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De quoi la guerre de l’information dans le Sahel central est-elle le nom ?

Auteur: Africa Check

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Au Sahel central, la guerre de l’information dépasse le simple affrontement médiatique, révélant des enjeux politiques et géopolitiques majeurs. Dans cette région en crise, l’information devient une arme stratégique au service d’intérêts locaux et internationaux souvent opposés.
La guerre de l’information dans la région du Sahel - précisément le Sahel central (Burkina Faso, Mali et Niger) - dépasse largement le cadre d’une simple bataille médiatique. Elle incarne des enjeux politiques et géopolitiques profonds, où se croisent des intérêts locaux et internationaux, des luttes d’influence et des questions de souveraineté. Dans cette région fragile, marquée par des crises sécuritaires, politiques et sociales, l’information est devenue une arme stratégique, manipulée par des acteurs divers pour servir des agendas souvent contradictoires.
Bataille médiatique et polarisation des opinions 
Le Sahel est une région aux contours fluctuants, définie différemment selon les disciplines et les enjeux politiques, économiques, climatiques, et géopolitiques. En général, il désigne une bande semi-aride qui s’étend de l’Atlantique à la mer Rouge, entre le désert du Sahara au nord et les savanes au sud. Traditionnellement, il englobe plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, dont la Mauritanie, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et le Soudan, et est souvent associé à des cadres de coopération régionale comme le G5 Sahel - créé en 2014 et dissout en 2023.
Cependant, depuis la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) en 2023, une nouvelle vision plus restreinte émerge, concentrée sur le Mali, le Burkina Faso et le Niger, des pays partageant  des frontières communes, confrontés à des défis communs et qui ont décidé ensemble de s’affranchir des alliances traditionnelles, notamment avec la France et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). 
Le paysage médiatique sahélien est marqué par une diversité d’acteurs internationaux et régionaux qui contribuent à façonner l’opinion publique et les perceptions des dynamiques politiques et sécuritaires. Il ne se limite plus aux médias traditionnels mais s’étend aux réseaux sociaux comme Facebook, YouTube, Instagram, TikTok et X. On y trouve des médias occidentaux comme Radio France internationale (RFI) et France 24, des médias russes comme RT France et Sputnik, interdits au sein de l’Union européenne depuis février 2022. On y note également un intérêt de chaînes du Moyen-Orient comme Al Jazeera (AJ+ Français) et la Radio Télévision Turque (TRT). Depuis 2023, TRT Afrika diffuse aussi en anglais, français, swahili et haoussa. À cela s’ajoutent des médias africains comme Afrique Media, New World, Vox Africa AFO Media et des influenceurs sur les réseaux sociaux. 
Chacun de ces acteurs apporte un prisme particulier à la couverture de l’actualité sahélienne. Cette diversité médiatique ne traduit cependant pas une neutralité absolue. Pendant des années, l’information dans la région était largement dominée par les médias occidentaux. France 24 et RFI, en particulier, ont occupé une place centrale dans la couverture de l’actualité. Cependant, leurs interdictions au Mali et au Burkina Faso a marqué un tournant, réduisant l’influence de ces médias dans certains pays et ouvrant la voie à d’autres sources d’information.
Le Sahel est aujourd’hui un terrain de jeu pour des puissances étrangères qui utilisent les médias numériques pour étendre leur influence. Des chaînes comme TRT, RT ou CGTN (Chine) diffusent activement leurs récits, souvent en opposition avec les discours occidentaux. RT utilise des théories de conspiration occidentales et des récits alternatifs pour remettre en question les récits dominants occidentaux dans la région. CGTN (Chine) joue un rôle important dans la promotion d'une image positive de la Chine à l'échelle mondiale, en mettant en avant ses réalisations économiques et politiques notamment en Afrique, à travers des reportages et des émissions.
Ces médias, soutenus par des États aux ambitions géopolitiques affirmées, alimentent une fracture informationnelle au sein des populations sahéliennes. D’un côté, certains y voient une alternative aux narratifs traditionnels, perçus comme trop alignés sur les intérêts occidentaux. De l’autre, ces médias sont critiqués pour leur manque d’objectivité et leur rôle dans la propagation de la désinformation et de la propagande en faveur des gouvernements militaires qui dirigent le Burkina Faso, le Mali et le Niger .
