Avocate américaine, spécialiste du commerce internationale et de l’investissement, Mme Patterson a profité d’un passage à Dakar sous l’égide de l’ambassade américaine à Dakar, pour accorder un entretien au journal Le Quotidien sur les échanges entre l’Afrique en général, et le Sénégal en particulier, et les Etats-Unis. Cet entretien, qui a eu lieu avant la suspension des négociations commerciales à Genève, évoque pourtant la perspective de l’échec des négociations du cycle de Doha.
Beaucoup d’argent a été consacré au programme Agoa qui est censé favoriser l’ouverture du marché américain aux produits africains. Mais beaucoup de pays, comme le Sénégal, n’en profitent pas.
L’Agoa est vraiment fait pour faciliter le commerce des pays africains vers les Etats-Unis. Mais l’Agoa ne va pas vous offrir le marché, ni ne vous fera prendre de l’avance. Elle n’a fait que réduire les tarifs douaniers sur les produits africains. On a un programme aux Etats-Unis, qui s’appelle Gsp, destiné à éliminer tous les tarifs douaniers pour les pays en voie de développement. L’Agoa y ajoute d’autres produits des pays d’Afrique et on ouvre aussi, ce qui est très important, le secteur des industries textiles, qui sont beaucoup plus bas pour les pays africains que pour d’autres pays. Cela vous donne un avantage dans notre marché. Mais encore il faut tout de même admettre que l’Agoa n’enlève pas beaucoup de barrières. Par exemple, il faut toujours se conformer à nos standards sanitaires. C’est plutôt les tarifs douaniers qui sont baissés. Mais il faut toujours faire du travail de votre côté.
A chaque étape, le programme Agoa est plus contraignant pour les pays pauvres
Ah non ! L’Agoa devient plus étendu. On y ajoute des produits nouveaux et cela va durer jusqu’en 2015. Ce qui réduit un peu l’avantage de l’Agoa, ce sont les discussions dans le cadre de l’Omc. A ce niveau, on baisse les barrières pour tout le monde, alors les avantages que vous avez diminuent parce que les barrières tombent aussi pour les autres. Mais il y a toujours des avantages pour les produits d’Afrique, surtout en compétition avec ceux de la Chine par exemple.
L’autre problème des pays africains, ce sont les normes sanitaires. On a l’impression que ces normes sont venues remplacer les barrières douanières. En fait, les gens baissent les tarifs, mais ils augmentent les règles sanitaires. En quelque sorte, on ouvre une fenêtre et on ferme la grande porte.
Cela, on le dit souvent, et en fait, il y a des cas, non seulement aux Etats-Unis mais dans d’autres pays également. Aux Etats-Unis même, on dit cela envers l’Europe, qu’eux augmentent les barrières sanitaires, non pas pour les raisons de santé mais pour arrêter nos produits. C’est pour ça qu’on a eu cet accord à l’Omc qui impose des règles très compliquées, qui disent, si vous limitez un produit pour des raisons de santé, il faut donner des preuves scientifiques qu’il y a risque envers la santé. Je ne crois pas que les Etats-Unis ont imposé des barrières pour le plaisir. Les barrières sanitaires sont là pour protéger la santé des Américains, de nos arbres et de nos produits. Je crois que peut-être cela limite le commerce mais ce n’est pas fait pour cela. Si on insiste sur tel ou tel standard pour protéger la santé des Américains, cela devrait marcher aussi pour les gens en Afrique.
Beaucoup d’Africains ont entendu parler de l’Omc dans le cadre de la bataille sur le coton. Et pour beaucoup de gens, ce cas a été présenté comme la manière que les pays industrialisés détournent les règles du commerce international en leur faveur, au détriment du développement des pays Africains.
