Face au coronavirus, les Afro-Américains meurent à une vitesse alarmante
Alors que la communauté noire ne représente que 14% de la population du Michigan, elle comptabilise 33% des cas de coronavirus et 41% des décès.“Nous n’avons pas traité les inégalités sociales”Selon les sociologues et les épidémiologistes, quasiment toutes les pathologies qui augmentent la vulnérabilité des patients au coronavirus (asthme, diabète, VIH) touchent plus fréquemment la population noire.“Nous n’avons pas traité les inégalités sociales aux États-Unis, que ce soit au niveau de l’éducation, de l’emploi ou des revenus”, constate Hedwig Lee, professeure de sociologie à l’université de Washington (à Saint-Louis) et spécialiste des disparités raciales dans la santé. “Nous savions que les groupes à la santé déjà fragile étaient plus susceptibles de mourir de la maladie, mais les chiffres n’en restent pas moins effarants.”Les Afro-Américains sont deux fois plus sujets que les Caucasiens aux maladies du cœur, AVC et diabète. Ils souffrent plus souvent et plus jeunes d’insuffisances cardiaques, d’asthme et d’hypertension. Au fil des années, ces disparités ont contribué à réduire l’espérance de vie des Noirs américains, inférieure de quatre ans à celle des Blancs.“Nous savons que les inégalités des chances dans l’éducation et la vie active causent des problèmes de santé chroniques sur le long terme, mais aussi sur le court terme, comme le montre le coronavirus”, ajoute-t-elle.Les vulnérabilités de la communauté noire pourraient également fragiliser les individus face au Covid-19. Moins susceptibles d’avoir des emplois permettant de travailler à distance, les Afro-Américains n’ont généralement d’autre choix que de prendre les transports en commun. Les familles noires ont davantage tendance à vivre dans des maisons multigénérationnelles, exposant ainsi potentiellement les seniors au virus. On retrouve plus de “déserts sanitaires” dans les quartiers noirs, où l’absence de médecins ou de cliniques a pu limiter leur accès aux tests au début de la pandémie.“Beaucoup de gens travaillent dans l’entretien et gagnent mal leur vie”, explique le pasteur Barry Randolph, qui dirige une église épiscopale dans le quartier de Détroit Islandview et qui a vu des dizaines de ses fidèles succomber au virus. “Les gens choisissent de vivre ensemble pour joindre les deux bouts. Des enfants et des personnes âgées vivent parfois sous le même toit, et si quelqu’un tombe malade, tout le monde suit.”
Les résidents du Bronx, en majorité noirs ou latinos, semblent présenter les mêmes probabilités d’attraper le Covid-19 que leurs concitoyens des autres quartiers de New York, mais ils ont deux fois plus de risques d’en mourir.De multiples facteurs de risquesJusqu’à présent, les données sur la pandémie de Covid-19 indiquent que, bien que les Afro-Américains soient à peine plus susceptibles que les autres populations de contracter le virus, ils ont beaucoup plus de risques d’en mourir. À Milwaukee, par exemple, ils comptent pour la moitié des cas de coronavirus, mais pour 81% des décès. Les résidents du Bronx, en majorité noirs ou latinos, semblent présenter les mêmes probabilités d’attraper le Covid-19 que leurs concitoyens des autres quartiers de New York, mais ils ont deux fois plus de risques d’en mourir. “Le Covid-19 est un véritable coup de grâce pour ces gens qui sont déjà en grande difficulté”, remarque David R. Williams, professeur à l’université Harvard et chercheur sur les questions ethniques et sanitaires.On retrouve cette profonde disparité pour d’autres pathologies: même si les Noirs et les Blancs souffrent tout autant de certaines maladies, les Afro-Américains ont un taux de mortalité plus élevé. Les Noirs diabétiques ont plus de risques de mourir de complications que les Blancs. Si les Afro-Américains ont 30% de risques supplémentaires de développer de l’hypertension comparé aux Blancs, leur taux de mortalité en cas d’AVC est trois fois plus élevé. Il en va de même pour les maladies mentales: bien que les dépressions majeures soient moins fréquentes chez les Noirs que chez les Blancs, elles sont souvent plus sévères, diminuantes et restent moins souvent traitées.Ces différences s’expliquent pour beaucoup par des inégalités dans l’accès aux soins. Le Pr Williams a remarqué que peu d’Afro-Américains bénéficient d’une mutuelle santé. Même lorsqu’ils en ont une, les tarifs sont moins avantageux que pour les Blancs. Les patients noirs sont généralement moins soumis à des dépistages préventifs et attendent plus longtemps avant d’être soignés pour les cancers, le VIH et les troubles de l’alimentation. Enfin, ils ont moins tendance à être suivis par des praticiens certifiés par l’ordre américain des médecins.