Khadim Thioune, fils de Cheikh Bethio : « La foi reste ma boussole »

Sa filiation en fait un député pas comme les autres. La politique est le nouveau boulevard de ce quadra déterminé à mener une lutte aux injustices. En ligne de mire de cet engagement politique ? La charge de cinquième président de la République ! Marabout citoyen, il engage un nouveau match de sa trajectoire et va droit au but. Lui qui a arraché à ses camarades de jeu le surnom si évocateur de « Diégo Maradona ».

Il est entré en politique avec un signe particulier : enfant de Cheikh Béthio Thioune. Né à Touba il y a 41 ans, il porte un nom deux fois lourd de symboles : Khadim Thioune. Le prénom du fondateur du Mouridisme et le patronyme du Guide des Thiantacounes. Deux mois plus tard, au soir du 1^erjuillet 2012, le suffrage universel lui décerne son parchemin. Député ! Il assimile la pédagogie de la piscine : plonger et se tirer d’affaire. L’eau n’est-elle pas, dans les symboles mystiques, source d’abondance et de félicité ? Le jeu politique – fait d’alliances, de mésalliances, de polémiques et de crocs-en-jambes – ne lui inspire aucune peur de renoncer au droit de se frayer un chemin dans l’élite parlementaire. Et il a battu son fer pendant qu’il était chaud ! La matière a pris forme. Le décompte est bon, sous certification des Commissions de recensement, de la Cour d’Appel puis du Conseil constitutionnel. Lui, le comptable de formation, comprend la rigueur des chiffres. En démocratie, cela s’appelle souveraineté populaire. Il se soumet à cette règle républicaine, laissant, un moment, les signes extérieurs d’érudition à la sénégalaise : le turban, le chapelet, la natte de prière, etc. La foi reste sa boussole sinon, il ne se serait pas engagé dans ce défi politique aux allures d’aventure inconsidérée. La copie est honorable pour le député du tout nouveau Mouvement patriotique sénégalais (MPS/Faxas) qui est l’une des révélations des élections législatives du 1^er juillet 2012.

Vaincre les injustices

La première fois qu’on a découvert Serigne Khadim Thioune, leader du MPS, sur la scène politique, l’effet a été saisissant. Aussi saisissant que la nouvelle de son élection. Ayant créé son parti à deux mois des échéances électorales, il a réussi sa « mission commando ». En prime, cette place à l’Hémicycle. Les Sénégalais l’ont découvert dans l’arène politique lors de la campagne pour les élections législatives. Il était sans doute classé, par la majeure partie des analystes politiques, dans le lot des « moissonneurs » politiques aux zéros alignés à l’heure du décompte final. Le leader du MPS déjoue les pronostics. Il analyse : «Nous avons créé ce parti deux mois avant les élections législatives. Sur 24 listes, nous avons fait mieux que certains partis ayant devancé le nôtre dans le champ politique. Je sais que si nous avions très tôt commencé le travail, nous aurions pu avoir un meilleur résultat. Nous sommes très ambitieux. Nous avons créé un bureau d’études pour dérouler notre programme en vue de la prochaine élection présidentielle.» Son oncle Badara Thioune apprécie : «C’est un visionnaire d’une cible bien déterminée.»

