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REPORTAGE - Au cœur du maquis casamançais : Dans la tanière de César Atoute Badiate

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REPORTAGE - Au cœur du maquis casamançais : Dans la tanière de César Atoute Badiate

Jeudi 15 mars 2007. Il est 9h 17 minutes. En pleine brousse, devant nous, un jeune homme en civil. Nous avançons vers lui. Il est habillé en tenue civile. On se présente à lui, puis on demande après Antoine Diamacoune, le commandant des opérations militaires du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance. Il envoie quelqu’un pour l’appeler. Il nous demande de patienter. Pendant que nous attendions, notre regard se fixe sur des jeunes en civil, à côté de nous. Certains sont en vélo, d’autres à pieds. Sont-ils des combattants ou des militaires ? Rien ne peut permettre de les identifier. Quelque temps après, un homme en rastas longs, plus âgé, arrive en vélo. Alors, on se dit que les jeunes qui viennent de passer doivent être certainement des rebelles du Mfdc. Deux jeunes garçons qui s’intéressent se dirigent vers nous et lancent : «Bonjour, comment allez-vous» ? On leur répond que ça va bien. L’un d’eux demande : «Vous cherchez qui ici »? «Antoine Diamacoune», lui répond –on. 15 mn plus tard, on entend au loin les échos de quelques paroles encore indistinctes. Entre temps, deux hommes se dirigent vers nous. Arrivés à notre hauteur, on se lève pour les saluer. On se présente à eux. Echange de salamalecs. Le premier se nomme Daouda, le second, Antoine Diamacoune. Ils nous taquinent un peu et on rit ensemble. Ensuite nous leur expliquons le motif de notre visite. Ils acceptent de nous recevoir. «Je suis le commandant des opérations. Je peux répondre à vos questions parce que mon chef m’a donné l’ordre de parler, mais si vous voulez, vous pouvez aller le voir directement pour discuter avec lui», nous a dit Antoine Diamacoune, assis à côté de Daouda, en face de nous. Il ajoute pour nous rassurer : «Il ne faut pas avoir peur. Vous pouvez le voir sans problème. Nous sommes des êtres humains comme vous. Le Sénégal a tenté de nous diaboliser en faisant croire aux populations et au monde entier que nous sommes des sauvages, des singes. Tout ça c’est faux, c’est pour nous mettre en mal avec les populations», explique-t-il, avant de poursuivre : «Nous, on aime notre peuple. Si nous sommes ici, c’est à cause de nos populations». Et sur un ton où suintent taquinerie et autodérision, Daouda sert un bouquet de questions : «Comment une personne peut-elle avoir une queue ? Quand nous étions chez nous, nous n’avions pas de queue. C’est ici qu’on peut avoir de queue ? Observez-nous bien si nous avons des queues derrière nous. Nous, nous ne sommes pas des bandits, non plus. Voilà l’image, l’étiquette que le Sénégal nous attribue. Vous irez rencontrer notre chef, César (il s’agit de César Atoute Badiate, chef de la branche armée du Mfdc : ndlr) et vous verrez de vos propres yeux comment il est».

CARCASSE D’UN CAR ET TROU D’UNE MINE

Ensuite Antoine se lève et part. Nous restons avec Daouda qui continue à défendre l’image du Mfdc. Cinq minutes après, Antoine revient, suivi d’un jeune garçon qui prend place comme nous, sous l’arbre. Devant lui, Antoine dit au jeune : «Tu vas conduire ce journaliste auprès de notre chef. Va te préparer !» Le jeune s’exécute, part chercher son sac et revient nous prendre pour partir. «Vous pouvez partir maintenant, bonne route. Ne craignez rien car, vous êtes entre de bonnes mains», nous assure Antoine avant de se retirer avec Daouda.

On entame la route avec notre guide. On traverse des forêts. En cours de route, le jeune combattant attire notre attention. «Vous apercevez la voiture là-bas devant nous ? Elle a sauté sur une mine qui a été posée par les éléments de Salif Sadio en 2006. C’était un car qui transportait des passagers que vous voyez comme ça. Plusieurs passagers y ont perdu la vie et d’autres ont été blessés gravement. C’était très triste. Salif et ses combattant ont très mal fait. Pourquoi tuer des civils innocents qui n’ont rien fait ?», a déploré le jeune combattant. On arrive devant la carcasse du car. Son état nous permet d’imaginer la souffrance que de paisibles citoyens ont endurée, au cours de l’accident. Il est complètement endommagé. Sortir indemne de cet accident relève d’un véritable miracle. A cinq mètres de la carcasse, on voit un gros trou profond. «Vous voyez ce trou, c’est ici où la mine a été posée», indique notre guide. En face de nous se dresse une croix blanche longue de trois mètres environ, plantée au sol sur laquelle il est écrit en portugais : «A la mémoire des victimes.» Selon notre guide, la quasi-totalité des victimes étaient originaires de la Guinée-Bissau et c’est la raison pour laquelle, le curé de Sao- Dimingo a décidé d’implanter la croix sur le lieu du drame.

