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[ Contribution ] Le musulman et le chrétien doivent-ils célébrer les mêmes fêtes ?

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[ Contribution ] Le musulman et le chrétien doivent-ils célébrer les mêmes fêtes ?

Durant ce mois de décembre, on aura fêté la Tabaski (la fête du mouton), le retour des pèlerins de la Mecque, Noel et la Saint-Sylvestre plus connu sous le nom de 31 Décembre. Donc, du début à la fin, c’est la bamboula, la noce quoi ! Voilà des occasions uniques qui risquent de ne pas se reproduire concomitamment de sitôt. Un tel chevauchement de fêtes, qui cependant, soulève beaucoup d’interrogations.

La première veut que dans notre pays, de plus en plus, on  pense que chaque communauté devrait s’en tenir à ses fêtes, autrement dit d’aucuns se trouvent irrités de voir que les sénégalais fêtent indistinctement toutes les fêtes religieuse, païenne et  laïque.

Deuxièmement, on s’interroge ou plus précisément on déplore couramment les fortes dépenses (du gaspillage ?) que cela entraîne et pensant de cette sorte qu’avec les fêtes, les familles s’en retrouvent ruinées jusqu’au cou, et qu’en plus cette manne financière gaspillée aurait pu être utilisée à d’autres fins plus rentables. Et troisièmement enfin, la pléthore de fêtes que nous avons, agace d’autres esprits arguant que cela pourrait nuire à l’économie et que ce serait une sorte de chronophagie alors qu’on aurait besoin de ce temps pour rentabiliser d’autres activités moins oisives.

Cependant, n’y aurait-il pas place à moins de dénigrements ?

Il me semble qu’on pourrait voir autrement ces événements qui rythment de temps à autres la vie de nos populations.

En effet, l’aspect le plus immédiat et le plus aimable est que la fête est un moment dans lequel il y a toute forme de dissolution. Elle met en relation ce qui d’ordinaire est séparé : les classes, les sexes, les morts et les vivants, l’humain et le divin. Et cela n’a pas de prix, parce que dans d’autres circonstances, on cherche par  tous les moyens d’y arriver, sans grand succès. Combien de conférences, de rencontres sont chèrement organisées pour aplanir les différences entre les communautés ou les individus, ou plus précisément les différents compartiments ?

Quand dans un pays, dans un monde, on cherche par tous les moyens  de rapprocher les différentes communautés, de dissoudre les dissemblances et en vain, il ne serait pas logique de vilipender comme on le fait souvent ces moments de communion, d’indifférenciation et d’aplanissement de toutes les différences, qui à d’autres moments sont exacerbés. Ainsi, que les sénégalais célèbrent indistinctement les fêtes païenne, religieuse ou autre, ce serait une chose à encourager plutôt qu’à décourager. Le dialogue islamo-chrétien, le dialogue entre les différences ne pourrait avoir tout son sens et toute sa sincérité que quand on ne se permet pas de vouloir limiter chaque communauté dans ses moments de joie ou de peine. Il faut encourager cet esprit et non essayer de le museler comme on le fait de plus en plus. Je suis musulman et je célèbrerais avec toute la joie qu’il faudrait toutes les fêtes chrétiennes et païennes ! Et je ne laisserais à personne le droit de me priver de cette façon de faire ou de voir !

En outre, à travers ce que nous venons de souligner, il est aisé de comprendre que la fête constitue un moment de frénésie et de dissolution des différences, de toutes les différences et que donc ce désir intense des uns et des autres de célébration festive n’est à trouver que dans cet autre désir de vouloir s’échapper aux réalités courantes de discrimination, de différenciation. C’est une manifestation d’un désir ardent de dissolution, même si cette dissolution est provisoire, et c’est parce qu’elle est provisoire qu’elle est ainsi intense et frénétique. Quand Abdoulaye Wade fête la Tabaski, comme tout le monde, cela donne à tout le monde l’idée qu’Abdoulaye Wade et tout le monde ne font qu’un. S’il fête avec les mourides, on dira qu’il est partisan et que donc qu’il n’est pas comme tout le monde. Ce qui explique parfois qu’il s’éclipse quand il sent que ce pays fêtera dans la discorde. Ce qui explique aussi qu’on a du mal à comprendre pourquoi une communauté (musulmane) qui se dit une, n’arrive à le manifester dans ces seuls moments potentiels d’indifférenciation que sont les fêtes de Tabaski, de Korité ou autres ? 