“Les Afro-Américains manquent d’accès aux soins, et lorsqu’ils en bénéficient, ce sont des soins de piètre qualité”, poursuit-il.Le stress joue lui aussi un rôle. Au cours des dix dernières années, de nombreuses études ont montré que l’anticipation des discriminations raciales déclenche une réponse du système nerveux qui augmente la vulnérabilité des minorités aux maladies chroniques.“La vigilance constante induite par les discriminations use et fatigue le corps”, souligne-t-il. “Cela affecte la santé mentale et physique ainsi que le système immunitaire, de telle sorte que la personne risque davantage d’être touchée par le Covid-19 et de développer des complications.”  
Les politiques de ségrégation dans l’éducation et l’accès au logement, de même que l’incarcération de masse, ont grandement contribué au fort taux de mortalité du Covid-19 parmi les Afro-Américains.Une tendance familièreCela fait des dizaines d’années que la santé de la population noire est délibérément négligée aux États-Unis, et le Covid-19 n’est que le dernier épisode en date de cette tendance. Comme le fait remarquer le Pr Williams, en 1950, les Noirs étaient sensiblement autant sujets aux coronaropathies que les Blancs et avaient de meilleures chances de survie face au cancer. Mais si la mortalité a reculé pour les Blancs, elle a stagné chez les Afro-Américains.“C’est la conséquence de l’ensemble des politiques sociales à l’œuvre”, analyse le Pr Williams, soulignant que la plupart des foyers de Covid-19 (Détroit, Chicago, Milwaukee), en plus d’être à prédominance noire, sont également des villes où la ségrégation est très prononcée. “Les différences raciales sont liées aux chances qu’offrent les différents quartiers. Les Afro-Américains ne vivent pas dans la misère à cause de leurs gènes, mais en raison des politiques que nous avons créées et qui limitent leur accès aux ressources.”L’ex-directeur du Département de la Santé de Détroit, Abdul El Sayed, a bon espoir que le coronavirus encourage le gouvernement à prendre ses responsabilités face à ces politiques sociales inégalitaires de longue date, mais aussi à assumer les torts causés par ses traditions profondément individualistes.“Nous devons sortir de cette rhétorique comportementaliste qui consiste à dire que si certains souffrent plus que d’autres, c’est parce qu’ils l’ont choisi”, s’insurge-t-il. “Le plus souvent, on se place du côté de ceux qui ont des privilèges, des privilèges qui donnent le choix. Or, quand on est pauvre, on n’a pas le choix.”Pour Greg Bowens, l’État et les collectivités territoriales doivent se montrer plus proactifs et directs lorsqu’ils s’adressent aux communautés afro-américaines. Il a d’ailleurs écrit un article engagé appelant la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, à personnaliser les techniques de communication autour du Covid-19, en demandant par exemple aux opérateurs téléphoniques d’envoyer des SMS et en collaborant avec les églises et les stations de radio locales.    "C’est la conséquence de l’ensemble des politiques sociales à l’œuvreAfin de combler l’écart creusé par le Covid-19, il faudra redoubler d’efforts pour documenter cette disparité. Comme l’expliquait récemment, lors d’une conférence de presse téléphonique, Kristen Clarke, Pdg d’un collectif d’avocats pour les droits civiques, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies collecte des informations sur l’ethnie des victimes du Covid-19, mais ne les communique pas. D’autres rapports indiquent que les agences sanitaires locales sous-estiment systématiquement le nombre de victimes du coronavirus, probablement pour des questions ethniques: Lee a remarqué que les patients qui ne se font pas traiter, se voient refuser le dépistage ou l’accès aux urgences ne sont pas toujours comptabilisés dans les statistiques. “Nous savons que le système de santé américain réserve souvent un traitement différent aux minorités raciales et ethniques, notamment dans les situations où il faut prendre des décisions rapides, comme en ce moment”, ajoute-t-elle.Pour appréhender les effets du coronavirus sur les groupes ethniques, il faut avoir conscience des vulnérabilités uniques de la communauté noire et savoir d’où elles viennent. “Aujourd’hui, les Noirs meurent du Covid-19. Avant, c’était autre chose”, conclut Kristen Clarke. “La phrase ‘Je ne peux plus respirer’ en référence au Covid-19 rappelle” la mort par asphyxie d’Eric Garner, un Noir, aux mains de la police.
							
							
							
						 
							
							
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