“Jub, Jubal, Jubanti.” Le triptyque moral brandi comme une épée par Pastef au pouvoir depuis mars 2024 semble aujourd’hui s’émousser sous le poids des contradictions internes. En moins de 24 heures, deux voix fortes du régime ont fait entendre un grondement public qui ne peut être confondu avec un simple grincement de fonctionnement. Non. C’est une secousse. Et pas des moindres.
D’un côté, Ousmane Sonko, Premier ministre et figure de proue du régime, tape du poing sur la table du Conseil des ministres. Il dénonce sans ambages les dérives du secteur parapublic : sessions bâclées des conseils d’administration, absence de rigueur documentaire, mandats illégitimes, et nominations par complaisance. Le tout, enveloppé dans une exigence pressante de réforme, adossée au décret du 29 avril 2025. Pour qui a suivi l’homme, ce n’est pas un coup de com’. C’est une mise en garde.
De l’autre côté, son camarade de lutte devenu parlementaire, Guy Marius Sagna, dégaine depuis l’hémicycle. Et vise juste. L’Assemblée nationale, dirigée pourtant par un membre du même parti, n’échappe pas à ses flèches : dépenses jugées absurdes, comme le “Sukëru koor” offert aux députés, billets de pèlerinage gracieusement distribués, opacité comptable, achats non concertés de véhicules, et surtout, cette lenteur coupable dans la publication des rapports financiers. Et là encore, pas d’accusation en l’air. Mais un rappel solennel à la ligne révolutionnaire : Mamadou Dia. Thomas Sankara. Amílcar Cabral.
Ces deux charges, qui auraient pu passer pour des exercices de style dans un pays habitué aux envolées sans lendemain, prennent ici une dimension plus tragique : celle d’un pouvoir qui semble déjà se parler à lui-même à coups de banderilles. Plus qu’un signal de vigilance, c’est une alerte rouge. Quand des gardiens du temple hurlent à l’incendie, c’est qu’il y a bel et bien feu sous la charpente.
Et comme toujours sous nos tropiques, les répliques ne tardent pas. Le député Ismaila Diallo, vice-président de l’Assemblée, renvoie Guy Marius Sagna à ses propres zones d’ombre. “Il a son agenda personnel”, lâche-t-il, avec un soupçon de menace : “Demain fera jour.” Une phrase qui dit tout sans rien dire, mais surtout qui trahit un malaise grandissant au cœur du camp de la rupture.
Car c’est bien là que se joue l’essentiel : le rêve Pastef. Ce souffle d’éthique, de justice, de transparence, qui avait séduit une frange large d’un peuple fatigué des mascarades institutionnelles. Or, à peine les habits du pouvoir endossés, les fissures apparaissent. Non pas sous la pression de l’opposition, mais de l’intérieur même du système. Et ce n’est pas rien.
La question est donc crue, brutale, inévitable. Le “jubal” et le “jubanti” sont-ils aujourd’hui devenus une fiction douloureuse pour ceux-là mêmes qui les ont portés comme un flambeau ? La rupture, tant chantée, serait-elle en train de s’user au contact rugueux de la réalité ? Ou pire encore, certains commencent-ils à découvrir que le pouvoir n’est pas un ascenseur vers l’idéal, mais un miroir sans pitié ?
En tout cas, au-delà des noms, des partis, et des charges, ce que vivent les Sénégalais en ce moment, c’est une vérité politique presque universelle : ce n’est pas l’opposition qui tue les révolutions, ce sont les piques internes et successives.
Si ceux qui ont juré de faire la différence finissent par reproduire les mêmes réflexes politiques que leurs prédécesseurs, alors oui la “rupture” ne sera qu’un mot vide, pendu au fronton de l’histoire comme un drapeau en berne.
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