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Cheikh DIALLO- Designer Malien : «Le design n'est pas un objet élitiste»

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Cheikh DIALLO- Designer Malien : «Le design n'est pas un objet élitiste»

Pour qu'il y ait design, il faut une conjonction de plusieurs secteurs d'activités. Allant du design à la communication, en passant par l'industrie, l'artisanat, le marketing. Tout cet investissement vise un seul but : satisfaire le consommateur, selon le «designer sénégalo-malien» Cheikh Diallo. Vivant en France et travaillant entre l'Europe et l'Afrique, cet architecte de formation est spécialisé en design. L'artiste, qui préside l'Association des designers africains, est d'avis qu'il faut aujourd'hui démocratiser la démarche du design qui souffre d'un regard élitiste. Présent à Dakar (du 18 au 31 janvier 2006) dans le cadre d'un workshop international, Cheikh Diallo revient dans l'entretien qu'il nous a accordé sur la vocation du design, ses aspects économiques, mais commence par définir les bases de cet art.

Cheikh Diallo: Le design est une conjonction de beaucoup de choses. C'est à l'image du créateur qui propose des idées, de l'industriel qui fabrique, du commercial qui vend. Mais tout cela doit répondre au goût du consommateur. Le design est une démarche utile pour améliorer le cadre de vie, la commodité. C'est par exemple la fabrication de chaussures, d'une bouteille d'eau. Il y a l'intervention d'un designer dans la fabrication d'un avion, d'une voiture, dans le graphisme, la mode, etc. Il y a beaucoup d'activités qui relèvent de la compétence d'un designer. Créé dans les années 45, le design, c'est de l'esthétique industrielle. Il s'est un peu adapté à des structures beaucoup moins importantes telles que les entreprises artisanales pour la conception et la réalisation de certains objets qui ne nécessitent pas d'être industrialisés.

Walfadjri : Peut-on en déduire que cet art est loin d'être exclusif ?

Cheikh Diallo : Un designer est un prestataire de service. Il propose des idées, des dessins, des concepts. Il travaille et conseille aussi des clients. Les prescripteurs du designer peuvent être des patrons de firmes, des gens qui veulent gagner des parts de marché. L'intérêt dans le design, c'est la recherche perpétuelle de l'innovation. Nous ne pouvons pas toujours faire la même chose. La société évolue et le designer doit anticiper cette évolution. L'observation peut aider à sentir, décoder les codes de la société. Ce sont là des pistes que doit explorer le designer pour proposer de nouvelles façons de se comporter dans la société. Aussi dans le design, avec très peu de moyens, on peut faire beaucoup de choses. C'est pour favoriser ce déclic, qu'il faut démocratiser la démarche de design. Cet art souffre de cette image d'un objet élitiste réservé à une certaine classe sociale. Alors que le design, on en consomme pratiquement tous les jours. Le stylo, le magnétoscope, etc., toutes ces créations relèvent du designer.

Walfadjri : Le designer s'active-t-il toujours sur le visuel ?

Cheikh Diallo : Les objets dans le design sont avant tout fonctionnels. Il faut que cela serve, que cela réponde à des critères aussi bien d'usage, d'hygiène, d'indication, de commodité, etc. Un designer doit prendre de l'avance sur son temps. Pour proposer de nouveaux produits, il faut savoir anticiper. Les méthodes d'investigation du designer sont multiples. Elles sont basées sur l'observation, l'analyse et la conceptualisation des projets. Il travaille sur des projets dans une agence, qu'il y soit intégré ou pas. Par exemple, chez le fabricant de voitures, Renault, où travaillent plus de trois cents designers, certains travaillent pour le son, d'autres pour les couleurs, les formes. Le designer travaille essentiellement sur le visuel. Mais il y a aussi des designers de son. Par exemple, lorsqu'un appel d'offres est lancé sur une voiture haut de gamme, qui a besoin pour ses portières d'un son adapté à la puissance de la voiture, le designer acoustique intervient et en compose un. Les designers peuvent travailler uniquement sur des couleurs, des identités visuelles, des logos et autres signalétiques, bref sur tout ce qui peut améliorer le cadre de vie.

Walfadjri : La pratique du design nécessite-t-elle une formation spécifique ?

Cheikh Diallo : Il faut faire une formation pour mieux s'exprimer dans le design. Il y a des écoles spécialisées en Europe et très peu en Afrique. Le designer industriel et celui environnemental ont besoin d'une formation spéciale. En plus de ces designers, il y a également le designer du mobilier, le designer de couleur, le designer styliste.... La particularité du designer industriel est qu'il peut aller d'une machine agricole à la bouteille de boisson. Le designer graphique travaille pour sa part sur tout ce qui est graphisme, emballage, etc.

Walfadjri : Est-ce à dire que les autres designers n'auraient pas besoin de formation ?

