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Wednesday 03 September, 2025
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Mobile money en Afrique de l’Ouest : inclusion financière ou rente des télécoms ?

Auteur: Aïcha FALL

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Au Sénégal comme dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, la mobile money s’est progressivement imposée comme un instrument incontournable dans la structuration des échanges monétaires. Elle représente aujourd’hui bien plus qu’un simple moyen de paiement?: un outil de modernisation économique, un vecteur d’accès aux services financiers et, pour des millions de citoyens non bancarisés, une porte d’entrée dans l’économie formelle. Toutefois, si ses bénéfices sont largement reconnus, sa gouvernance suscite des réserves croissantes, notamment en raison de la domination écrasante des opérateurs de télécommunications sur ce marché en plein essor.
 
À l’échelle de la zone UEMOA, les services de mobile money enregistrent chaque mois plus de 250 millions de transactions, pour un volume annuel de plus de 10?000 milliards de FCFA, selon les chiffres 2023 de la BCEAO. Le Sénégal occupe une place de choix dans cette dynamique. Le pays comptait, en 2024, plus de 20 millions de comptes enregistrés, une performance remarquable au regard de sa population. Ce succès résulte d’une combinaison de facteurs : la forte pénétration du téléphone mobile, l’urbanisation rapide, la jeunesse de la population et la faiblesse persistante du réseau bancaire traditionnel dans les zones rurales.
Cette dynamique s’est toutefois construite au profit quasi exclusif de trois grands acteurs : Orange Money, Free Money et E-Money (géré par Expresso). Ces opérateurs, qui détiennent les principales infrastructures mobiles du pays, contrôlent également l’architecture technique et commerciale de la monnaie électronique. Cette concentration soulève des préoccupations croissantes. D’abord sur le plan économique, car elle confère à ces entités un pouvoir tarifaire considérable, avec des frais de retrait, de transfert et de paiement souvent jugés élevés. Ensuite sur le plan structurel, car ces services, bien que massivement utilisés, ne communiquent pas entre eux. L’absence d’interopérabilité maintient les usagers dans des circuits fermés, renforce leur dépendance à un seul prestataire et limite l’efficience du système dans son ensemble.
Les ambitions initiales de la mobile money reposaient pourtant sur une logique d’inclusion financière. Elle devait faciliter la circulation monétaire, sécuriser les échanges informels, réduire le recours au cash, et offrir aux populations éloignées du système bancaire un accès à des services de base. Ces promesses n’ont pas été trahies : dans de nombreuses zones rurales, le téléphone est devenu le seul moyen d’effectuer un paiement, de recevoir un transfert, de régler une facture d’électricité ou d’eau. Des mécanismes de microcrédit, d’épargne mobile et même de couverture sociale ont émergé à travers ces outils numériques. L’impact social est indéniable.
Mais les déséquilibres structurels du secteur persistent. Le cadre réglementaire reste encore trop permissif à l’égard des opérateurs. Si la BCEAO a multiplié les appels à la modération tarifaire et à l’ouverture des plateformes, les pratiques sur le terrain évoluent lentement. L’absence d’une régulation robuste, conjuguée à l’inertie concurrentielle du secteur, conforte des situations de rente qui desservent l’intérêt général.
Parallèlement, de nouveaux entrants commencent à s’affirmer. Certaines fintechs, à l’image de Djamo, Kudigo ou BazileTechnologies, proposent des services plus transparents, plus accessibles et souvent moins coûteux. Leur essor, encore limité, pourrait ouvrir la voie à une redistribution des équilibres dans les années à venir. De même, l’interconnexion des systèmes de mobile money, expérimentée avec succès en Afrique de l’Est, inspire plusieurs chantiers pilotes dans la zone UEMOA.
Le développement de la mobile money au Sénégal illustre à la fois la capacité d’innovation des économies africaines et la nécessité de préserver les fondements de l’équité dans un secteur stratégique. Pour que cet outil poursuive sa trajectoire ascendante au service des populations, il lui faudra s’adosser à une gouvernance plus inclusive, à une régulation exigeante, et à une vision qui dépasse les seuls intérêts commerciaux
Auteur: Aïcha FALL

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