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[ Opinion ] Commémoration du 26 août 1958 : le général, la jeunesse rebelle et le vieux Sénégal

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[ Opinion ] Commémoration du 26 août 1958 : le général, la jeunesse rebelle et le vieux Sénégal

C’était au temps où le crépuscule de la domination coloniale couvait les enjeux majeurs d’une confrontation gigantesque entre les peuples jadis asservis et leurs oppresseurs, où les héros se mêlaient aux hommes politiques et où les militants se vouaient à un idéal plutôt qu’ils ne se vendaient à un bailleur de fonds publics. Les convulsions de cette époque n’épargnaient aucun des protagonistes, et la puissance coloniale française par la voix de son fils le plus prestigieux, le général De Gaulle, lisait son destin dans « la surenchère américaine » qui battait en brèche la position et l’action de la France en Afrique et « l’impérialisme écrasant des soviétiques qui y poussait à la subversion ». Il discerne même en Europe l’obscur désir de n’avoir comme interlocuteur une France étroitement confinée et gravement affaiblie, sans ses territoires d’Outre-Mer.

La défaite retentissante des français à Dien-Ben-Phu en mai 1954 marque le déclin de l’empire français et après 4 années d’une sale guerre en Algérie, les généraux d’extrême droite menés par Raoul Salan opèrent le 13 mai fameux putsch d’Alger qui installe un comité de salut public et appelle De Gaulle au pouvoir. Dès le 15 mai, celui-ci annonce qu’il est prêt à assumer le gouvernement du pays. Maurice Agulhon, dans le tome 2 de son « Histoire de France » souligne l’ambiguïté de De Gaulle face au coup de force des extrémistes d’Alger : est-il complice du putsch ou le dernier rempart contre le putsch ? Tous les députés africains font bloc contre le coup d’Alger et se joignent aux partis qui soutiennent le gouvernement formé le 13 mai par Pierre Pflimlin pour défendre la république en danger.

Mais et les parachutistes d’Alger prennent le 17 mai le pouvoir en corse et menacent le continent tandis que le Haut-Commissaire Gaston Cusin, revenu d’urgence de Paris à Dakar, maintenait par d’énergiques mesures l’armée de l’Afrique occidentale française hors de la sédition en renvoyant en France l’administrateur de la France d’Outre-Mer qui présidé le Comité de salut public dakarois constitué de trois militaires, trois civils et trois fonctionnaires. Gaston Cusin sera rappelé en France et remplacé Par Pierre Messmer. Ce dernier avait rallié l’Afrique équatoriale française aux généraux d’Alger et le président René Coty l’avait publiquement félicité pour ce fait. Cusin se déclara profondément écoeuré dans un télégramme daté du 1er Juin à son directeur de cabinet Michel Jobert alors à Paris : « J’ignorais qu’on attendait de moi de prendre la tête des comités de salut public dès le 16 mai. »

Le Comité de défense des libertés démocratiques

Dès le 28 mai, la classe politique française s’est résignée : le gouvernement de Pflimlin démissionne. A l’appel de la seule Fédération de l’Education Nationale (Fen), la grève générale est décrétée et une puissante manifestation défile dans les rues de Paris avec Pierre Mendès-France en tête. Ce n’est qu’un baroud d’honneur, le président René Coty avait décidé de faire appel à lui, et le général De Gaulle annonce avoir entamé le processus d’accession à l’investiture qu’il obtient par 329 voix de la droite, des radicaux et la moitié des socialistes, de la tendance Guy Mollet contre 224 voix des communistes, des socialistes tendance Gaston Defferre, du centre gauche de Mitterrand et de la minorité radicale menée par Mendès-France. Le nouveau gouvernement fait voter par le parlement la reconduction des pouvoirs spéciaux en Algérie, les pleins pouvoirs pour six mois et la préparation d’une nouvelle constitution.

La réaction avait été plus fulgurante à Dakar, dès le 22 mai, où des partis politiques : Union progressistes sénégalaises et Parti africain de l’indépendance, les syndicats : l’Union générale des travailleurs d’Afrique Noire (Ugtan), la Confédération africaine des travailleurs croyants (Catc) et la Confédération africaine des syndicats libres Force ouvrière (Casl-Fo), la jeunesse : les conseils de la jeunesse d’Afrique et du Sénégal, l’Union générale des étudiants d’Afrique occidentale (Ugeao), l’Union des femmes du Sénégal, le Mouvement de la paix et le Groupe d’études et de réalisations ont mis sur pied un Comité de défense des libertés démocratiques.