Cette polarisation des opinions crée une véritable fracture sociale. Les intellectuels, les communautés locales et les citoyens ordinaires interprètent l’actualité de manière divergente, mais surtout dans une certaine dualité qui pollue le débat public. Certains soutiennent les discours officiels des autorités militaires, y voyant une affirmation de souveraineté face à d’éventuelles ingérences étrangères.
Dans ce contexte, les journalistes, notamment ceux spécialisés dans la vérification des faits, devraient jouer un rôle crucial, mais leur travail est de plus en plus difficile. Pris pour cibles, ils sont souvent stigmatisés, menacés ou accusés de trahison. Cette hostilité envers les médias indépendants affaiblit le paysage informationnel, réduisant la capacité des citoyens à accéder à une information fiable et équilibrée. Les journalistes locaux, déjà confrontés à des conditions de travail précaires, doivent naviguer entre les pressions gouvernementales, les menaces des groupes armés et les influences étrangères.
« À coup d’injonctions patriotiques (au Mali) ou de notes de cadrage envoyées aux médias (au Bénin), les autorités au pouvoir tentent de façonner l’information et de contrôler les discours médiatiques. Ces méthodes menacent directement l’indépendance des journalistes et la fiabilité de l’information », rapporte Reporters Sans Frontières dans ce rapport sur les menaces croissantes sur le journalisme dans la bande sahélienne.
Cette situation a des conséquences directes sur la qualité de l’information. Les médias locaux, souvent sous-financés, peinent à rivaliser avec les grands réseaux internationaux, tandis que la désinformation prolifère sur les réseaux sociaux, alimentant la méfiance et la division. Les populations sahéliennes se retrouvent ainsi prises entre des récits contradictoires, sans toujours disposer des outils nécessaires pour distinguer le vrai du faux.
Face à cette guerre informationnelle, certains gouvernements sahéliens ont choisi de renforcer leur contrôle sur les médias plutôt que de lutter contre la désinformation. Cette stratégie leur permet de consolider leur pouvoir en façonnant un narratif officiel qui leur est favorable, tout en marginalisant les voix critiques. Par exemple, l’AES a lancé une Web TV régionale pour centraliser la communication officielle et contrer les récits jugés hostiles. La Russie, qui affiche clairement son positionnement stratégique  dans l’AES, s’empare de l’espace médiatique dans la région et est même accusée d’instrumentaliser les médias et le fact-checking à des fins de propagande et de contre discours. 
Les médias occidentaux ont le vent de face
L’espace médiatique au Sahel a longtemps été dominé par les grands médias internationaux occidentaux, notamment ceux du groupe France Médias Monde (RFI, France 24), TV5 Monde, ainsi que d’autres médias influents comme Le Monde, Libération, ou encore La Voix de l’Amérique (VOA). Ces médias ont historiquement bénéficié d’une large audience et d’une crédibilité perçue comme supérieure aux initiatives médiatiques locales. Malgré de nombreuses initiatives africaines visant à créer des médias alternatifs influents, comme la radio Africa No.1, lancée en 1981 mais qui n'a pas réussi à s'imposer durablement, la prédominance des médias occidentaux a perduré jusqu'à une époque récente.
Depuis l’arrivée des régimes militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali, et au Niger, la relation entre ces médias et les nouvelles autorités s’est profondément dégradée. Dans un premier temps, ces médias ont été des relais d’informations privilégiés, les militaires cherchant à légitimer leurs coups de force en s’adressant à une audience internationale. Par exemple, Ismaël Wagué, porte-parole du Comité national pour le Salut du peuple au Mali (CNSP), a accordé des interviews à TV5 Monde et France 24 en août 2020, peu après le renversement de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta. Wagué a défendu les actions du CNSP, rejetant l'idée d'un coup d'État et affirmant qu'il s'agissait avant tout d'une réponse à la crise politique et économique que traverse le pays. De même, le capitaine Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir au Burkina Faso après son coup d’État d’octobre 2022, a donné un entretien à VOA pour justifier son action. Il affirmait que le combat n’était pas pour le pouvoir, mais pour protéger le peuple burkinabé contre l’insécurité et la misère causées par l’insurrection islamiste. Il a souligné que son objectif était de rétablir la sécurité et de lutter contre la pauvreté, plutôt que de chercher à maintenir le pouvoir. Toutefois, au fil du temps, la posture des militaires a évolué, conduisant à des restrictions, puis à des interdictions de plusieurs médias occidentaux.
