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Alioune Aïdara Sylla : La résistible ascension d’un self-made man qui avait voulu jouer dans la cour des grands

Auteur: Mamadou Oumar NDIAYE - Le Temoin

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La règle d’or pour un homme d’affaires, dit-on souvent, consiste à ne jamais être contre un régime en place mais aussi à ne jamais être trop proche de lui. Il doit donc se livrer au délicat exercice de ne pas être trop loin mais aussi trop près de « Bour ». Au risque de se brûler les ailes ! Et c’est le destin d’Icare, précisément, qui avait vu la cire retenant ses ailes fondre parce qu’il s’était trop approché du soleil, qui risque aussi d’être celui d’Alioune Aïdara Sylla. Ce vendeur de pain, passablement enrichi par le défunt patron de la compagnie Assurances générales sénégalaises « AGS », André Altounian, dont il était devenu le confident, s’était en effet retrouvé au cœur du pouvoir wadien. Au point de devenir l’homme de confiance du troisième président de la République du Sénégal mais aussi son bras dans plusieurs affaires nébuleuses. En retour, Wade avait fait de lui un milliardaire dont le patrimoine s’était décuplé sous son règne. Le président du conseil rural de Thilmakha et ancien député pouvait jouir tranquillement de sa fortune mais voilà, il a choisi de continuer à jouer les porteurs de valises de son mentor y compris après la disgrâce de ce dernier.

N’ayant pas — ou, au contraire, ayant trop — compris que celui qui le considérait comme son fils aîné était engagé dans un « mortal kombat » avec son successeur, à propos surtout de traque de biens supposés mal acquis, Aïdara s’est engagé en connaissance de cause dans une guerre dont les enjeux le dépassent, quoi que l’on puisse dire. Et comme on dit en Afrique, quand des éléphants se battent, c’est l’herbe qui en souffre. La prudence aurait voulu qu’il adopte la position du petit singe dont faisait état le Timonier chinois Mao-Tsé Toung à propos d’une éventuelle guerre nucléaire entre les Etats-Unis et l’Urss. Dans ce combat de superpuissances, disait en substance Mao, la Chine devait adopter la position du petit singe « sagement assis sur la montagne, en train de regarder les tigres s’entre-déchirer dans la vallée ». N’ayant pas voulu se tenir à sa place, Aïdara Sylla risque aujourd’hui de tout perdre. Déjà, il aperdu le bien le plus précieux qu’est la liberté mais si ce n’était que cela ! Car voilà que la douane s’intéresse aujourd’hui à ses affaires. Or, lorsque ce corps redoutable s’attaque à un fraudeur, à un contrebandier ou à un blanchisseur d’argent, le moins que l’on puisse dire c’est que son compte est bon ! Car, encore une fois, autant un pouvoir politique peut vous rendre riche comme Crésus, autant il peut vous faire redevenir pauvre comme Job. La preuve par Alioune Aïdara Sylla ! 

Lorsque, en 2004, il cédait enfin à la cour assidue que lui faisait Wade depuis 2000, il n’était certes pas fauché, mais enfin, il n’était pas milliardaire non plus. Nous avons raconté dans ces mêmes colonnes il y a de cela deux semaines que, quand les courtiers de l’ancien président l’ont démarché en 2000, il leur avait dit qu’il ne transhumerait qu’après les locales de 2002, après avoir gagné sa communauté rurale, histoire de montrer son poids électoral. Lorsque, donc, il cède enfin aux sirènes du Pape du Sopi, ce dernier lui demande ce qu’il faisait dans la vie. Il répond « entrepreneur ». La même semaine, il lui confie la construction du Haras national à Kébémer ! Un marché de plus d’un milliard de francs. Satisfait, l’ancien président lui attribue des marchés à tour de bras. A Kébémer même, l’entrepreneur néo-libéral construit quatre villas R + 1 pour les membres de la famille de Wade. A Touba, il bâtit pour le compte du retraité de Versailles un château en cours de finition et à Saly, une villa sur un terrain de trois hectares. A Keur Massar, il érige un mur en face du fameux verger du Président pour clôturer un terrain de trois hectares aussi. Il construit aussi une villa R + 2 de quatre appartements pour la famille de feu Saliou Kandji, ami de Wade décédé pendant que ce dernier était au pouvoir, et une villa R + 1 pour Adja Mame Bouye Diagne, une militante de Wade. Des travaux facturés et payés rubis sur l’ongle par ce dernier. 

En dehors de ces travaux pour le compte du Président lui-même, la Société des Affaires et Services (SAS) qu’il a créée en 1995 avec un capital de… un million de francs, n’a pas vraiment le temps de chômer. Elle gagne les marchés de travaux publics comme s’il en pleuvait ! 

