Pour une lecture stratégique du conflit irano-israélien : dépasser les clivages religieux, construire une sécurité collective dans le monde musulman et au delà (Par Ismaila NDIAYE)
Pour une lecture stratégique du conflit irano-israélien : dépasser les clivages religieux, construire une sécurité collective dans le monde musulman et au delà
Alors que le conflit entre l’Iran et Israël prend une tournure dramatique, une nouvelle dynamique géopolitique émerge au sein du monde musulman. Les gestes de solidarité exprimés par plusieurs capitales, partant d’Islamabad à Ankara, passant Muscat, Koweït city, Doha et d’autres témoignent d’une lecture profonde sur ce qui est entrain de se dérouler sous nos yeux. La réaction la plus surprenante, serait celle du rival historique saoudien, qui par un appel direct du prince héritier Mohammed ben Salmane au président iranien, le samedi, a témoigné à ce dernier le soutien du peuple saoudien, marquant ainsi, un tournant stratégique majeur. Cette posture, loin de l'hypocrisie diplomatique que des obscurantistes restés dans les clivages médiévaux veulent faire prévaloir, traduit une compassion envers un pays frère victime d’agression, mais surtout une prise de conscience que l’heure n’est plus aux divisions internes, mais à l’unité face à un danger commun.
La simplification du conflit irano-israélien à travers un prisme confessionnel, l’analysant comme un retour de bâton entre hérétiques Mages et Juifs, devant lequel le monde sunnite doit se comporter en spectateurs ne tient plus face à la brutalité des faits et le risque d'escalade qui brulera tout à son avènement, sans discernement aucun. L’État d’Israël, avec le soutien constant des Etats unis, poursuit méthodiquement un projet expansionniste que résume la notion du « Grand Israël » : annexion continue des terres palestiniennes, bombardements génocidaires sur Gaza, occupation officialisée du Golan, et ingérences dans les affaires syriennes, irakiennes, yéménites et libanaises.
Dans cette stratégie, Israël ne mène pas seulement une guerre militaire ; il s’emploie à redessiner les équilibres régionaux à travers des logiques de fragmentation. Tout dans son action concourt à affaiblir les capacités de résistance et à instaurer une tutelle sécuritaire durable. L’Iran, dans cette perspective, n’est pas une cible isolée, mais la première d’une longue liste. Car après Gaza et Téhéran, viendront peut-être Le Caire, Riyad, Koweït city ou Ankara.
C’est dans ce contexte que le rapprochement irano-saoudien en mars 2023, prend tout son sens. Loin d’être une manœuvre de circonstance, il traduit une profonde réévaluation des priorités stratégiques de la part des deux pôles musulmans du moyen orient.
Consciente des erreurs passées qui ont affaibli son image et l'ont exposée davantage, Riyad est en train de vivre une transformation historique. En qualifiant l'Iran de « République sœur » et en appelant au respect de sa souveraineté territoriale lors du sommet conjoint de la Ligue arabe et de l'Organisation de la Coopération Islamique à Riyad en novembre 2024, le Royaume envoie un signal fort : l'heure est venue de désamorcer les tensions, d'unir les forces et de redéfinir un front islamique commun. Malheureusement pour le royaume, il peine à convaincre ses alliés idéologiques, dont certains sont marqués par des divisions sectaires et refusent d'adhérer à cette vision, malgré les efforts d'instruments tels que la Ligue islamique mondiale et l'Université islamique de Médine, qui cherchent, dans une nouvelle orientation, à jeter des ponts entre les différentes écoles de pensée musulmanes à travers divers programmes.
Ce rapprochement n'est pas motivé par une convergence doctrinale, loin de là, mais par une urgence géopolitique : faire face ensemble à l'hégémonie israélo-américaine et construire un véritable bouclier stratégique régional. Les discussions discrètes menées par des pays tels que le Pakistan, Oman, le Qatar, le Koweït et la Turquie vont dans le même sens : prendre l'initiative de trouver une solution concertée à la crise, capable de mettre fin au cercle vicieux des interventions, des guerres par procuration et des divisions internes.
Il s’agit désormais, non pas de réagir sous la pression de l’émotion, mais d’agir selon une vision d’ensemble. Dans cette architecture en devenir, l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) est appelée à jouer un rôle central. Elle ne peut plus se contenter de déclarations de principe. Elle doit porter la voix d’un islam politique mature, lucide, tourné vers plus de paix, de cohésion et de stabilité, mais intransigeant sur les principes de souveraineté et de justice. Elle doit condamner clairement les agressions israéliennes contre le peuple palestinien et contre l’Iran, rejeter les politiques d’annexion, et interpeller la communauté internationale sur ses responsabilités face au droit international bafoué.
Le monde musulman ne peut plus rester spectateur passif d’une redéfinition brutale de ses frontières, de ses équilibres internes, et de ses identités multiples. La solidarité avec l’Iran, dans ce moment critique, n’est pas une adhésion idéologique, mais une nécessité stratégique. Elle doit s’accompagner d’un pacte de respect mutuel, d’un engagement partagé pour la modération, la souveraineté et la coopération entre les peuples musulmans.
Il est temps que les États membres de l’OCI assument pleinement leur responsabilité historique : dépasser les clivages artificiels, déjouer les manipulations extérieures, et construire ensemble une architecture de sécurité fondée sur la justice, la paix, la souveraineté et l’unité. Car si le projet du « Grand Israël » venait à se concrétiser, ce serait l’ensemble du monde arabe et musulman qui en paierait le prix, irrémédiablement.
Ismaila NDIAYE
Spécialiste en Anticorruption & Diplomatie
Académie Internationale Anticorruption de Vienne (IACA)
Institut des Nations Unies pour la Recherche (UNITAR)
Commentaires (0)
Participer à la Discussion