Historien spécialiste du mouvement syndical, le Docteur Omar Guèye évoque non sans pertinence dans cet entretien les mutations du mouvement syndical sénégalais. Il nous fait remarquer que le Sénégal est passé du syndicalisme militant à celui « d’affairistes » aujourd’hui. Auteur de plusieurs publications scientifiques, Le docteur Guèye aborde sous un tout autre angle les raisons qui l’ont motivé à réhabiliter dans sa dernière parution l’artiste Sanokho, qu’il considère comme la légende du rire au Sénégal.
Docteur Guèye, présentez-vous brièvement ?
Je suis né à Rufisque où j’ai fait mes études primaires et secondaires, avant de continuer les études supérieures à l’Université Cheikh Anta Diop où je suis aujourd’hui professeur au Département d’Histoire.
Avant de débuter ma carrière universitaire, j’ai été professeur d’Histoire et de Géographie au Lycée Ibou Diallo de Sédhiou et au Lycée Cheikh Oumar Foutiyou Tall de Saint-Louis. A l’exception d’une courte période où j’ai été représentant de l’Union Latineau Sénégal, j’ai donc toujours été dans le domaine de l’enseignement et de la recherche.
J’ai fait plusieurs séjours à l’étranger en tant que Fulbright à l’Université du Michigan, Auditeur à l’Université Internationale francophone Léopold Sédar Senghor d’Alexandrie, Stagiaire à l’Institut National de l’Audiovisuel de Paris-INA, Résident à l’Institut d’Etudes Avancées de Paris-IEA et Fellow à Harvard University, entre autres.
Vous êtes historien de formation, quel est prioritairement votre domaine de recherche et les publications de référence que vous avez faites ces dernières années?
Je suis spécialisé en Histoire moderne et contemporaine, et mon domaine de recherche concerne surtout l’Histoire du mouvement syndical et l’évolution politique du Sénégal. Je m’intéresse aussi aux questions liées au domaine du Patrimoine culturel.
Mes publications les plus récentes sont :
Je suis aussi contributeur dans plusieurs ouvrages collectifs.
Quelle lecture faites-vous du mouvement syndical sénégalais aujourd’hui ?
Ce n’est plus le même contexte, sur tous les plans : politique, économique et psychologique. Les enjeux ne sont plus les mêmes, ainsi que l’état d’esprit des acteurs que sont l’Etat, le patronat et les travailleurs. Au-delà des rapports de force traditionnels, on assiste de plus en plus à une récurrence des tentatives de domestication du syndicalisme ou de subordination des syndicalistes. Malheureusement, on assiste de plus en plus à l’existence d’un syndicalisme alimentaire avec moins de conviction militante et plus d’opportunisme «affairiste».
Les syndicalistes d’hier étaient d’abord des militants de la cause du Travail, avec beaucoup de conviction; ceux d’aujourd’hui, pour la plupart, sont surtout des affairistes, qui se servent des syndicats comme lobby. Comme une vieille loi d’airain, les travailleurs, au contraire, sont toujours les laissés-pour-compte pris entre l’Etat, le Patronat et leurs propres dirigeants.
Vous avez tout récemment fait un séjour à la célèbre université de Harvard. Qu’en est-il exactement ? Quel est l’impact pour votre carrière de chercheur ?
J’ai eu l’honneur d’être invité à Harvard University au cours de l’année universitaire 2013-2014, en tant que Fellow au Weatherhead Center for International Affairs - WCFIA, où j’étais le seul africain. C’est un centre de prestige qui a accueilli des célébrités comme Henri Kissinger depuis les années 1940 et qui reçoit chaque année d’éminents hommes d’Etat venant de partout dans le monde pour faire des séjours ou des conférences.
J’avais été sélectionné dans le cadre du programme du WIGH qui accueille des Fellow venant du monde entier. C’est la première fois que le Sénégal y est représenté. Lors de mes déplacements, j’ai eu la chance de rencontrer souvent des compatriotes qui s’illustrent brillamment dans de grandes institutions dans le monde, et c’est dommage que nous soyons plus connus à l’extérieur que chez nous. C’est une expérience humaine et scientifique très enrichissante, à tous points de vue.
Vous avez récemment publié un livre « Sanokho ou le métier du rire ». Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à cet artiste exceptionnel et méconnu ?
Je suis aussi spécialiste en Gestion du Patrimoine culturel : je suis diplômé de l’Université Internationale francophone Léopold Sédar Senghor d’Alexandrie, 8èmePromotion (2001-2003). J’ai travaillé sur les questions de collecte et de conservation du Patrimoine immatériel oral, objet de mon stage à l’INA de Paris. Je m’intéresse à ce qu’on appelle l’économie de mémoire, c’est-à-dire tout ce qui a trait aux questions de droit de la création, copyrights, droits d’auteur, licence, etc. Donc, le Patrimoine culturel est aussi mon domaine de compétence.
La problématique est simple. Nous sommes dans une civilisation de l’oralité où la mémoire et l’œuvre de nos artistes et de nos créateurs, en général, risquent de «mourir» si on n’y prend garde. Il est donc urgent de procéder à la collecte et la conservation de ces œuvres, d’abord, et à leur valorisation, ensuite. Sanokho est l’illustration achevée de cette problématique. En dehors de l’hommage que j’ai voulu rendre à la légende du rire au Sénégal, père spirituel de la plupart de nos célèbres imitateurs d’aujourd’hui, j’ai surtout voulu partager une réflexion sur le métier d’artiste et de la création de façon générale.
Comment arrivez-vous à publier en si peu de temps des ouvrages alors que l’édition et la publication demeurent encore problématiques dans notre pays ?
Je suis un universitaire, donc mon travail est aussi d’écrire et de publier. On oublie souvent que l’enseignement est une seule partie de notre travail. Maintenant, trouver le temps pour faire de la recherche et écrire, ensuite trouver les moyens de publier, c’est toute la difficulté. Je dois avouer que c’est très compliqué, surtout dans la société où nous vivons : il faut être prêt à affronter la solitude et l’incompréhension. Les conditions dans lesquelles nous travaillons et publions sont héroïques ! N’y ajoutez pas la question des moyens, quasiment inexistants. Personnellement j’ai financé tous mes livres jusque-là, avec mes propres revenus. C’est le prix à payer pour «survivre sur le plan académique», sinon autant changer de boulot, à moins qu’on ne veuille jouer les faire-valoir. Dans le système anglais on dit : «Publish or perish» !
Bon, il faut se faire une raison. Je me dis toujours que, si je faisais un autre travail, j’aurais acheté des livres d’Histoire; là je suis payé pour le faire, donc ce n’est que du bonheur pour moi. Enfin, c’est le métier qu’on s’est librement choisi, on ne nous l’a pas imposé; celui qui veut être riche n’a qu’à chercher un autre boulot. Mais en même temps aussi, je comprends ceux qui refusent de rentrer chez eux et ceux qui répondent aux sirènes de l’exode : la fuite des cerveaux a encore de beaux jours devant elle. Il y a un choix à faire pour nos gouvernants, entre valoriser les compétences nationales ou laisser des pays qui n’ont rien investi dans leur formation en profiter.
Pour moi, c’est toujours une grande fierté de porter le nom de mon pays.
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