Les autorités militaires sahéliennes accusent les médias occidentaux d’adopter un narratif négatif et condescendant envers leurs gouvernements, en minimisant les efforts de souveraineté et de lutte contre le terrorisme. Elles leur reprochent également de donner la parole aux ennemis de l’État, notamment aux groupes rebelles et jihadistes. L’exemple le plus frappant concerne RFI, qui a diffusé, en octobre 2024, une interview d’Hamadoun Kouffa, chef du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), organisation affiliée à Al-Qaïda. Cette diffusion a suscité une vive réaction des gouvernements sahéliens, mais également d’une partie de l’opinion publique. À titre de rappel, la double attaque terroriste survenue à Bamako, au Mali, le 17 septembre 2024, a ciblé l’école de gendarmerie de Faladié ainsi que la base aérienne 101. Ces attaques ont été revendiquées par le GSIM. L’analyse du journaliste Wassim Nasr, spécialiste des mouvements et mouvances jihadistes, sur la double attaque diffusée sur France 24, a été interprétée par les gouvernements militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger comme un « soutien flagrant aux terroristes ». Les parquets des trois pays ont conjointement annoncé des enquêtes contre lui, marquant une intensification de la confrontation entre les autorités et les médias internationaux.
Face à ces tensions, les régimes militaires ont multiplié les interdictions. RFI et France 24 ont été suspendus au Mali en avril 2022 après la diffusion d’enquêtes sur des exactions présumées de l’armée malienne et du groupe paramilitaire Wagner. Cette suspension a été appliquée par le Niger en août 2023, peu après le coup d’État qui a porté au pouvoir le général Abdourahamane Tiani. 
La montée du discours anti-français a renforcé cette dynamique de rejet des médias occidentaux. Toutefois, les régimes militaires des pays de l’AES ne se contentent pas de dénoncer les médias occidentaux. Ils cherchent à imposer leur propre version des faits et à contrôler l’information diffusée sur leur territoire. L’exemple de l’attaque de Moura, au Mali, illustre bien cette confrontation des récits. Alors que les médias internationaux et les organisations de défense des droits humains ont rapporté, en mars 2022, que l’armée malienne et le groupe Wagner auraient exécuté environ 500 civils, le gouvernement malien a présenté cette opération comme une victoire militaire ayant permis de neutraliser 203 jihadistes. Ce décalage entre les sources officielles et les enquêtes indépendantes a alimenté les tensions et a renforcé la méfiance des autorités envers la presse étrangère.
Un autre cas est l’attaque de Chatoumane, au Niger, en décembre 2024. La British Broadcasting Corporation (BBC) a rapporté qu’une attaque jihadiste avait fait environ 130 morts, mais les autorités nigériennes ont catégoriquement démenti ces chiffres, qualifiant ces rapports de « campagne d’intoxication ». En conséquence, le gouvernement a suspendu la BBC pour trois mois, l’accusant de diffuser des bilans non officiels. Cette stratégie vise non seulement à limiter les critiques à l’égard des autorités, mais aussi à éviter de créer un sentiment d’insécurité au sein de la population.
L’interdiction des médias occidentaux a laissé un vide informationnel que d’autres acteurs tentent d’occuper. Certains médias locaux ou régionaux voient une opportunité d’accroître leur influence. Parallèlement, cette situation favorise l’implantation des médias russes et chinois, turcs, ou des initiatives africaines qui adoptent une approche alignée sur la vision des régimes sahéliens. RT (Russia Today) et Sputnik Afrique ont renforcé leur présence, diffusant des contenus favorables aux nouvelles autorités et critiquant l’influence occidentale en Afrique. De même, la CGTN (China Global Television Network), le média d’État chinois, mise sur une couverture mettant en avant les relations sino-africaines et les discours de souveraineté nationale.
