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Wednesday 03 September, 2025
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Peaux noires, haines locales (Par Amadou Thiourou BARRY)

Auteur: Amadou Thiourou BARRY

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Peaux noires, haines locales (Par Amadou Thiourou BARRY)

Tahirou Sarr. Quatre syllabes qui claquent comme un caillou lancé dans une mare trouble. Il a parlé. Il a dit ce que d’autres n’osent qu’insinuer. Il a pointé du doigt l’étranger, le Guinéen, comme autrefois d’autres pointèrent le Noir, le Peul, le Tutsi. Il a désigné, accusé, condamné. Il n’a pas dit?: «J’ai peur.» Il a dit: «Je hais.» Et dans un pays qui se cherche une morale publique, il a trouvé sa voie?: l’invective comme programme, la haine comme horizon, l’exclusion comme posture. À défaut de penser, il éructe. À défaut d’arguments, il martèle. À défaut de grandeur, il fait du bruit. Il l’a dite, il l’a revendiquée même, cette injure vieille comme l’humanité: «Je suis raciste.» Comme un enfant qui joue avec des allumettes dans une maison de paille. Comme un pyromane qui s’étonne que le feu brûle. Tahirou Sarr ne se trompe pas d’époque, il tente de la façonner à son image. Crispée, étriquée, repliée sur des frontières que l’Histoire a pourtant si souvent piétinées. Il voudrait enfermer le Sénégal dans une peau, une langue, un sol, une mythologie. Il veut un Sénégal sans Guinéens, comme d’autres rêvaient d’un Rwanda sans Tutsi, d’une France sans Noirs, sans Arabes, d’un Israël sans Palestiniens. Mais que dit-il au fond, notre nouveau tribun de la xénophobie éclairée? Que les Guinéens volent les papiers, les logements, les femmes, les emplois, les trottoirs. Qu’ils truandent l’état civil, qu’ils pullulent, qu’ils complotent, qu’ils envahissent. Le vieux refrain. Les mêmes mots que dans les années 30 en Europe. Les mêmes mécanismes. Les mêmes chiffres inventés. Les mêmes peurs recyclées. Que Tahirou Sarr sache qu’il n’invente rien. Il plagie les pages les plus honteuses de notre modernité. Il ne pense pas, il copie-colle. Il n’analyse pas, il répète. Il n’est pas novateur, il est héritier d’un vieux fond de violence idéologique qu’Aimé Césaire appelait déjà «la gangrène coloniale retournée contre soi». Car l’ironie est là, cinglante: celui qui se prétend défenseur du Sénégal libre reproduit à l’identique les logiques de domination coloniale, où l’on fichait les corps, classait les crânes, hiérarchisait les peuples. Le Guinéen devient l’autre, l’indésirable, le parasite. Et le Sénégalais devient le gardien jaloux d’une citadelle imaginaire. Tahirou Sarr se prend pour un héros décolonial, mais il ne fait que singer le colonisateur. Il est son double inversé, son masque local, son écho minable. Il n’a pas de programme. Seulement une colère mal orientée. Il n’a pas de solution, seulement des ennemis. Il ne dit rien des vrais problèmes du Sénégal: la pauvreté structurelle, l’école déclassée, les hôpitaux vidés, la jeunesse trahie, les politiciens corrompus, les promesses piétinées. Non, il préfère le leurre du bouc émissaire. Il jette la pierre sur le plus fragile, sur celui qui n’a ni clan, ni réseau, ni micro, ni tribune. Mais cette technique est vieille. Trop vieille. On l’a vue à l’œuvre partout: du pogrom à l’épuration ethnique, de la chasse aux sorcières aux charniers. On désigne. On ment. On frappe. Et quand tout brûle, on dit: «Ce n’est pas ma faute, c’est l’étranger.». Mais ce n’est pas le Guinéen qui a volé les milliards du contribuable. Ce n’est pas lui qui détourne les marchés publics, qui vend les terres agricoles, qui envoie les forces de l’ordre cogner sur les manifestants. Ce n’est pas lui qui signe des contrats léonins avec les multinationales. Ce n’est pas lui qui verrouille les médias, bâillonne les voix. Ce n’est pas lui. Le coupable est ailleurs. Il a des costumes bien taillés. Il parle un français administratif. Il siège dans les palais. Il s’appelle classe dirigeante. Et puis, faut-il le dire, je suis de ceux dont le sang se joue des frontières. Mon grand-père parlait le pulaar des deux rives, priait pour le Sénégal en se souvenant de la Guinée, et construisit son avenir ici sans jamais ôter de son cœur là-bas. Qui suis-je, alors, pour cautionner qu’on retrace à coups de slogans les lignes que l’Histoire a patiemment gommées ? Alors oui, il faut lui répondre. Non pas pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il tente de réveiller : les bas instincts, les peurs mal digérées, les frustrations détournées. Le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit de pensée. Une rouille de l’âme, une moisissure du langage. On ne choisit pas d’où l’on vient. Mais on choisit ce que l’on fait de cet héritage. Le mien est tissé d’hospitalité, de migrations silencieuses, de cousinages entre peuples que l’administration coloniale tenta en vain de séparer. Ma mémoire est multiple, et c’est cette complexité que j’oppose à la simplification brutale des agitateurs d’aujourd’hui. Il faut lui répondre comme Césaire répondait à ceux qui voulaient hiérarchiser l’humain. Par la colère juste, par l’intelligence. Il faut lui répondre comme Fanon répondait aux masques du colonialisme. En démasquant l’imposture, en reconstruisant la dignité par la pensée. Tahirou Sarr n’est pas le Sénégal. Il est son contresens. Il est l’accident d’un moment. Il est le bruit d’une époque confuse. Mais il ne peut être notre avenir. Il ne peut être notre horizon. Il ne peut être notre boussole. Nous ne laisserons pas les petits hommes inventer de grands malheurs. Nous n’accepterons pas que la haine devienne argument, ni que la peur serve de programme. Nous réaffirmons ici, dans la ligne de nos devanciers, que toute dignité commence par le refus du mépris. Que toute souveraineté commence par le respect de l’autre. Que toute construction nationale est d’abord une hospitalité partagée. Et si Tahirou Sarr veut faire de son délire un projet politique, libre à lui. Mais qu’il sache qu’en face, il trouvera non pas des étrangers, mais des citoyens. Des êtres humains. Des consciences debout. barry.at15@gmail.com, fils de Ziguinchor, là où le Sénégal se dit en plusieurs langues, d’héritage peul et d’horizon multiple.
Auteur: Amadou Thiourou BARRY

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