Ainsi, au moment de l’arrestation d’Alioune Aïdara Sylla, elle exécutait un marché de 1 milliard 200 millions de francs pour le compte de l’AIBD (Aéroport international Blaise Diagne). Il s’agit de la construction de 100 logements pour les habitants du village à reclasser, c’est-à-dire des PAP (Personnes affectées par le projet). Une fois n’est pas coutume, ce marché a été attribué sur appel d’offres. SAS exécute aussi un marché de 950 millions de francs cfa, chassez le naturel, il revient au galop, obtenu de gré à gré. Il concerne la réalisation d’un hôtel à Kébémer pour le compte de Wade. Autre marché de SAS, des travaux d’adduction d’eau dans la région de Kaolack pour un montant de 120.000.000 de francs. Last but not least, un marché exécuté pour le compte de Touba Real Estate, société appartenant à Cheikh Amar, autre milliardaire de l’Alternance, pour 1 milliard 800 millions de francs cfa. Pas mal pour une société au capital de un million de francs cfa seulement et qui emploie en tout et pour tout moins de 10 travailleurs permanents ! 

Aïdara Sylla a aussi créé une autre société, au capital de 10 millions de francs cette fois-ci, et dont la dénomination est « Universal Services ». Elle réalise une cité de 100 logements, dont les 50 en cours de finition, dans la Zac de Mbao. La troisième société, c’est la Société pour la Promotion touristique. 

Et puis, quand on aime, on ne compte pas. Non content d’attribuer à la volée tous ces gros marchés à son « fils aîné », le président Wade lui offre aussi des terrains en bordure de mer, ce qui représente le moyen le plus sûr et le plus rapide d’enrichir quelqu’un au Sénégal. Ainsi, il lui donne un terrain de 17.000 mètres carrés jouxtant le complexe le Terrou Bi. Nous faisions d’ailleurs allusion à ce terrain il y a deux semaines. Un terrain qui lui a été cédé au prix ami de 2500 francs seulement et qui lui revient donc à 42 millions de francs. Notre bienheureux en découpe une partie, d’une superficie de 5000 mètres carrés, soit moins du tiers, qu’il a revendue aux promoteurs maliens de la chaîne hôtelière Azalaï pour le prix de… un milliard deux cent cinquante millions de francs. Autrement dit, la vente de la totalité du terrain lui aurait rapporté la colossale somme de trois milliards de nos francs au moins ! Un terrain qui, soit dit en passant, était un titre foncier de l’Etat, qui a été déclassé pour être offert au veinard Alioune Aïdara Sylla. 

Ce n’est pas tout puisque Wade, décidément prodigue, a encore offert à son « fils aîné » un autre terrain d’une superficie de 2 hectares deux ares et 47 centiares, situé sur la corniche de Dakar, à côté du domicile de Mme Yacine Diouf, fille de l’ancien président Abdou Diouf. D’abord attribué sous forme de bail, il a ensuite été vendu à l’homme qui croupit actuellement à Rebeuss pour 121 millions de francs. 

Au total, c’est donc plus de dix milliards de francs que Wade aura fait gagner au président du conseil rural de Thilmakha en huit ans à peine. On comprend que ce dernier soit prêt à prendre tous les risques pour lui… 

Hélas, ce protégé risque de tout perdre dans cette affaire de blanchiment d’argent où il a voulu jouer au porteur de valises et passeur de chèques pour le compte de son deuxième « père ». Lequel, dédaignant le circuit bancaire classique, a choisi d’emprunter des voies particulièrement tortueuses pour faire parvenir de l’argent à ses comparses — pardon, ses débiteurs et ses obligés — au Sénégal. Au risque de commettre une infraction sur la règlementation des changes. A force d’avoir voulu jouer dans la cour des grands et s’approcher trop près du soleil, d’avoir aussi voulu prendre part à un combat dont les enjeux le dépassent, Alioune Aïdara Sylla, l’enfant de Niakhal Matar, dans la communauté rurale de Thilmakha — même s’il est né officiellement à Diourbel — risque d’y perdre, plus que des plumes, presque tout son patrimoine. Car, autant un Etat peut vous rendre riche en un tournemain, autant il peut vous ruiner en une fraction de seconde aussi, hélas ! 

Mamadou Oumar NDIAYE 

« Le Témoin » N° 1111 –Hebdomadaire Sénégalais ( JANVIER 2013)

Auteur: Mamadou Oumar NDIAYE - Le Temoin
Publié le: Lundi 21 Janvier 2013

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