Nous dépassons la carcasse et la croix. Après un virage, un autre décor se présente à nous. Un village abandonné. Les murs des cases sont tombés. Sur place, on voit quelques restes de toits de ces cases brûlés. On n’entend aucun bruit. Sinon les cris des oiseaux. A côté des vestiges des murs, des bananiers, orangers, manguiers, citronniers, papayers et deux puits qui n’ont pas encore tari. «C’est ici où certains éléments de Salif avaient installé leur cantonnement militaire. Ils contrôlaient tout ce secteur. Ils étaient peinards car, ils avaient tout ici, comme s’ils étaient au village. Ce sont eux qui ont posé la mine sur laquelle le car, que nous avons dépassé, a sauté. Ce sont eux également qui ont bombardé le camp militaire de Sao Dimingo. C’est la raison pour laquelle l’armée bissau-guinéenne les a attaqués et ils ont réussi à prendre la fuite. Pour éviter qu’ils reviennent occuper le terrain, l’armée a brûlé leurs cases», explique le jeune.

Nous traversons des rizières et des cours d’eau. Un soleil de plomb tape fort sur nos têtes. Nous transpirons en marchant. Nous sommes tous fatigués. Peu après, on aperçoit au loin un homme debout. Il vient à notre rencontre. Notre guide le connaît. Ils s’embrassent, puis notre guide nous le présente. Il l’informe que nous sommes venus pour rencontrer leur chef. Notre nouveau compagnon nous demande de le suivre. Sous un arbre, il nous demande de l’attendre pour qu’il aille appeler le chef. On s’assoit à même le sol pour reprendre notre souffle en attendant qu’ils arrivent.

ENFIN, CESAR !

Pendant que nous attendions, un homme d’une quarantaine d’années, d’un teint tabac, mesurant environ 1,75m, un poignard sur les hanches, débouche de l’autre côté et vient vers nous. Notre guide se lève et dit : «Notre chef, César Atoute Badiate.» On se lève pour le saluer. Il nous informe qu’il était allé faire un tour. Il discute avec nous, nous taquine. Il envoie notre guide chercher ses lieutenants. Nous restons seuls avec lui. Il s’enquiert des nouvelles de Ziguinchor avant de demander: «Qui est le nouveau président du Conseil régional de Ziguinchor ?» On ne pouvait répondre à cette question parce qu’on n’a pas écouté les informations de toute la matinée à cause de notre voyage. C’est lui-même qui nous a informés que c’est Demba Diagne qui est nommé à la tête de cette institution. «J’ai appris la nouvelle à travers les ondes des radios. Ici, nous captons toutes les radios : Sud Fm, Walf Fm, Rfm, Rfi, Kassumay Fm, Awagna Fm etc. C’est la raison pour laquelle nous sommes au courant de tout ce qui se passe en Casamance, au Sénégal et partout dans le monde entier», explique César.

Nous profitons de cette occasion pour lui demander son avis sur l’assassinat de l’ancien président du Conseil régional de Ziguinchor, Oumar Lamine Badji. «Ecoutez, les gens nous accusent d’être directement ou indirectement impliqués dans sa mort. Nous n’avions aucun problème avec lui. Qu’est-ce qu’il nous a fait pour qu’on le tue ? Nous avons beaucoup déploré sa mort, ici. Nous étions tous affectés. Il faut explorer sérieusement la piste politique pour trouver les assassins et commanditaires de son meurtre», indique César Atoute Badiate, avant de déplorer encore les circonstances dans lesquelles Aba Diédhiou a rendu l’âme. «Nous, lorsque nous étions arrêtés en 1986 à cause de cette lutte (la libération de la Casamance par le Sénégal : Ndlr), avant de nous transférer jusqu’à Dakar, une seule menotte était utilisée pour menotter deux mains de personnes différentes. Pire encore, nous étions enfermés dans le véhicule durant toute la durée du voyage. Quand nous étions arrivés à la gendarmerie de Thionk, le commandant de cette gendarmerie, qui nous a vus dans ces conditions, a beaucoup grondé les policiers qui nous avaient acheminés jusqu’à Dakar», a-t-il ajouté avant de poursuivre : «donc, si Aba Diédhiou était mis dans les mêmes conditions que nous à l’époque, il n’allait pas pouvoir sauter du véhicule», a-t-il laissé entendre.

A peine, a-t-il fini d’expliquer cette partie, avant notre interview (qui paraîtra dans notre édition de demain), d’autres combattants du Mfdc arrivent. Un peu d’animation dans cette partie de la forêt noyée dans un silence mystérieux.



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