Dans sa première déclaration, le nouveau comité annonce la confrontation à venir avec le général De Gaulle : « Profitant de la crise ministérielle et de la position équivoque de certains hommes d’Etat français, les fascistes préparent activement un gouvernement de dictature. En Afrique, les porte-parole de la réaction appellent ouvertement à soutenir les contre-révolutionnaires d’Alger. Le fascisme, c’est l’étranglement de toutes les libertés démocratiques. C’est l’accentuation de la répression contre les peuples africains qui marchent vers leur indépendance nationale. » Et puis le jour même de la manifestation de la gauche à Paris que d’aucuns auront appelé « manifestation convoi funèbre », le Comité de défense des libertés démocratiques constitue son état-major de combat : Yaya Kane, président ; Adama Ndiaye et Charles Mendy, vice- présidents ; Thierno Ba, secrétaire général ; Majmouth Diop, secrétaire général adjoint ; Aly Bocar Kane, trésorier.

Les priorités du nouveau pouvoir sont algériennes : du 4 au 7 juin, le général De Gaulle visite l’Algérie où il adresse aux algérois son fameux et équivoque : « Je vous ai compris » et il nomme le général Raoul Salan délégué général. Le 15 Juin, la fameuse Fédération des étudiants d’Afrique Noire en France (Feanf) ne décolère ni contre De Gaulle ni contre les parlementaires africains « qui se sont faits, contre le peuple français, les complices de la pire réaction ». Le nouveau président du Conseil revient donc en Algérie du 1er au 5 juillet et le 7 juillet il nomme Jacques Soustelle, extrémiste de droite qui avait rallie Alger le 17 mai, ministre de l’Information.

La grève générale

Ensuite seulement, du 20 au 29 août, De Gaulle se rend en Afrique Noire. Avant le voyage africain du général qui restera fameux dans les annales de la décolonisation, le ministre de la France d’Outre-Mer, Bernard Cornut-Gentille avait fait la part du feu : la Guinée et le Niger seuls suscitent quelques inquiétudes et Djibo Bakary peut être neutralisé. C’est là que le ministre français qui nourrit quelque affection pour Ahmed Sékou Touré aura l’idée de faire passer le 25 août par Conakry l’avion présidentiel pour flatter l’orgueil du bouillant leader africain et l’amadouer. De fait, De Gaulle savoure les vivats de la foule venue à l’accueil et hasarde même une félicitation à Sékou Touré assis à ses côtés : « J’espère que ce sera aussi bien à Dakar. » Le président du gouvernement guinéen formule le même souhait et celui d’être à Dakar le lendemain. Après son discours tout sera oublié et De Gaulle lui refusera une place dans son avion dans une triste et définitive séparation sous la pluie.

A Dakar au Sénégal le tandem Senghor Dia balance entre le « oui » et le « non ». La consigne de vote dépendra du rapport de forces ente l’aile gauche du parti au pouvoir, alliée aux syndicats soutenus par les organisations de masses et la tendance conservatrice du « vieux Sénégal » de la brousse et des marabouts. Quand De Gaulle y arrive le matin du 26 août, il est d’humeur massacrante. Les nouvelles ne sont pas bonnes dès l’aéroport de Yoff. L’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (Ugtan) dont certains leaders ont quitté le parti gouvernemental pour l’opposition, a décrété une grève générale. Il faut modifier le programme officiel qui prévoyait la traversée, debout dans sa voiture découverte, de la Médina par l’Avenue Blaise Diagne sur laquelle les amis de la France à tous crins, les anciens combattants notamment, ont fait chou blanc.

Mais les militants les plus extrémistes, du Parti africain de l’indépendance (Pai) entre autres, étaient là qui criaient leurs slogans indépendantistes. Ce matin du 26 août, le président du Conseil français, resté assis dans son véhicule, n’entendait que ces cris hostiles. Le pire était à venir, l’après midi : des différents points de meeting du parc municipal des sports et la place de Mbott, les porteurs de pancartes déferleraient vers la place Prôtet, actuelle Place de l’indépendance. Le meeting de Mbott avait été interdit par les autorités coloniales alors que les autorités coutumières avaient donné leur accord à Majhmout flanqué de Babacar Mané qui y résidait et qui s’exilera en Tchécoslovaquie après la dissolution du pays où il sera journaliste à Radio Prague. Le grand Jaraaf Mbaye Bekeu Paye s’assit à côté de Majhmout et le meeting ne fut disloqué qu’après l’appel du muezzin pour la prière, comme convenu. Les forces de l’ordre qui avaient ceinturé la manifestation procédèrent à plus d’une soixantaine d’arrestations au terme des émeutes qui suivirent.

Mais la geste que retiendra le plus l’Histoire est celle des « porteurs de pancartes » que le général De Gaulle apostropha ainsi dans sa tirade restée célèbre. La commémoration de l’évènement, initiée en 1998 par l’ancien président du Conseil économique et social Maître Mbaye Jacques Diop a retenu cette année Alioune Badara Paye alors président du Conseil national de la jeunesse (Cnj) en même temps qu’il était le président du Rassemblement des jeunesses démocratiques africaines (Rjda) affilié au Rassemblement démocratique africain (Rda). Elève de l’Ecole de la rue de Thiong puis de l’Ecole primaire supérieur Maurice Delafosse, cet instituteur diplômé de l’Ecole normale William Ponty se lance très tôt dans la lutte pour l’émancipation africaine.

