Professeur Abdoulaye Sakho : « Les télévisions, véritables patrons du sport mondial »
La transmission façonne l’économie du football, selon le professeur Abdoulaye Sakho. En effet dit-il, « le sport, hier simple distraction populaire, est devenu une industrie colossale, animée par des flux financiers gigantesques. Au centre de cette transformation : les droits de télévision, désormais le moteur principal de la valeur économique du football ».
Invité du "Jury du dimanche" sur iRadio, le Pr. Sakho, spécialiste du droit du sport, pose un constat clair : les télévisions sont aujourd’hui les véritables patrons du sport mondial. Dans les premières décennies du football professionnel, les clubs vivaient essentiellement de la billetterie et parfois de subventions publiques. Ce modèle, simple et local, suffisait à financer des compétitions régionales.
Mais l’arrivée de la télévision a tout changé, toujours selon lui. « Ce qui finance le sport aujourd’hui, c’est la télévision ». Pour Abdoulaye Sakho, ce basculement est le cœur de l’économie moderne du sport. « Les droits de diffusion sont devenus un actif stratégique, parfois plus précieux que les recettes des sponsors ou même que celles de la billetterie ».
La télévision comme valeur centrale
Les données financières de la FIFA et de la CAF l’attestent : les droits de télévision représentent une part considérable des revenus. Dans certaines compétitions, ils constituent presque la moitié des ressources totales.
« Quand vous prenez les bilans de la FIFA, qui est un véritable empire financier, et de la CAF, ce qui entre dans la totalité des ressources… la télévision occupe presque la moitié ». Ce rôle central confère aux diffuseurs un pouvoir inédit : contrôler l’accès au spectacle sportif lui-même. Les États, les ligues, les clubs et les fédérations deviennent à leur tour des clients de ces détenteurs de droits.
Un accès devenu coûteux pour les populations africaines
Pour le Pr. Sakho, cette évolution pose une question cruciale autour de l’accessibilité du sport. « Si le Sénégal voulait montrer tous les matchs de la CAN… ça va être compliqué, presque deux milliards. Et est-ce que la RTS peut faire ça ? ». Le coût élevé des droits limite l’accès des populations africaines aux compétitions majeures de leur propre continent. Les diffuseurs privés deviennent des intermédiaires incontournables, parfois opaques, entre les fédérations et les téléspectateurs.
Privatisation du spectacle et définition juridique
Abdoulaye Sakho attire particulièrement l’attention sur la tension entre l’identité publique des équipes nationales et la commercialisation du spectacle sportif. « L’équipe nationale n’est pas une société privée. Elle porte les couleurs nationales ». Or, ce sont souvent des entités privées qui négocient et vendent les droits de diffusion. Quand il s’agit d’un club privé ou d’un artiste, l’opération ne soulève pas de débat : la diffusion se vend au plus offrant. Mais lorsqu’il s’agit de l’équipe nationale, la logique commerciale entre en tension avec l’intérêt collectif, pose le Pr. Sakho.
Pour lui, il est essentiel de repenser certains mécanismes afin que les équipes nationales demeurent un bien accessible à l’ensemble des citoyens, et non uniquement aux détenteurs de chaînes payantes.
Intermédiaires, monopoles et concurrence
L’autre dimension soulevée par l'invité du "Jury du dimanche" concerne le rôle des intermédiaires dans la commercialisation des droits, souvent peu connus du grand public. « Celui qui est enrichi, c’est le propriétaire du spectacle et son intermédiaire. Mais qui est derrière cet intermédiaire ? ». Cette situation peut conduire à des positions dominantes ou à des monopoles contraires aux règles de la concurrence.
Selon le professeur Abdoulaye Sakho, le droit de la concurrence existe, mais il est insuffisamment mobilisé dans le secteur sportif africain pour réguler ces pratiques et garantir une concurrence saine.
Autre constat majeur, le centre du spectacle sportif se situe aujourd’hui en dehors du continent africain.« Si l’on veut du bon spectacle, il faut aller en Europe ». Avec des calendriers souvent ajustés en fonction des championnats européens, la CAN et d’autres compétitions africaines subissent des contraintes qui limitent leur attractivité et leur visibilité. Les diffuseurs dominants se situent pour l’essentiel en Europe et en Amérique du Nord, là où les marchés sont gigantesques et les revenus publicitaires colossaux.
Dans ce contexte, le continent africain joue un rôle de pourvoyeur de talents, sans en capter la valeur centrale.
Sport-spectacle : comment reprendre la main ?
Pour le PR. Sakho, l’enjeu fondamental est de permettre à l’Afrique d’organiser son propre spectacle, de générer ses propres revenus et de réduire sa dépendance vis-à-vis des diffuseurs étrangers. « Il faut qu’on organise du spectacle ici. Parce que le spectacle, c’est ça le sport aujourd’hui ». Cela passe par plusieurs éléments, une meilleure structuration des championnats locaux, des cadres juridiques clairs sur la commercialisation des droits, des modèles de redistribution adaptés aux réalités sociales africaines, et une vision souveraine du sport, où l’équipe nationale demeure un bien public.
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