Acteur du transport, Momar Sourang a pris part à un panel sur la Zlecaf organisé par le Laboratoire d'analyse des politiques de développement (LAPD) de l'Université Cheikh Anta Diop. Dans cet entretien accordé à la fin du panel, il a mis le doigt sur les limites de la Zlecaf tout en invitant les gouvernants à charger de démarche.
Dans votre intervention, vous semblez dire que la Zlecaf c’est bien, mais il y a un défaut de dialogue. Est-ce bien ça ?
L'objectif de la Zlecaf, c'est de promouvoir le secteur privé. Et la promotion du secteur privé dépendra du niveau d'implication dans les discussions. Ce qu'il y a à regretter, c'est que le secteur privé n'est pas impliqué. Puisque c'est une directive de l'Union africaine, nous demandons à l'Union africaine d'insister auprès des Etats pour que nous puissions assister aux débats de la conférence des chefs d'Etat pour leur faire part de nos préoccupations. Sinon, si on construit cet écosystème alors que nous n'avons pas senti le besoin d'y aller, nous n'irons pas.
Que faut-il comme préalable ?
Tout dépendra d'abord de la sécurité juridique, parce que quand je veux aller au Mali, je veux me sentir au Sénégal. Il faudrait d'abord procéder à une harmonisation de la réglementation et que l'Union africaine ait un dispositif pour pouvoir servir de veille et d'alerte pour que nos préoccupations puissent être prises en compte. Figurez-vous que, quand vous êtes sur la route, vous jouez avec le temps. Or, le temps, c'est l'argent.
Ensuite, quand vous avez des entraves et que vous êtes laissé seul dans un pays étranger, ce n’est pas bon. C'est pourquoi nous avions proposé, dans le cadre de la Zlecaf, que les camions qui décident d'emprunter ces corridors puissent avoir un identifiant Zlecaf pour ne pas être sujets à un traitement discriminatoire.
Nous sommes prêts à aller investir un peu partout en Afrique, parce qu'il y a le potentiel en Afrique. Quand vous allez au Bénin, vous avez de la terre. Quand vous allez dans un autre pays africain, vous avez des îles touristiques. On veut investir, mais on veut un cadre réglementaire sécurisé. S'il n'y a pas un cadre réglementaire sécurisé, aucun Sénégalais, aucun Malien n'ira investir comme ça au hasard. Mais pour cela, il faut qu'ils acceptent de discuter avec nous.
Il faut une forte implication du secteur privé. Mais si on a déjà des problèmes dans un cadre communautaire, ça ne rassure pas. Au niveau de la CEDEAO, la carte brune est déchirée au Mali, le chauffeur est jeté en prison, s’il commet un accident, alors que le Mali l'a ratifiée. Comment voulez-vous que l'on investisse ? Ce commerce transfrontalier va booster nos échanges commerciaux. Mais l'acteur le plus important, c'est le transporteur et le chauffeur. S'ils ne sentent pas le corridor comme étant un lieu compétitif, ils n'iront plus là-bas et ça va bloquer nos échanges commerciaux.
Il est sorti des interventions qu’il y a un autre défi lié aux infrastructures.
Aujourd'hui, il y a plein d'échanges qu'on peut faire entre les pays africains. Et il faudrait que l'Union africaine pense à mettre en place des infrastructures routières de dernière génération, combinées aux ferroviaires et aux maritimes, mais de façon intelligente en impliquant tous les acteurs. Si on a un réseau de transport efficace et une législation correcte, l'Afrique va davantage commercer avec l'Afrique.
Mais si l'Afrique aujourd'hui a des problèmes, c'est parce qu'on a un problème de législation. Vous pouvez, avec votre camion, quitter Dakar et aller jusqu'à Djibouti. Mais bonjour, les tracasseries sur la route. Les Etats signataires devraient être sincères avec nous pour qu’à Djibouti, en Ethiopie ou ailleurs, je puisse être comme le citoyen de ce pays. Quand on est dans un espace communautaire, il faut parler de souveraineté communautaire, de préférence communautaire. Mais quand on nous brandit la préférence nationale, ça ne va pas.
Il faudrait que les Etats s'accordent à aller ensemble et à comprendre que les acteurs du secteur privé africain ont besoin d'être mis ensemble sur la même base pour qu'on puisse compétir et que le meilleur gagne.
Mais pour commercer, il faut d’abord disposer de produits. Vous êtes interpellé sur l'industrialisation du continent.