Les réseaux sociaux jouent un rôle croissant dans la diffusion de l’information, mais ils sont également un terrain propice à la désinformation et aux manipulations. De nombreux influenceurs et activistes utilisent les réseaux sociaux pour commenter l'actualité politique et sécuritaire du Sahel. À ce titre, des figures comme Ibrahima Maïga et Boubou Mabel Diawara, suivies par des centaines de milliers d'abonnés, voient leurs propos largement relayés par des publics favorables aux discours en faveur des gouvernements de l’AES. De faux comptes sont largement utilisés sur les réseaux sociaux de part et d'autre pour participer à la polarisation de l'information. Par exemple, le compte X "Gauthier Pasquet" est un exemple notable. Suivi par des dizaines de milliers d’abonnés, réputé pour ses prises de position pro-françaises et ivoiriennes et pour ses critiques acerbes envers les juntes sahéliennes, il se présentait comme journaliste indépendant et lanceur d'alerte pour légitimer ses informations. Le 16 juin 2023, les autorités ivoiriennes ont arrêté, à Bouaké dans le Centre de la Côte d’Ivoire, un individu suspecté d'être derrière le compte Gauthier Pasquet. Selon les informations disponibles, l'administrateur du compte serait Aboubacar Sidikh Sylla, un cyber-activiste ivoirien. Lors de son audition, il aurait révélé sa participation à un projet visant à renverser le régime du capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso, impliquant notamment l'ancien ministre des Affaires étrangères burkinabé, Djibrill Bassolé, et l'ex-chargé de mission français Alexandre Benalla. 
Cette affaire illustre les enjeux croissants de la guerre informationnelle dans cette région où les médias et les réseaux sociaux deviennent des terrains d'affrontement pour diverses influences politiques et géopolitiques.
Une vision alternative du Sud global face aux récits dominants
Dans cet article de la publication Géoconfluences, le Sud global est décrit comme étant « une notion géopolitique regroupant une variété de pays ayant peu de points communs, de grandes puissances comme la Chine ou l'Inde à des pays en grande précarité ». L’article met en exergue le fait que  « le Sud global désigne surtout une revendication, croissante et destinée à faire entendre sa voix, pour un ordre international plus multipolaire et moins unidirectionnel ».
Le retrait des États de l’AES de la CEDEAO, annoncé le 28 janvier 2024 et devenu effectif un an plus tard, a profondément redéfini le paysage politique ouest-africain. Cette décision s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes entre les régimes sahéliens et la France, marquant une rupture assumée d’avec l’ancienne puissance coloniale. Ce discours de souveraineté, structuré autour du rejet de l’influence occidentale, a d’ailleurs été l’un des principaux arguments avancés pour justifier la sortie de la CEDEAO, perçue comme un instrument au service des intérêts étrangers plutôt qu’un véritable cadre d’intégration régionale. 
Le discours médiatique international, dominé par les grands groupes occidentaux, qualifie systématiquement les dirigeants militaires du Sahel de « juntes » ou de « putschistes », des termes peu appréciés par les dirigeants de l’AES. En réponse, l'actuel premier ministre malien Abdoulaye Maïga avait qualifié le gouvernement français de « Junte au service de l'obscurantisme » à la tribune des Nations Unies en 2022. Cette approche contribue à créer une dichotomie entre les narratifs de ces médias et ceux portés par des sources alternatives qui adoptent une perspective plus souverainiste et panafricaniste. Des plateformes comme TRT Afrique - filiale de TRT, disponible en anglais, en français, en swahili et en haoussa -, Russia Today (RT en français), AJ+ en français (filiale d' Al Jazeera) ou encore des plateformes locales comme Afrique Média et AFO Media, adoptent une lecture alternative des dynamiques internationales, en inscrivant leur analyse dans un cadre anticolonialiste et anti-impérialiste.
AFO Media porté par le journaliste camerounais Alain Foka, ancien de RFI, émerge comme un acteur majeur dans la production de contenus africains, visant à promouvoir un « narratif africain » à travers des reportages, des chroniques et des documentaires. En s'appuyant sur des influenceurs très suivis sur les réseaux sociaux, cette plateforme cherche à capter une audience jeune et engagée, en phase avec la montée des aspirations souverainistes sur le continent. Afrique Média, une chaîne de télévision camerounaise, est également un acteur important dans la diffusion de narratifs contre la France et de la propagande russe en Afrique. Elle a considérablement élargi son audience, avec plus de 800 000 abonnés sur YouTube et 360 000 sur Facebook. Un accord entre RT et Afrique Média a été signé pour lutter contre ce que Moscou qualifie de « propagande mensongère occidentale ». Cette stratégie permet à la Russie d'influencer l'opinion publique africaine via des médias locaux plutôt que directement par ses propres canaux.