Syndrome Macky Sall

Son engagement est la résultante de la destinée politique de Macky Sall et de la lutte contre l’injustice. «Personne ne croyait que Macky Sall serait le quatrième Président de la république, lui-même ne s’attendait pas à cela. Pourquoi pas moi ? Au Sénégal personne ne peut plus gagner une élection au premier tour, alors quand tu as une majorité, on ne va pas diriger le pays sans toi», dit cet homme qui ambitionne de devenir le cinquième président de la République. Successeur de Macky Sall. Réparateur de torts comme celui dont son frappés les citoyens placés en garde-à-vue. Un certain Cheikh Béthio Thioune est de ceux-là. Ce dernier est accusé de complicité d’homicide (de meurtre) avec acte de barbarie, détention d’arme à feu, recel de cadavres, non-dénonciation d’actes criminels ou de barbarie, inhumation de cadavres sans autorisation administrative et association de malfaiteurs suite à la mort de deux de ses disciples à Médinatoul Salam, son fief. Cheikh Béthio Thioune sera arrêté et déféré à la Maison d’Arrêt et de Correction de Thiès, en avril 2012. En parlant de ce jour, la colère se lit dans son visage, le ton monte, les mots durcissent. L’arrestation de son père est la chose qui lui a le plus fait mal dans sa vie. Pour Serigne Khadim, cette arrestation est arbitraire et relève d’un règlement de comptes. «Quand on peut laisser  en liberté quelqu’un qui assume avoir tué, et emprisonner quelqu’un qui déclare être non coupable, c’est tout simplement un règlement de comptes», fait savoir ce fils du guide spirituel des Thiantacounes. Son parti est l’instrument républicain de son combat politique. «Notre créneau est de restaurer la démocratie, la justice l’équité et tant d’autres maux qui gangrènent notre société de façon très classique, d’où le non du MPS/ Faxas. Dans beaucoup de pays, quand on arrête une personne, il a le droit de voir immédiatement son avocat. Au Sénégal, pendant les 48 heures de garde-à-vue, la personne n’a pas le droit de voir son conseiller. C’est inadmissible !»

Vous avez dit « simples citoyens » ?

Ce jeune guide spirituel ne reste pas indifférent aux grands débats peuplant l’espace public sénégalais. Il veut participer à la régulation de la vie politique, économique, sociale et culturelle. Son statut de marabout n’est pas un passe-droit, mais il lui confère le droit à une présomption de crédibilité. Là, nous visitons l’autre raison ayant poussé Serigne Khadim Thioune à descendre dans l’arène politique : la déclaration de Macky Sall qui traitait les Marabouts de « simples citoyens ». «Mon combat, à l’Assemblée nationale, ne sera pas seulement religieux. S’il faut être député pour défendre l’idée selon laquelle les Marabouts ne sont pas de simples citoyens, je le ferai. Cela me fait très mal», se plaint-il. La ténacité est une marque de fabrique chez lui. Hamidou Diédhiou, un ami d’enfance, témoigne: «Khadim a toujours été très ambitieux, courageux et travailleur. Il a très une grande personnalité, et prend tout avec philosophie.» En cette matinée de juillet, il revient de sa séance de sport. Dans sa maison sise à la Gueule Tapée (quartier dakarois), à quelques mètres du marché aux poissons de Soumbédioune, nous le retrouvons en train de s’amuser à chasser les nombreuses mouches du salon. La taille moyenne, la corpulence d’un costaud, les yeux ronds, le nez épaté, habillé d’un pantalon jean bleu et d’un pull noir aux manches longues, rien dans l’allure de cet homme ne laisse apparaître ses statuts de jeune guide religieux ou d’un parlementaire. « L’habit ne fait  pas le moine», lance à l’improviste, sa femme, Mame Bousso Bâ.

