Au fil des années, le populisme s’est imposé comme un phénomène politique mondial, ébranlant les fondements des démocraties libérales traditionnelles. Du moins selon le docteur Babacar Diop, enseignant-chercheur au département de philosophie. Il a animé un débat sur " Démocratie et populisme" au Centre d’études des sciences techniques et de l’information, où il a été reçu par Le Carrefour d'actualité. Ce concept organise des débats de manière périodique et sur divers thèmes.
Parlant du thème, le Dr Diop a commencé par la définition des termes en citant par exemple "l’Argentine, avec le cri de révolte « Que se vayan todos » (« Qu’ils s’en aillent tous »), qu'il qualifie comme l’un des exemples les plus emblématiques, illustrant un rejet radical de la classe politique, des institutions économiques et du modèle de gouvernance dominant. Ce slogan, dit-il, est devenu "le symbole d’un rejet global des élites a fait écho bien au-delà de l’Amérique latine. Il a trouvé une résonance dans les mouvements des Indignés en Espagne, les Gilets jaunes en France, ou encore les formes de dégagisme observées sur le continent africain. Le Sénégal, à son tour, n’a pas échappé à cette dynamique".
Un rejet globalisé des élites : quand le « système » devient l’ennemi commun
Au Sénégal, l’aspiration au changement radical s’est cristallisée autour du rejet du « système ». Ce terme, « popularisé par certains acteurs politiques, notamment Ousmane Sonko et le parti PASTEF, désigne la classe politique dominante accusée de reproduire des pratiques de gouvernance clientélistes, néolibérales et corrompues, quelles que soient les alternances électorales, le système ». Cette rhétorique, note-t-il, "incarne l’élite économique, politique et technocratique jugée responsable des injustices sociales, de la précarité des jeunes, du délabrement des services publics et de l’endettement du pays. C’est un discours qui oppose le « peuple pur » à « l’élite corrompue », créant une fracture nette et radicale au cœur même de la légitimité démocratique".
Populisme et démocratie : un rapport ambivalent
S'agissant du populisme, il se veut, dans un premier temps, « une force de démocratisation. Il remet en cause l’ordre établi, donne la parole à ceux qui se sentent exclus, invisibilisés ou trahis par les élites. Il ravive la souveraineté populaire, réactive la mobilisation citoyenne, et relance le débat sur le fondement même du contrat démocratique ». Le Dr Diop précise que « le populisme, au pouvoir, peut glisser vers un hyper-majoritarisme, où le parti dominant s’autoproclame seul dépositaire de la volonté du peuple, écrasant l’opposition, marginalisant les contre-pouvoirs, et remettant en cause les principes de l’État de droit. Il peut aussi s’appuyer sur un leader plébiscitaire, souvent charismatique, dont la parole se substitue aux institutions, et dont la chute éventuelle peut ouvrir la voie à l’autoritarisme ».
Le cas du Sénégal, offre un laboratoire politique intéressant : « un pays où la démocratie électorale a coexisté avec une forte demande de justice sociale, de transparence et d’équité. Mais également un pays où l’instrumentalisation des lois, les exclusions électorales de certains leaders et la faiblesse des institutions judiciaires et médiatiques interrogent la solidité des garde-fous démocratiques ».
Du dégagisme au populisme sénégalais : mutation ou mirage ?
Le « dégagisme » sénégalais, notamment visible chez les jeunes, sur les réseaux sociaux et dans les mouvements citoyens, témoigne d’un profond désir de rupture. Mais cette rupture est-elle structurée ? Peut-elle déboucher sur un véritable projet politique démocratique, ou risque-t-elle de favoriser des aventures autoritaires sous couvert de volonté populaire ? Autant de questions auxquelles il apporte des réponses. « Ce populisme sénégalais naissant repose souvent sur trois piliers, une critique virulente des élites et de la « partidocratie » sénégalaise, une revendication de justice sociale, d’éthique et de souveraineté, l’incarnation par des figures perçues comme antisystèmes, capables de fédérer des demandes sociales hétérogènes », dit-il.
Et d’ajouter, « Ce triptyque fait du populisme un acteur incontournable de la recomposition politique en cours. Mais il nécessite une vigilance critique, sans institutions solides, sans contre-pouvoir effectif, sans médias libres et sans justice indépendante, même le populisme peut conduire à une dé-démocratisation progressive ».Avant de poursuivre « Le populisme, au Sénégal comme ailleurs, est un symptôme d’une crise de la représentation. Il incarne un appel à la refondation démocratique, mais il peut aussi devenir un instrument de confiscation du pouvoir ».
Pour le Dr Diop, « le défi, pour le Sénégal, est d’inventer une démocratie participative et inclusive, où la critique du système ne débouche pas sur l’anarchie ou l’autoritarisme, mais sur une nouvelle culture politique faite de responsabilité, de transparence et de justice ».
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