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Le funambule budgétaire : Le Sénégal sur le fil de sa dette

Auteur: Aicha Fall

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Le funambule budgétaire : Le Sénégal sur le fil de sa dette

Il y a des chiffres qui ne se contentent pas d’exister, ils s’imposent. À la fin de l’année 2024, le Sénégal portait sur ses épaules un encours de dette publique estimé à 23 666,8 milliards F CFA. Un chiffre aussi lourd qu’un silence, représentant près de 119 % du produit intérieur brut. Ce n’est plus une colline, c’est une montagne comptable, un relief financier qui façonne la trajectoire de tout un pays.

Le rapport de la Stratégie de gestion de la dette à moyen terme (2026-2028) en dresse le portrait avec précision. Sur ce total, 68,3 % proviennent de l’extérieur, soit environ 16 160,5 milliards F CFA. Une dette majoritairement en devises étrangères, contractée pour moitié auprès d’institutions multilatérales et bilatérales, et pour l’autre moitié sur les marchés commerciaux. Environ 18,3 % de cette dette extérieure est constituée d’eurobonds, ces obligations internationales qui font la fierté des États lorsqu’ils sont émis, et leur angoisse lorsqu’il faut les rembourser.

La dette intérieure, elle, s’élève à 7 506,3 milliards F CFA, soit 31,7 % du portefeuille total. Elle prend la forme d’obligations du Trésor sur trois ou cinq ans, détenues par les banques et investisseurs régionaux. Ces émissions, souvent vantées comme un instrument de souveraineté financière, révèlent pourtant une fragilité : la durée moyenne d’échéance n’est que de 3,2 ans. Une respiration courte pour un État qui a besoin de souffle long.

L’encours total de la dette se compose à 34,5 % de prêts concessionnels ou semi-concessionnels, c’est-à-dire à des conditions avantageuses. Le reste, près de 65 %, relève de financements commerciaux. Cela signifie que le Sénégal emprunte de plus en plus aux taux du marché, et de moins en moins dans les conditions préférentielles qui faisaient autrefois son équilibre. Cette bascule n’est pas anodine. Elle traduit à la fois une reconnaissance de la solidité du pays sur les marchés et une exposition accrue aux chocs extérieurs.

Les vulnérabilités sont connues. Près de 40 % du portefeuille total est libellé en dollars, une monnaie capricieuse qui fait et défait les équilibres. À chaque mouvement de la Réserve fédérale américaine, c’est un peu du budget sénégalais qui tremble. Le rapport souligne également que 20 % de la dette est à taux variable et que 30,4 % du stock devront être refixés dans l’année. Autrement dit, près d’un tiers des emprunts sont sensibles aux changements de taux et aux fluctuations monétaires.

Le coût moyen pondéré de la dette s’établit à 4,3 %. Un taux qui semble maîtrisé, mais qui reflète la progression du financement domestique à court terme. À mesure que les eurobonds de 2018 approchent de leur échéance, les nouvelles émissions se multiplient sur le marché régional, souvent sans différé de paiement. Cette stratégie permet de tenir le cap dans l’immédiat, mais elle rapproche dangereusement les échéances, comme si chaque remboursement ouvrait la porte au suivant.

Entre 2025 et 2028, les tensions s’accumuleront. Le rapport prévoit un pic de remboursement dès 2025, conséquence directe de la réconciliation des données de dette bancaire menée par le cabinet Forvis Mazars, après le rapport de la Cour des comptes de février 2025. Les années suivantes verront s’ajouter les paiements liés à l’eurobond 2018 et à plusieurs obligations régionales. Un calendrier chargé, à l’image d’un funambule qui avance sur un fil toujours plus mince.

Pourtant, derrière ces chiffres austères, il y a une intention. La dette n’est pas une faute, c’est une stratégie. Elle sert à financer les routes, les hôpitaux, les écoles, les ports et les infrastructures énergétiques. Elle traduit une volonté d’investissement, un pari sur l’avenir. Le danger ne réside pas dans le recours à l’endettement, mais dans son rythme, sa composition, sa transparence et sa finalité.

La stratégie de gestion de la dette à moyen terme invite à une prudence lucide. Elle préconise un meilleur équilibre entre financements concessionnels et commerciaux, une gestion active des risques de change et un allongement des maturités. Le Sénégal dispose encore d’atouts solides, d’une économie diversifiée et d’une crédibilité régionale reconnue. Mais pour que cette montagne de chiffres cesse d’écraser les ambitions nationales, il faudra apprendre à gravir la dette au lieu de la subir.

Car chaque milliard emprunté porte en lui une promesse. Et si cette promesse doit servir à construire, alors le poids de la dette cessera d’être une fatalité pour redevenir un instrument de mouvement. À condition de ne jamais oublier qu’un roi, même endetté, ne reste souverain que s’il garde la maîtrise de son royaume.

Auteur: Aicha Fall
Publié le: Mercredi 29 Octobre 2025

Commentaires (1)

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    Alsi il y a 1 heure

    Excellent texte qui nous sort des productions de journalistes politiciens.

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