Une professeure portant un masque pendant la crise du Covid-19 et Hind Ahmas en 2011, en attente de son jugement pour avoir violé la loi sur le voile de 2010.
Les personnes qui ne porteraient pas de masque dans le métro encourent une amende de 135 euros.Cette nouvelle obligation résonne étrangement dans notre pays qui, il n'y a pas si longtemps, énonçait dans ses dispositions règlementaires «La République se vit à visage découvert» pour interdire le port de vêtements couvrant le visage, ce qui visait implicitement le voile musulman intégral. La loi énonce depuis 2010 l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public dans ces termes: «Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.»Pour des raisons de droits humains, il n'était en effet guère possible de cibler spécifiquement une pratique religieuse, ou d'interdire sa libre pratique en raison du principe de laïcité qui autorise l'expression religieuse dans l'espace public. C'est donc l'ordre public et la sécurité qui ont été visées par la loi.Le voile, une atteinte à la sociétéLe débat public, lui, ne s'est pas embarrassé d'une telle prudence. Avant que la loi ne soit débattue, de nombreuses polémiques quant à la visibilité des musulman·es dans l'espace public français s'étaient succédées. Devenu président de la République en 2007, Nicolas Sarkozy avait engagé un débat sur l'identité nationale qui rapidement a pris la tournure d'une véritable remise en question de la légitimité de la visibilité de l'islam sur le sol français. À l'époque, Sarkozy avait déclaré que la «burqa [voile avec masque grillagé pourtant très rarement porté en France, ndlr] n'était pas la bienvenue sur le territoire de la République» prétextant qu'il ne s'agissait «pas d'un problème religieux», mais «d'égalité et de dignité de la femme». Comme si soudainement les droits des femmes étaient devenus une priorité nationale. S'en était suivi un intense débat dont les arguments oscillaient entre instrumentalisation du féminisme et volonté de filtrage de l'identité française.Dès 2008, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, pourtant censée lutter contre l'exclusion, avait déclaré: «La burqa porte une signification de soumission de la femme qui dépasse sa portée religieuse et pourrait être considérée comme portant atteinte aux valeurs républicaines présidant à la démarche d'intégration et d'organisation de ces enseignements.» Ce texte, tout comme les propos de Sarkozy, posait les bases de la perception de ce vêtement religieux comme étant à la fois fondamentalement anti-féministe et totalement étranger à la culture française. Bien que les débats se soient déroulés en l'absence des principales intéressées, nombre de personnes, en majorité masculines (et pour beaucoup peu connues pour leur engagement féministe) se sont positionnées comme hostiles au principe même de libre choix de ces femmes musulmanes.On pouvait ainsi lire en 2009 dans le Figaro une définition quelque originale de l'ordre public «notion plus large que la seule sécurité» incluant «la norme, les bonnes mœurs». Le journal rapportait le déroulement d'une mission d'information parlementaire ayant auditionné plusieurs juristes dont Guy Carcassonne qui avait déclaré: «En France, on cache son sexe et on montre son visage» ou le professeur Bertrand Mathieu qui avait recommandé de fonder la loi sur «le droit des tiers»: «Chacun, dans la sphère publique [ayant] le droit d'identifier la personne avec qui il contracte», selon lui. «Si une musulmane pratiquante voulait accéder au métro parisien, il lui sera demander d'ôter sa burqa et de la remplacer avec un masque.»James McAuley, journalisteLe prétexte invoqué relevait alors de bonnes manières traduisant en réalité la volonté de faire de la monstration du visage un acte consubstantiel à la bienséance française, pour mieux tracer une frontière entre bon·nes et mauvais·es citoyen·nes. La loi prévoira d'ailleurs en plus de l'amende l'obligation «d'accomplir un stage de citoyenneté», une sorte de stage de redressement culturel pour des Françaises non conformes.En vertu de leur ethnocentrée conception de la présentation du corps des femmes, une telle tenue ne pouvait en aucun cas être le fait d'un choix éclairé, elle était nécessairement le fait d'une pression masculine, comme si la faculté des femmes musulmanes à disposer de leurs corps ne pouvait pas être le fruit d'une réflexion murie. L'opposition au port du voile était aussi motivée par des justifications culturelles, comme l'énonçait la circulaire du 2 mars 2011 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public, qui sous tendait une incompatibilité radicale entre cette pratique et la culture française: «Se dissimuler le visage, c'est porter atteinte aux exigences minimales de la vie en société. Cela place en outre les personnes concernées dans une situation d'exclusion et d'infériorité incompatible avec les principes de liberté, d'égalité et de dignité humaine affirmés par la République française.»
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