Faut-il se demander d’où lui vient cet engagement politique et social précoce ? Dans sa jeunesse, au plateau de Dakar où niche son quartier traditionnel de Mbott, le fond de l’air est rouge. C’est là que de hardis propagandistes marxistes-léninistes implantent dans les années 30 des groupes d’études sociales lesquels, selon le Docteur Ousmane Ba qui sera le ministre des Affaires étrangères du Mali, « avaient une antenne à l’Ecole Normale William Ponty, alors sise à Sébikotane. » Le surveillant général Bousquet figure parmi ses premiers membres ainsi que plusieurs ressortissants africains parmi lesquels Philippe Zinda Kaboré, un Burkinabé qui, député du Rda dès 1946, osa tenir en 1947 un meeting devant le palais du Morho Naba où il dénonça les abus de la chefferie, quoiqu’il fût lui-même le fils du chef de canton de Koudougou. Il mourût empoisonné peu de temps après. Il n’avait que 28 ans.

« Je crois que c’est foutu »

Plus tard, se forment les comités d’études franco-africaines (Cefa) et les groupes d’études communistes (Gec) sous l’impulsion de nationalistes révolutionnaires comme Joseph Corréa, Abdoulaye Sadji, Joseph Gomis, Sellé Guèye, Fodé Sakho, Mody Diagne, Moustapha Sow Baïdy, sans compter les ressortissants d’autres territoires comme l’écrivain ivoirien Bernard Dadié et le docteur Roland Félix Moumié, président de l’Union des populations camerounaises (Upc) qui sera empoisonné en France. La jeunesse dakaroise n’échappe pas à l’appel patriotique lancée par la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique dont le siège se trouvait à Prague et dont le journaliste Lô Cheikh Bara était l’un des dirigeants.

Fondé à la fin des années 40, le Rassemblement des jeunesses démocratiques d’Afrique (Rjda) subit les premiers coups de la réaction colonialiste le 14 avril 1950 lors de la manifestation de solidarité avec la jeunesse espagnole aux prises avec la dictature sanglante du général Franco. Ses principaux dirigeants Abdoulaye Guèye Cabri, Thierno Ba et Dado Septim furent arrêtés. La répression ne connut point de répit jusqu’aux derniers jours du colonialisme quand le 3 août 1958, après des perquisitions à domicile, Alioune Badara Paye, Bouré Thiaw, Babacar Mbengue, Mbagne Fally Diouf et Samb Tamimou Dème ont été inculpés pour avoir participé aux activités d’une organisation étrangère interdite en Afrique Occidentale française.

Après le repli tactique imposé à la direction du Rda, Alioune Badara sera plus proche du duo d’instituteurs prestigieux Abdoulaye Guèye Cabri et Thierno Ba qui maintiendront la ligne combat anticoloniale. Ainsi dès 1953, il participe à la création du Conseil national de la jeunesse qui regroupe 40 associations. L’implantation est fulgurante puisque ce sont 6O associations qui adhèrent au congrès de l’année suivante. Et en 1958, le Conseil national de la Jeunesse (Cnj) représentait la quasi-totalité de la jeunesse sénégalaise. La nouvelle organisation de la jeunesse sénégalaise fut l’artisan de l’unité de la jeunesse africaine en suscitant la création du Conseil fédéral de la jeunesse d’Afrique occidentale (Cfjao) devenu Conseil de la jeunesse africaine (Cja) dont Alioune Badara Paye est le secrétaire chargé des relations extérieures.

En décembre 1957, quand la Fédération des étudiants africains en France (Feanf) adopte les principes d’indépendance immédiate et d’unité africaine à conquérir par la lutte révolutionnaire, le Conseil de la jeunesse africaine (Cja) cosigne cette résolution avec l’Union générale des étudiants d’Afrique occidentale (Ugeao) et l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (Ugtan). L’ancien secrétaire général de la section dakaroise du Conseil national de la jeunesse Assane Masson Diop note que le congrès de son organisation la même année à Saint-Louis leur a permis d’opter pour l’indépendance immédiate. La sensibilisation et la mobilisation de la jeunesse dans le Front commun de lutte conformément à la résolution de Rufisque, notamment sur la nécessité de mettre en place des comités de défense des libertés démocratiques, ont incontestablement assuré le succès de la manifestation du 26 août 1958. Au soir de ce jour mémorable, le prestigieux chef de la France libre, devant le ministre de la France d’Outre- Mer Bernard Cornut-Gentil et le Haut-commissaire Pierre Mesmer, résuma sa pensée en mauvais français : « Je crois que c’est foutu… »



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