Dakar, 4 oct (APS) - Sandaga, Soumbédioune, Yakh Dieuf, Mbott, etc. Ils sont nombreux ces quartiers et places de la capitale qui portent des noms méconnus des Dakarois qui ainsi n'en savent rien de leur sens et origine.
D'origine léboue, l'ethnie reconnue comme étant la première à habiter la presqu'île du Cap-Vert, certains noms sont d'origine inconnue à l'image de ceux donnés aux 12 ‘'penc'' qui correspondent aux subdivisions de Dakar dans l'ancienne organisation de la société léboue.
Aujourd'hui, les noms authentiques d'une bonne partie de ces localités devenues juste des sous-quartiers presque noyés dans le tracé de circonscriptions administratives beaucoup plus larges, ne sont connus que par leurs habitants et certaines personnes âgées.
Les villages traditionnels de Ouakam, Ngor et Yoff, ainsi que certains endroits célèbres comme Sandaga et Soumbédioune semblent échapper à ce quasi-anonymat né de la subdivision administrative.
Ainsi, un vieux lébou ne se gênerait pas pour désigner sous le vocable de Bagnoul la zone du Plateau abritant le Palais, l'hôpital le Dantec, l'Hôpital principal jusqu'au Cap Manuel.
Il pourrait encore dire Yakh Dieuf, pour parler de la zone englobant la rue Abdou Karim Bourgy, Galandou Diouf, ainsi que la rue Diaraf Mamadou Paye Assane (ex-rue Valmy) et alentours.
Aujourd'hui, note Elhadji Mamadou Guèye, président des Freys de Dakar, équivalent du ministère de la Jeunesse dans l'organisation de la société léboue, avec l'expansion des quartiers, les anciennes subdivisions de Yakh Dieuf, Gouye Salane et Thiédème, se télescopent. D'ailleurs, les noms de rues ont pris le dessus sur ces anciennes appellations étroitement liées à l'histoire et à la conception de la vie de leurs fondateurs.
L'une des constantes dans la dénomination des différents quartiers et sites, reste la forte prégnance de la mystique léboue.
Concernant, par exemple, l'origine du nom de Yakh Dieuf qui, littéralement, signifie ‘'détruire une action'' en wolof, elle reflète la fonction originelle de ce penc dont se réclame M. Guèye. ‘'Chaque fois que l'ennemi (Ndlr, le colon) préparait une action contre nos intérêts c'est là que les responsables lébous se rencontraient pour lui faire échec au plan mystique'', explique-t-il.
C'est un ensemble de ‘'symboles'' qui entrent dans le cadre d'un ‘'dialogue mystique'', laisse entendre Aliou Diagne Mbor, Ndèye Djirew de Dakar, qui correspond au titre de maire de la ville dans le système coutumier.
Dans la même dynamique, le débarcadère de Soumbédioune, dont l'appellation correcte est ‘'Soumb-dioum'', selon M. Guèye, tire son origine de la mystique léboue. Ce mot composé signifie ‘'qui l'attaque -- entendez les Lébous -- se trompe''. Allusion ainsi faite à la capacité de riposte du point de vue de la magie noire de cette communauté, explique M. Guèye.
En effet, il y avait un ‘'tata'' qui était érigé le long de la côte du Cap de Bel-Air à l'emplacement actuel de la Porte du millénaire. Une roche servant de moyen de délimitation, à cet endroit, était dénommée Ka-soumb (‘'à ne pas attaquer'', en sérère safène). ‘'Soumb-dioum'' et ‘'ka-soumb'' s'inscrivent ainsi dans la même symbolique, explique M. Diagne.
Sur la même lancée, le nom lébou du Cap de Bel-air, Oum (poisse ou neutraliser en wolof) découle, a-t-il dit, du fait que c'est sur ce site qu'était enterré le ‘'gris-gris'', sorte de ‘'missile patriote'' (les termes sont de lui), destiné à anéantir tout sort maléfique qui était jeté sur la ville.
Toujours dans le domaine du rituel, le penc de Mbott qui désigne la zone couvrant l'actuelle Rue Raffenel, angles Sandinièry et Thiong, vient du nom de la fleur de baobab (mbot-mbotane en wolof). Cette fleur qui est un des éléments sacrés dans le culte des Paye qui habitaient ce ‘'penc'' à l'époque, est souvent évoquée dans leurs libations lors des séances de ‘'ndeup'' (séance d'exorcisme), explique Alioune Diagne Mbor.
Les noms des sites de la ville de Dakar portent l'empreinte du Sereer safène, une ethnie dont les vieux dignitaires lébous interrogés, sont presque unanimes à reconnaître les relations profondes avec leur communauté.
D'ailleurs, relève le responsable coutumier, la plupart des incantations faites lors des cérémonies de ‘'ndeup'' pour s'adresser aux djinns sont formulées en sérère safène. De même, beaucoup de sites portent des noms d'origine sérère.
Les deux ethnies qui, à l'origine, n'en formaient qu'une seule, ont procédé à une ‘'division économique'' du travail : une partie reste sur la côte et l'autre s'installe un peu plus loin à l'intérieur du continent.
Ainsi, ils maintenaient liens de telle sorte que ‘'quand les récoltes étaient abondantes, ceux du continent venaient en aide à leurs parents de la côte'' désignés sous le terme de ‘'Gamols''. En retour, si la pêche était fructueuse les habitants du littoral envoyaient une part du produit aux gens de l'autre côté, sur des chargements ‘'à dos d'âne''.
Le même principe était en vigueur sur le littoral nord de Dakar à Kayar, entre les ‘'Dia-guédji'' (les côtiers) et les ‘'Dia-nder'' (ceux de l'intérieur). En effet, poursuit M. Diagne Mbor, le ‘'site naturel des Lébou'' désigné sous le nom de Ken Kalam (personne n'en hérite en sérére safène), va de Kayar à Mbour.
En guise d'illustration, M. Diagne cite le nom du quartier de Yarakh, qui vient d'une interrogation en sérère safi ‘'yar-akin'' (à qui appartient ceci (ce site) ?). La réponse, ‘'Ka-han'' (c'est ma maison), a servi à désigner le quartier de Hann qui signifie ‘'maison'' dans cette langue. D'autres noms comme Fann (corps) ou Karack (dans (Sicap Karack) qui signifient ‘'ne finit pas'', sont aussi d'origine sérère safène, selon Alioune Diagne Mbor.
ADI/AD/CTN
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