Béni par Serigne Saliou

Avec l’affectation de son papa comme Secrétaire général de la commune de Dakar, le jeune homme pose ses baluchons à l’Ecole élémentaire de Dieuppeul 2 où il réussit au concours d’Entrée en Sixième. De nouveau affecté dans la commune de Pikine la famille déménage et Serigne Khadim rebondit au Lycée Limamoulaye où il décroche son Bfem en 1991. En classe de Première, il quitte l’enseignement général pour une formation professionnelle en comptabilité au groupe scolaire KPR. Cette formation sera interrompue en deuxième année, en 1993. «Cette année coïncidait avec la demande de Serigne Saliou Mbacké (sixième Khalife général des Mourides, Ndlr) qui voulait transmettre une éducation aux jeunes comme le faisait son père, le fondateur du Mouridisme.» Malgré l’obtention d’un stage à la Société générale de Banques du Sénégal (SGBS), Khadim sera expédié à Touba. Il passe cinq années dans la cité religieuse, près du Khalife. Ce dernier le charge de veiller sur la santé de plus de 100 enfants : «Je ne pouvais plus emmener, seul, les enfants à l’hôpital, informe-t-il. Le Khalife m’avait mis en rapport avec le docteur Moustapha Sourang qui était le chef du District de Touba. J’ai alors fait une formation accélérée en santé en moins de six mois. Finalement, j’avais un pavillon à l’hôpital pour soigner les enfants.» En 1998, il reçoit les bénédictions de Serigne Saliou et rejoint Dakar où il est recruté par la Compagnie bancaire de l’Afrique de l’Ouest (CBAO). Une aventure qui sera de courte durée.

Globe-trotter

Comme la plupart des jeunes de son âge, son esprit est hanté par un voyage vers des cieux plus cléments. Aussi, au bout d’une année, il rend sa démission. «Les salaires n’étaient pas très consistants et je voulais avoir des revenus qui me permettraient de vivre décemment.» Son oncle Badara Thioune n’est pas surpris par ce choix : «Il s’est toujours battu tout seul pour réussir dans sa vie». Sa femme Bousso Bâ corrobore ses propos : «Il aurait pu rester les mains croisées parce qu’il est le fils de Cheikh Béthio, mais il ne le fait pas. Serigne Khadim est toujours au front pour répondre aux besoins de sa famille». Ce voyage, qui a duré presque dix ans, lui permet de découvrir l’Italie, la France, l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas. Il fait aussi la connaissance de José Maria Clawson, un riche Espagnol désireux d’investir en Afrique. Sous ses conseils, le sieur Maria Clawson effectue une visite au Sénégal et investit dans l’immobilier. «Le Président l’avait reçu et lui a offert des terrains qu’il a construits et mis en vente, confie-t-il. J’étais l’attaché commercial de son agence.» Une fois encore, Serigne Khadim Thioune démissionne de son poste pour des raisons politiques. Sa grande mobilité le fixera au plan affectif et social. C’est au cours d’un de ses déplacements qu’il a rencontré sa dulcinée, Mame Bousso Bâ. C’était à Nancy (France). Titulaire d’un Master 2 en Economie et Finance, cette Thiantacoune sera son épouse et la mère de ses enfants.

«On m’appelait Maradona»

Enfant, ce fils d’administrateur civil a vécu l’ambiance qui règne en banlieue, malgré l’éducation stricte inculquée par son père. Serigne Khadim passait une partie de son temps libre à taper dans le ballon dans les rues du Guédiawaye (banlieue dakaroise). Dans cette localité, il a même joué au football, dans le cadre des compétitions populaires appelées « Navétanes » sous les couleurs de l’équipe cadette de Manko. Le leader du MPS est l’un des artisans de la qualification de son Asc en finale zonale, en 1987. Son style de jeu et sa corpulence lui ont valu le pseudonyme de Maradona, la star planétaire du football argentin des années 80. Des veillés nocturnes, il en a connu. Il profitait de l’absence de son père pour assister aux soirées dansantes organisées par le foyer des écoles qu’il fréquentait. «Ce sont des affaires de jeunesse, mais ça n’a pas duré parce que j’ai été envoyé au Daara à Touba.» Serigne Khadim est un homme partagé entre ses activités politiques et l’agriculture. Pour ses périodes de vacances Serigne Khadim Thioune prend du plaisir à voyager à travers le monde : «Le voyage permet de découvrir et de savoir beaucoup de choses», Il permet aussi de revenir pour traduire en style de vie le concept de « Faxas » qui renvoie à la purification, aux ruptures et à l’émancipation».

 Source : Le Pays au Quotidien