L'industrialisation, c'est un mot. Je vais vous citer le cas du Sénégal. Vous aviez la Sotiba, vous aviez Icotaf, vous aviez Soboko, vous aviez un industriel sénégalais qui a investi dans la chaussure, Feu Ibrahima Sène. Feu, Ali Saleh a investi dans les fermetures, dans les fabriques de boutons. Beaucoup de Sénégalais ont essayé d'investir, mais ils se sont heurté aux importations. Une industrie, on la protège.
Vous avez aujourd'hui des Chinois et des Indiens qui débarquent avec leurs marchandises et qui revendent en gros. Est-ce normal ? Est-ce encourageant pour que quelqu'un puisse aller investir dans l'industrie ou dans l'agriculture ? Non ! Le secteur privé a un problème de législation.
Il faut le protéger, l'encadrer, mais ne surtout pas le laisser faire ce qu'il veut. Il faudrait que l'Etat accepte que s'il veut aller vers l'industrialisation, il y a des préalables qui sont requis.
C'est d'abord surveiller les importations. Quand on fabrique des chaussures au Sénégal, on ne doit pas importer des chaussures. Quand on fabrique le Legos au Sénégal, on ne doit pas l'importer.
L'usine de textile de la Sotexka a fait faillite parce que les Chinois ont envahi le marché. Vous voulez une chose et son contraire. Il faudrait que les Etats africains se décident et qu’ils disent s’ils veulent d'un pays commerçant ou d'un pays industriel.
L'industrialisation coûte cher. Vous n'accepterez jamais de le faire si vos investissements ne sont pas sécurisés.
Est-ce que vous craignez que la création de l’AES aggrave le problème des tracasseries ?
On peut le penser. Et c'est la fermeture de la frontière malienne qui a toute occasion. On ne peut pas parler d'intégration et brutalement fermer une frontière, sans pour autant avertir les acteurs du secteur. Nous, on est allés brusquement à la frontière, on nous a dit, vous ne passez pas.
Plus de 1 000 camions des deux côtés. Nous avons écrit au président en exercice d'alors de la CEDEAO avec ampliation au président Macky Sall, au président Alassane Ouattara, au président Assimi Goïta, au Conseil du dialogue social de l'UEMOA. Mais jusqu'à présent, nous n'avons reçu aucune réponse de ces autorités. C'est ça, l'intégration ? Ils ne nous ont pas répondu, ils se sont levés un beau jour pour prendre cette décision. Nous leur avions dit qu'ils s'engageaient sur une voie sans issue.
Vous ouvrirez les frontières sans qu'on vous le dise. Assimi Goïta est toujours au Mali. Est-ce que ça valait la peine de fermer les frontières ? C'est la négation de l'intégration africaine. On en parle, mais on n'est pas une communauté économique africaine intégrée au vrai sens du mot. Aller en Côte d'Ivoire, acheter du café, essayer de l'amener par la route, vous allez avoir des sanctions. Aller au Mali, essayer de transporter du coton en tant qu'acteur du transport, on vous l'interdit, on demande aux Maliens de le faire.
Il faut donc que la CEDEAO et l’AES se parlent, si on veut booster les échanges ?
Il faut qu'on arrête d'aller vers des discours et des slogans pour l'effectivité sur le terrain. La CEDEAO mérite des réformes. Et si je devrais dire aujourd'hui une chose, c'est que l'Alliance du Sahel et la CEDEAO doivent s'entendre sur une chose : aucun d'eux n'a intérêt à aller seul. Nous avons en face de nous le reste du monde. Nos économies sont faibles, et ce n'est que dans la mise en cohérence de nos économies que nous arrivons à pouvoir faire face. Exploiter nos ressources de façon communautaire, qu'on puisse raffiner l'or du Sénégal en Guinée, qu'on puisse faire l'inverse ailleurs. Que la valeur ajoutée, accordée à la transformation, puisse rester ici. Mais si on ne prend garde… Que ce soit les Français ou les Russes, aucun de ces pays ne vient ici pour nos beaux yeux. C'est parce qu'ils ont un intérêt certain en Afrique. Et c'est nous qui devons le comprendre. Le développement doit commencer d'abord par nous-mêmes. Quand j'entends des termes comme la francophonie, la lusophonie, l'anglophonie, c'est un cordon ombilical qu'il faille couper. C'est de la mascarade culturelle. Et dans notre subconscient, on n'est jamais indépendants. Il y a une barrière entre les pays anglophones et les pays lusophones, et nous habitons le même continent parce que nous parlons une langue différente.
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