Une arrestation injustifiable, une humiliation pour l’expert et un précédent dangereux pour la République.
Il est des actes qu’aucune démocratie véritable ne saurait tolérer. L’interpellation brutale de Me Mohamadou Moctar FAYE, expert fiscal et conseil juridique, dans le cadre de l’affaire dite des « bateaux fantômes », est de ceux-là. Membre dûment inscrit de l’Ordre National des Experts du Sénégal (ONES), Me FAYE agissait dans le strict cadre de ses fonctions, mandaté par le cabinet international Baker McKenzie. Il n’était ni un suspect, ni un prévenu, mais un professionnel en mission.
Pourtant, il a été arrêté, menotté, et livré à une mise en scène d’humiliation publique orchestrée par la Division des Investigations Criminelles (DIC), avec l’appui des Douanes, sur instruction du Parquet Judiciaire Financier. Un abus qui a conduit certains titres de la presse à l’intégrer dans une prétendue « mafia de 845 milliards » sans discernement ni respect du droit. Cette atteinte grave à l’honneur professionnel n’est pas seulement une injustice individuelle : elle est un symptôme préoccupant d’un affaiblissement de notre État de droit.
Une légalité pourtant claire
La loi est sans équivoque. Le décret n°2020-2421 du 31 décembre 2020, pris pour l’application de la loi n°2017-16 portant création de l’ONES, encadre strictement les attributions des experts fiscaux.
L’article 8 du décret autorise explicitement l’expert à accomplir des missions d’assistance, de conseil, de représentation et d’expertise fiscale, y compris auprès des institutions publiques. Me FAYE était donc dans son plein droit. Son interpellation constitue de fait une violation manifeste des textes, un abus d’autorité manifeste.
L’indépendance de l’expert : un principe républicain
La mission de l’expert ne se limite pas à un savoir technique : elle repose sur une indépendance garantie par la loi. Le Code des devoirs professionnels de l’ONES est formel :
« L’expert est rigoureusement indépendant vis-à-vis des administrations publiques ou des organisations politiques ou professionnelles. »
Cette indépendance est au cœur du rôle de l’expert, tout comme l’impartialité est au cœur de la fonction judiciaire. Remettre en cause ce principe, c’est fragiliser tout l’édifice de la régulation professionnelle, et au-delà, l’équilibre entre les institutions.
Une défense exemplaire… mais un précédent inacceptable
Grâce à l’intervention du cabinet François Sarr et Associés, notamment Me Moustapha FAYE, l’expert a recouvré la liberté. Le Parquet a classé l’affaire sans suite. Cela aurait dû suffire à clore un épisode malheureux.
Mais le mal est fait. L’atteinte portée à l’honneur d’un professionnel respecté, le choc moral et institutionnel subi par toute une profession, et le précédent créé dans la relation entre l’État et les experts, appellent des réparations bien au-delà du simple classement sans suite.
Des objectifs budgétaires qui ne doivent pas justifier l’arbitraire
L’État a besoin de ressources, c’est une évidence. Mais la quête de recettes fiscales ne saurait se transformer en chasse aux sorcières. Les régies financières, les organes de contrôle et d’enquête doivent garder à l’esprit que le respect du droit est un impératif, même, et surtout, en période de tension budgétaire.
Les experts fiscaux ne sont pas des obstacles à la mobilisation des ressources, encore moins des complices de la fraude. Ce sont des partenaires essentiels du redressement économique, des régulateurs indépendants de l’action publique.
Une alerte à prendre au sérieux
Ce qui s’est passé doit servir de signal d’alarme. Le Premier ministre Ousmane SONKO, lui-même expert fiscal inscrit à l’ONES, sait mieux que quiconque ce que représente cette profession pour notre pays. Il est donc urgent d’agir :
• Former systématiquement les officiers de police judiciaire, magistrats et douaniers sur le statut et les missions des experts ;
• Instaurer un protocole d’intervention respectueux des garanties professionnelles ;
• Ouvrir un dialogue institutionnel entre les Ordres et les organes d’enquête.
Il en va de la confiance entre l’État et les corps professionnels. Il en va aussi du respect des fondements républicains.
Pour que cela ne se reproduise plus jamais
L’expert fiscal n’est ni un suspect par nature, ni un adversaire de l’administration. Il est un acteur clé du bon fonctionnement de l’économie et de la justice fiscale.