Ces médias, tout comme certains influenceurs et activistes tels que Kemi Séba (de son vrai nom Stellio Gilles Robert Capo Chichi), Nathalie Yamb et Franklin Nyamsi, contestent les qualificatifs jugés péjoratifs à leur encontre et présentent les régimes militaires africains comme des garants de la souveraineté face aux ingérences étrangères. Bien que régulièrement présentés de propagandistes et d'être des agents de la Russie, leurs discours trouvent un écho auprès des jeunes générations et des diasporas africaines, qui y voient une lutte pour l’émancipation du continent.
Nathalie Yamb, surnommée "la Dame de Sotchi", s'est imposée sur la scène médiatique lors du sommet Russie-Afrique de 2019, où son intervention dénonçant l'influence française en Afrique est devenue virale. Kemi Séba, pour sa part, assume ouvertement ses liens avec la Russie, multipliant les séjours à Moscou et s'affichant aux côtés de figures influentes. Selon Jeune Afrique, il aurait bénéficié de plus de 400 000 dollars de financement de la part du groupe Wagner entre mai 2018 et juillet 2019. Un autre acteur de cette mouvance est Adama Diarra, dit "Ben le Cerveau", activiste malien et leader du mouvement Yèrèwolo – Debout sur les Remparts. Il s'est illustré par son rejet de la présence militaire française au Mali et son soutien affiché à la Russie. Ces figures, bien que controversées par les médias occidentaux, incarnent une contestation de l’ordre international tel qu’il est perçu par une partie de l’opinion africaine, nourrissant un discours de rupture avec les anciennes puissances coloniales.
Les régimes militaires du Sahel capitalisent sur cette dynamique en associant leurs images à ces personnalités pour renforcer leur influence auprès de la jeunesse et mobiliser les Africains autour d'idéaux « souverainistes ». Kemi Séba, Nathalie Yamb et Franklin Nyamsi sont régulièrement reçus par les autorités militaires des pays de l’AES. L’exemple le plus marquant est la nomination de Kemi Séba en tant que conseiller spécial du nigérien Abdourahamane Tiani, en octobre 2024. En mars 2024, Séba a symboliquement brûlé son passeport français lors d'une conférence de presse à  Fleury-Mérogis, non loin de Paris, renonçant ainsi à sa nationalité française dans un geste médiatisé. Séba a été déchu de la nationalité française par un décret paru le 9 juillet 2024 en France au Journal officiel. 
Les médias comme TRT Afrique, AJ+ et RT offrent une tribune à ces figures panafricanistes, leur donnant une visibilité qu’ils ne trouvent pas dans les médias occidentaux. Une interview accordée à Kémi Séba par TRT Afrique illustre cette stratégie médiatique. Intitulé « Les dirigeants africains trahissent leur fonction », l'entretien était accompagné d’une miniature montrant les visages de chefs d’État de la CEDEAO comme Patrice Talon (Bénin), Nana Akufo-Addo (Ghana), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) et Ahmed Bola Tinubu (Nigéria). Séba y dénonçait ce qu'il considère comme une « trahison des dirigeants africains », les accusant de sacrifier les intérêts de leurs populations pour préserver leurs relations avec les puissances étrangères. Il a également critiqué ce qu'il perçoit comme une « hystérie » des autorités françaises face à son militantisme.
Toutefois, au-delà de produire des récits alternatifs, ce qui, en soi, n'est pas une infraction, ces plateformes peuvent être amenées à faire de la désinformation. Un exemple notable est un article de Sputnik Afrique affirmant que le colonel Assimi Goïta avait accusé la France d'avoir imprimé de faux billets de francs CFA pour saboter l'économie malienne. En réalité, Goïta, lors de son discours à Sikasso (Sud) dans le cadre de l'ouverture du Stade de la ville éponyme, avait simplement évoqué des tentatives de sabotage économique par l’introduction de fausse monnaie, sans pointer explicitement la France. Face à cette escalade des tensions entre la France et les régimes sahéliens, des restrictions ont été imposées à plusieurs médias français par les régimes militaires. 