Cependant à l’échelle individuelle ou familiale, la pratique de ces fêtes  peut entraîner un lourd endettement et cela peut être cause de tracas ou de dommages. Mais, il faudrait dire que la cause de ce lourd endettement n’est pas à proprement parler la fête, mais une certaine mentalité, survivance d’une pratique ostentatoire dans presque toutes les conduites des individus de notre société. On s’endette pour faire mieux que le voisin, pour avoir le bélier le plus imposant. Le retour des pèlerins, la Tabaski, le 31 Décembre, Noel, etc. sont de plus en plus considérés comme des événements budgétivores à mort.

Cependant, je pense toute proportion gardée qu’il faudrait inscrire ces nouvelles conduites dans la situation de crise économique, de sinistrose ambiante, dans laquelle les populations évoluent de plus en plus. C’est parce que cela ne va pas qu’à de pareilles occasions, on essaye de ne pas se priver. Ce n’est pas toujours qu’on a des occasions de se départir de cette angoisse corrosive, alors on s’en crée des occasions quand l’événement s’y prête !

Tant qu’on évoluera dans des situations de précarité, de discrimination, de paupérisation, nos moments de fête seront très frénétiques et intenses en dépenses pour la bonne et simple mesure que la fête quelle qu’elle soit est toujours un moment de manifestation de ce que l’on voudrait avoir, mais que l’on n’a pas !

Alors pour arrêter les gaspillages (si gaspillage il y a), il faut résoudre toutes ces formes de discrimination, de précarité, d’angoisse endémique.

Je dépense parce que je n’ai pas ou parce que je voudrais avoir ce que je n’ai pas toujours !

Et le danger serait de priver les gens de dépenser de la sorte et d’agir dans la frénésie !

Par ailleurs, il faut souligner aussi que dans une société de consommation, la logique capitaliste voudrait qu’il y ait beaucoup d’occasions de dépenser afin de faire tourner ce système. Ainsi, voit-on exhumer des fêtes que l’on n’avait jamais connues jusqu’ici. Pêle-mêle, on pourrait avoir : la fête des mères, des pères, des enfants, des morts, etc. Ainsi, chaque jour sera une occasion de dépenser.

De ce fait, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces fêtes ne sont pas des moments de gaspillage économique pour la société tout entière. C’est plutôt des moments de fortes dépenses nécessaires pour l’économie d’une société. Mais aussi et surtout, elles constituent des moments d’épanchement, de défoulement,  de délivrance, de thérapie, de « ndeup » nécessaires dans ces périodes de crises interminables et minables.  

La fête est une suspension ou une négation du temps et de ce qui est ordinairement séparé. Mais ce n’est en aucune façon une chronophagie ou un gaspillage parce que quand on la tient ainsi, c’est qu’on veut lui trouver une finalité, alors qu’elle n’en a pas ou si elle en a, il faudrait la trouver en elle-même ou à travers la société tout entière et non par rapport aux services  ou aux dommages qu’elle peut faire au temps ou à l’économie, des catégories bien définies de la société.

Mais, il faudrait dire que puisque la fête est un moment de diversion, on devrait y prendre garde à ce que des esprits (les dirigeants) n’en profitent pour détourner les citoyens des occupations plus urgentes.

On a déjà vu comment des régimes politiques ont essayé de détourner l’attention des populations en organisant des rencontres de football, ces moments frénétiques où l’on oublie tout jusqu’à soi-même. Ces moments de fête sportifs peuvent aussi constituer ce que certains penseurs nomment comme étant la peste émotionnelle. Peste émotionnelle en ce sens que dans de pareilles occasions on oppose généralement une communauté nationale ou autre contre une autre communauté.

Avec la coupe d’Afrique des nations, des moments de fête et de communion certes, mais des moments où l’on exacerbe les différences nationales jusqu’à oublier l’esprit de ces fêtes.

La fête est un instant social et en tant que tel elle constitue une des rares occasions dans une société où il y a dissolution et communion. Il faudrait être un esprit très hautain, suffisant et très fier pour se priver volontairement de ces moments ou pour le faire dans l’austérité la plus totale. 
 

Mamadou Moustapha WONE

Sociologue

BP : 15812 Dakar-Fann

[email protected]

Sénégal.



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