J’attendais cette question. Le fait est que, au début l’Omc s’appelait le Gatt. Avant, on avait le droit de subventionner l’agriculture, mais maintenant ces règles changent au cours des années. Le Brésil et d’autres pays ont pris ce cas de la subvention américaine du coton et ont attaqué les Etats-Unis à l’Omc. Nous avons perdu et maintenant, on commence à changer notre loi pour être en conformité avec l’Omc. Mais je suis tout à fait d’accord, les subventions sur le coton créent un désavantage aux pays africains. On essaie maintenant à l’Omc, d’augmenter les règles qui limiteront encore plus la subvention de l’agriculture mais c’est une bataille qui continue. Je dois préciser que je ne travaille pas pour le gouvernement américain. Je suis indépendante et je considère pour ma part que les Etats-Unis ne devraient pas subventionner leur coton.
Les conflits dans le cadre de l’Omc avec les Américains servent de prétexte aussi aux Européens pour ne pas changer leurs lois sur l’agriculture. Souvent, on a l’impression que les Européens et les Américains se renvoient un peu la balle pour maintenir le statu quo au détriment des autres.
Je ne crois pas que c’est fait exprès. Aux Etats-Unis, il y a des fermiers, il y a des gens dans les industries agricoles qui demandent au gouvernement de maintenir la protection. La même chose en Europe. En politique nationale, c’est très difficile de changer les choses. Mais les Américains disent aux Européens : «Nous sommes d’accord pour lever nos subventions si vous levez vos barrières tarifaires. Parce que nos fermiers ne peuvent pas compétir si nous enlevons nos subventions. Et vous ne faites rien, nous on perd.» C’est une négociation, et je suis d’accord que ça ne bouge pas, mais je ne crois pas qu’on fait exprès. Les Etats-Unis aimeraient bien que ça bouge.
Cela, c’est vous qui le dites
Et j’y crois. Comme je dis, je suis très prête à critiquer le gouvernement américain mais dans ce cas là, nos fermiers sont très, très efficaces. On a des terres formidables, on a toutes les machines modernes. Nous pouvons gagner des marchés dans le monde sans subvention, si les autres ne subventionnent pas, ne protègent pas. Ce n’est pas dans notre intérêt de continuer ce système. Ça nous coûte beaucoup et aux pays européens aussi.
Mais si vos produits étaient compétitifs peut-être que vous n’auriez pas besoin de subvention.
Si, parce que les autres protègent et subventionnent. C’est une bataille qui s’est déroulée durant des années. Les Etats-Unis subventionnent un peu, l’Europe subventionne. Alors, comme on dit aux Etats-Unis, on ne va pas se suicider si les autres ne se désarment pas. On doit tous, Européens et Américains, dire, «fini les subventions et les barrières !».
Quand on dit, dans le cadre de l’Omc, que le cycle de Doha est le cycle du développement, grâce à la libération du commerce. Avec votre expérience, par vos travaux, pensez-vous que ce cycle est en train de mener au développement ?
Si c’est un succès, oui. Mais j’ai peur que cela ne finisse en faillite, parce que les Etats-Unis et l’Europe ne peuvent tomber d’accord. Il y a de fortes chances que cela aboutisse en une faillite, mais ce sera horrible pour les pays en voie de développement. Parce que vous avez grand intérêt en un accord qui impose que les Etats-Unis, l’Europe et les pays émergents éliminent ou baissent leurs protections sur l’agriculture.
Et si le cycle Doha aboutit a un échec, pensez-vous que l’Omc aura encore une utilité ?
Je crois l’Omc va continuer. On va faire une pause et puis on recommencera un autre round de négociations, pour essayer de faire ce qu’on n’a pas pu faire dans celui de Doha. Mais j’espère quand même que ce dernier réussisse. Un autre problème est que je crois personnellement que les accords multilatéraux sont mieux que les accords bilatéraux. Et si l’Omc est une faillite, j’ai peur que les Etats-Unis, l’Europe, tout le monde va commencer à passer des accords bilatéraux. Cela est un risque, parce que si on regarde les statistiques, le pourcentage du commerce international qui se fait sous les accords bilatéraux au lieu des règles de l’Omc est très grand, et ne fait qu’augmenter. Et cela désavantage de nombreux pays en développement.
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