Les pays de l'AES estiment  être la cible d'une guerre médiatique orchestrée par des acteurs externes et internes. La création d'une Web TV commune servira d’outil pour répondre à ces prétendues attaques en fournissant des informations alternatives. 
Les autorités maliennes ont mis en place, à l'occasion des 64 ans de l'armée malienne le 20 janvier  2025, une radio et une web TV (FAMA FM et TV).  D’après le média malien Maliweb, le ministre malien de la Défense et des Anciens combattants, le Général de Corps d’Armée, Sadio Camara, a indiqué que « cette initiative est la volonté du Président de la Transition pour renforcer la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent (et) de garantir auprès de l’opinion nationale et internationale la diffusion des informations claires et du coup briser le monopole de la communication des anciennes puissances coloniales ». 
La vérification des faits et la lutte contre la désinformation au centre du jeu
Dans ce contexte, plusieurs pays occidentaux soutiennent des initiatives de lutte contre la désinformation comme les médias du groupe France Médias Monde qui ont mis en place et soutenu des programmes de fact-checking. En juillet 2023, 300 journalistes et activistes de l’information de 45 pays se sont retrouvés à Paris pour partager leurs pratiques, leurs solutions, leurs difficultés et leurs innovations face aux problématiques contemporaines, notamment celles liées à la lutte contre la désinformation. Cette conférence a été organisée par CFI, l'agence française de développement médias.
Parallèlement, des pays comme la Russie et la Turquie se sont également inscrits dans la lutte contre la désinformation via le fact-checking. Le forum SHUM, tenu à Kaliningrad, en Russie, du 26 octobre au 1er novembre 2024, a rassemblé de nombreux jeunes journalistes et blogueurs africains pour discuter des enjeux médiatiques. RT a récemment lancé RT academy pour former des journalistes et blogueurs africains. Ces formations, accessibles gratuitement en ligne, se concentrent sur des thématiques clés comme la vérification des faits, la lutte contre la désinformation, le journalisme télévisé et en ligne, ainsi que la production de contenus de qualité. De son côté, le Stratcom Summit, organisé par la présidence turque depuis 2021, aborde des thèmes liés à la communication de crise, la diplomatie publique et la lutte contre la désinformation.
Dans un cas comme dans l'autre, c'est un point positif que des acteurs soutiennent le fact-checking et la lutte contre la désinformation. Leur engagement dans cette cause est nécessaire pour faire face au désordre informationnel croissant, y compris dans le Sahel central. Promouvoir la vérification des faits est un acte nécessaire et légitime, accessible à tous, afin de préserver une information fiable et équilibrée dans l'intérêt du débat public.
En outre, il ne faut pas nier le risque d'instrumentalisation du fact-checking qui, lui, représente un danger réel dans un contexte où la guerre des narratifs domine les faits. Ainsi, si l'occasion est donnée à des acteurs politiques ou économiques d’utiliser la lutte contre la désinformation pour légitimer leurs agendas au détriment de la vérité, cela peut davantage éroder la confiance du public en vers les médias et risque de détourner l'objectif premier du journalisme : fournir une information impartiale et factuelle. Dans une telle situation, l'opinion publique pourrait être façonnée non pas sur des faits vérifiés, mais sur des opinions stratégiquement construites, renforçant la polarisation sociale et politique.
Pour anticiper ces risques, les fact-checkers doivent impérativement œuvrer avec indépendance, transparence et témoigner au quotidien d'un engagement total envers les faits. Le journalisme de qualité et l'intégrité de l'information sont les derniers remparts face à la manipulation des faits. Leur préservation est essentielle pour garantir un débat public éclairé, fondé sur des faits avérés. 
À propos des auteurs -  Legrand Bah Traoré est un chercheur malien spécialisé sur le Sahel au sein du Think Tank WATHI. Valdez Onanina dirige le bureau francophone d’Africa Check et analyse la désinformation en Afrique. Leurs travaux s'entrecroisent autour de la compréhension des enjeux liés aux dynamiques informationnelles au Sahel et à la pratique du fact-checking sur le continent africain.
Auteur: Africa Check

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