’opéra-comique.

Nul besoin d’en rajouter, tant il est sûr que les faits sont ses meilleures publicités. Nos malheurs sont les espoirs de Maître et c’est là, le seul programme de son deuxième mandat. Des fléaux qui frappent le Sénégal, il ne doute pas d’en tirer les bénéfices. Le débat sur la Pointe de Songomar, sur l’achat au non d’un nouvel avion illustre l’essoufflement du pays. Un hublot s’est fissuré, l’atterrissage à Palma de Majorque a été forcé. Et un A 319 peut aussi ne plus rien cacher du tout.



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