Tony Sylva : «En 2002, on avait envie de battre la France, parce qu’elle nous avait trop sous-estimés»

Quand Tony Mario Sylva est invité à fouiller dans sa mémoire de gardien de but des ‘Lions’ à la coupe du monde 2002, bien des images y défilent. Dont celles de cet historique France-Sénégal. Et de lever un coin du voile sur la détermination des ‘Lions’ lors de ce match d’ouverture. Tony Sylva profitera aussi de l’entretien qu’il nous a accordé pour regretter les mauvais résultats enregistrés par le Sénégal depuis lors.

Wal Fadjri : Quel souvenir, gardez-vous du Mondial 2002 ?

Tony Sylva : Ce souvenir, il est très simple. C’est le fait d’avoir pris part à cette Coupe du monde. Les images de ce Mondial défilent encore dans ma mémoire. Je ne peux l’oublier, parce qu’en étant gamin, j’avais rêvé de jouer une coupe du monde. Je me suis mis au travail pour réaliser ce rêve d’enfant. Et, Dieu m’a aidé à le réaliser. Après avoir toujours suivi le Mondial à la télévision, me voilà acteur en 2002. C’était fantastique.

N’aviez-vous pas la pression en jouant le match d’ouverture contre le champion du monde en titre, la France, avec toutes ses vedettes ?

Non. Je n’avais personnellement aucune pression sur les épaules. C’est dans la sérénité et dans la lucidité que j’ai engagé ce match. Et je n’étais pas le seul dans ce cas. Tous les 23 joueurs du Sénégal étaient super motivés pour en découdre avec la France. En 2002, on avait tous envie de battre cette équipe parce qu’elle nous avait trop sous-estimés. En effet, après le tirage au sort des poules, on avait tout entendu. Les Français parlaient de nous comme de vulgaires petits joueurs, parce que nous évoluions, disaient-ils, dans de petits clubs français. Ils disaient aussi qu’avec leur attaque de feu composée des meilleurs buteurs des championnats italien (avec David Trézéguet), anglais avec Thierry Henry et français, avec Djibril Cissé, le Sénégal ne pouvait nullement résister à leur puissance de frappe. Certains médias français disaient qu’on allait prendre la raclée contre les ‘Bleus’. Des déclarations très choquantes et humiliantes.

Ces déclarations vous avaient apparemment blessés…

C’était trop humiliant. Ils (les Français) n’avaient aucun respect pour notre équipe qui venait pourtant de réaliser un parcours formidable, en se qualifiant à la Coupe du monde et en étant finaliste de la Can, au Mali. Mais, le Sénégal avait heureusement des joueurs au mental d’acier. Nous étions tous dotés d’une forte personnalité. Et, à la place de la colère et de la haine, ces déclarations nous avaient ragaillardis. Ce sont les Français eux-mêmes qui avaient fini de nous motiver. On était tous engagés à leur prouver le contraire. On voulait gagner ce match pour le respect, l’honneur et la dignité. C’est comme si on allait en guerre. C’est pourquoi, on a engagé la partie sans aucun sourire. On voulait gagner ce match à tout prix pour se faire respecter. Et on l’a fait.

Et c’était le bon coup réussi pour atterrir en quart de finale de ce Mondial 2002.

(Il coupe). C’était grandiose. Jouer un quart de finale de coupe du monde n’est pas donné à n’importe qui. Pour dire vrai, ça a été le meilleur moment de ma carrière de football. Nous avions certes été battus et éliminés de la compétition par la Turquie, mais, je n’oublierai jamais ce match de quart de finale. C’était vraiment trop fou.

Après ce Mondial 2002, le Sénégal est ensuite tombé très bas, au point d’avoir été absent au Mondial 2006 et à celui qui se joue présentement en Afrique du sud. En tant qu’acteur, comment expliquez-vous ce fiasco ?

Les gens ont gâté cette équipe nationale du Sénégal avec laquelle j’ai vécu les bons et les pires moments de ma carrière de footballeur.

Qui sont ces gens ?

(Il hésite) Je ne sais pas. (Il cherche ses mots). Je ne sais pas. Je tiens seulement à vous faire savoir que l’adversaire du Sénégal n’est personne d’autre que le Sénégal. En fait, c’est le Sénégal qui a joué contre le Sénégal pour le faire tomber si bas.

Pouvez-vous être plus explicite ?

Je ne veux pas entrer dans des détails. Mais, de mes buts, quand je regardais mes co-équipiers jouer contre la Gambie, c’est comme s’ils n’avaient jamais joué au football. J’avais l’impression qu’ils courraient sans savoir que faire. Et ça, ce n’est pas rien. Je ne dis pas que la Gambie est une mauvaise équipe. Au contraire, je respecte cette équipe. Mais, si on revoit le film de ce match, on sent qu’il y avait quelque chose de surnaturel. Excusez-moi, mais je ne peux plus parler de ça, pour ne pas réveiller des blessures déjà cicatrisées.

Que faut-il faire, selon vous, pour éviter ces errements constatés dans la gestion de l’équipe nationale ?

Il faut arrêter l’acharnement exercé sur cette équipe. Il faut qu’on travaille dans l’union. J’étais de cette équipe nationale quand tout allait bien. Et j’étais aussi là, pour tomber très bas avec cette même équipe. Je suis alors un témoin des deux époques. Mais, il faut mettre un trait sur cette mauvaise passe. L’important aujourd’hui, c’est de se mettre au travail pour sortir du trou. Il faut mobiliser tous les Sénégalais pour accompagner cette nouvelle génération pour la réussite de la mission consistant à redorer le blason du football sénégalais.