Ce combat dépasse la personne de Me FAYE. Il concerne l’ensemble des professions libérales, et la place que la République accorde à l’expertise, à l’indépendance et à la rigueur. Défendre ces principes, c’est défendre l’État de droit.
Par Me Saliou DIEYE, Expert fiscal, Mandataire judiciaire,
Président de l’Ordre National des Experts du Sénégal (ONES)
Auteur: Senewebnews
Publié le: Jeudi 31 Juillet 2025
Commentaires (9)
Quelles sont ses relations avec Sonko ?
"PROPOS CENSURE " ET AUCUNE RÉACTION DU PALAIS. IL FAUT ÊTRE SÉRIEUX QUAND MÊME DIALLO.
Je suis d'accord que l'arrestation n'est pas justifié et que nos enqueteurs ont besoin de formation et je pense que le maitre des poursuites l'a libéré pour cela, pour ceux qui disent que l'on a pas un etat de droit. Par contre soyons serieux un expert fiscal n'est pas au dessus des lois, il peut bien etre arreté et menotté mais tout doit se faire dans le respect des lois en vigueur : un expert fiscal ou tout autre qui conseille un client est responsable pénalement si ses conseils ont permis de commettre des crimes.
Ce qui s'est passé avec ce dossier est un incident malheureux au détriment d'un vaillant guerrier défenseur des droits sénégalais et excellent conseiller qui aide à remplir les comptes du trésor tous les jours.
Ceux qui connaissent Me FAYE comprennent bien mes mots.
Remerciements au président de l'ONES pour sa contribution.
Ça fait longtemps que nous ne vivons plus dans un État de Droit. Tout le monde observe et se dit que cette injustice ne frappe que les autres. Et quand elle finit par nous frapper, nous nous en offusquons. La loi au Sénégal est une décoration. Ceux qui sont censés la faire respecter l’enfreingnent, ceux qui sont censés dire le droit l’enfreignent, et ceux qui sont nommés à des postes de pouvoir la snobent et se croient au dessus.
Que l'expert ou l'ones déposent une plainte !
Expertise Fiscale, un métier méconnu du grand Public, sauf les Grandes Entreprises qui y ont accès.
IL est grand temps d'envahir les plateaux de Télé et Radio, pour donner un Cours Magistral au Peuple(ndlr PME en particliers) en quelques le rôle de l'Expert Fiscal dans l'Economie d'un Pays.
QU'A T IL FAIT POUR ETRE ARRETE? Il ne l'a pas été sans raison.
L’article 8 du décret autorise explicitement l’expert à accomplir des missions d’assistance, de conseil, de REPRESENTATION et d’expertise fiscale, y compris auprès des institutions publiques. S'il est le représentant d'une société établie à l'étranger, qui mieux que lui doit répondre des infractions commises par celle-ci au Sénégal, particulièrement sur des opérations qu'il a lui même conclues au non de ladite société
Cher Monsieur,
Je vous remercie pour votre message et me permets de préciser, dans un souci de clarté, le rôle de l’expert fiscal, auxiliaire de justice, tel qu’il résulte de nos textes réglementaires.
En effet, l’article 8 du Décret n°2020‑2421 du 31 décembre 2020 définit expressément les missions de l’expert fiscal, qui comprennent :
• L’assistance et le conseil fiscal ;
• La représentation des contribuables auprès de l’Administration ou des institutions publiques ;
• La réalisation de missions d’expertise fiscale, qu’elles soient judiciaires ou amiables.
Cette mission de représentation implique que l’expert fiscal peut intervenir pour le compte de sociétés étrangères opérant au Sénégal, dans la limite de ses obligations professionnelles et en respectant son indépendance.
Il est toutefois fondamental de distinguer deux notions :
1. L’assistance et la représentation du contribuable par l’expert fiscal, qui relèvent de son mandat professionnel et des textes qui le régissent ;
2. La responsabilité pénale attachée à des infractions commises par une personne morale, qui demeure strictement celle de ladite société et, le cas échéant, de ses représentants légaux ou mandataires dûment désignés, conformément au Code des obligations civiles et commerciales et au Code général des impôts.
Ainsi, l’expert fiscal n’est pas personnellement responsable des infractions commises par le contribuable qu’il assiste ou représente, sauf en cas de faute personnelle établie, ce qui est une toute autre appréciation.
En résumé, le cadre légal confère à l’expert fiscal une mission de conseil, de représentation et d’expertise, mais ne le substitue jamais au redevable légal pour assumer des infractions qui lui sont propres.
Cordialement
Participer à la Discussion