Cheikh Diallo : Du tout. Le problème aujourd'hui est que, dans ce métier, tout un chacun peut s'auto-proclamer designer à partir du moment où il crée deux ou trois chaises. Cela ne doit pas se passer ainsi. C'est comme si on disait que tout homme est architecte en soi à partir du moment où il sait faire des dessins de bâtiment. Comme le métier d'architecte est très réglementé, parce qu'il y a un ordre des architectes qui régit le milieu. C'est plus facile de s'auto-proclamer designer qu'architecte. Dans le design, les frontières avec les autres disciplines sont perméables.

Walfadjri : Le design ne gagnerait-il pas à être réglementé à l'image de l'architecture ?

Cheikh Diallo : Il y a des syndicats certes, mais pour devenir designer, on doit passer par plusieurs types de formations. Ce n'est pas un cursus qui est linéaire. Pour devenir un architecte, il faut en grande partie sortir d'une école d'architecture. Il y a des designers autodidactes qui, par expérience, deviennent des designers confirmés. Figurez-vous que l'architecte a des prédispositions à faire du design, car ce sont pratiquement les architectes qui ont mis en place le design avec les ingénieurs.

Walfadjri : Dakar vient d'abriter un workshop international réunissant treize designers africains de six pays différents. Quel sens donnez-vous à une telle rencontre ?

Cheikh Diallo : Le workshop a été un lieu privilégié d'échanges et de rencontres. En Afrique, il y a très peu de structures, d'écoles qui forment des designers. L'atelier a permis de regrouper des designers africains aussi bien de la diaspora que ceux installés sur le continent. Les ateliers de workshop permettent d'expérimenter des recherches que nous faisons très difficilement quand nous travaillons en solitaire. L'intérêt premier était de rendre compte de la production et d'échanger autour de la créativité. Cet atelier m'a permis de venir en Afrique pour tenter des expériences avec des artisans, échanger avec des collègues designers. Mais surtout, j'ai choisi de travailler avec des étudiants de l'Ecole nationale des arts (Ena) de Dakar pour susciter un engouement et favoriser le déclic du design.

Walfadjri : Est-ce votre façon de contribuer à assurer la relève ?

Cheikh Diallo : En fait, la jeune génération connaît très peu le design. Je suis venu avec une assistante qui est en quatrième année à l'école de design de Marseille en France. Elle a tenu à participer à l'atelier parce qu'elle trouve qu'il y a un intérêt grandissant sur la créativité africaine. Elle a échangé avec les étudiants de l'Ena. C'est important qu'il y ait une vision nationale. Mais une vision extérieure ne peut qu'améliorer les échanges. C'est une manière privilégiée pour moi de montrer, en un temps record (durant notamment deux semaines d'échanges), ce à quoi ressemble une démarche de création au niveau du design.

Walfadjri : La pratique du design s'illustre-t-elle plus à travers un travail d'équipe ?

Cheikh Diallo : Le designer, de manière générale, ne peut pas travailler tout seul. Cela s'est vérifié lors de cet atelier. Et la rencontre avec ceux qui produisent, notamment les artisans et autres entrepreneurs, a permis de faire ressortir cet esprit de travail d'équipe. Pour qu'il y ait vraiment design, il faut une conjonction de plusieurs secteurs d'activités (...) A mon avis, le design développé tout seul donne une simple expression artistique.

Walfadjri : Pourquoi cette distinction entre designers africains et designers européens ?

Cheikh Diallo : Je ne dis jamais «designer africain», parce que c'est un mot difficile. Mais je dis toujours designer en Afrique. Normalement, lorsqu'on est designer, on est censé travailler dans le monde entier. Le terme «designer africain», c'est peut être d'inspiration africaine. Ce sont les mêmes problématiques que nous retrouvons chez beaucoup de créateurs, qui se disent artistes africains. Ce n'est pas seulement un problème identitaire, c'est plutôt un problème géographique (...). On ne doit pas revendiquer son africanité. On naît Africain ou pas. Je n'ai pas à justifier que je suis Africain. Je suis un citoyen d'origine africaine. Il est vrai qu'il y a une certaine culture, que nous pouvons positiver, partager avec le reste du monde. Etre «designer africain», c'est simplement d'inspiration africaine. Mais il ne porte pas en lui-même tout seul ce fardeau de la culture africaine (...).

Walfadjri : L'Association des designers africains, dont vous êtes le président, a-t-elle pour mission de véhiculer la création d'objets de conception africaine ?

Cheikh Diallo : L'association a pour vocation de faire connaître déjà le designer en Afrique, le rôle qu'il peut jouer, entre autres. C'est une structure qui doit permettre aux designers de se regrouper et de travailler ensemble pour arriver à insérer le design dans un secteur générateur de richesses. A travers différentes manifestations et avec les moyens dont nous disposons, nous allons essayer d'influer sur les décisions concernant le design, aussi bien auprès des pouvoirs locaux que des institutions internationales. Ces institutions devraient aider à promouvoir le design africain. Le design, c'est une vitrine. Il faut que nous arrivions à créer un grand salon professionnel du design, de la formation avec des écoles de design associées à des écoles d'architecture. C'est suivant cette approche que nous pouvons améliorer l'avenir du design pour qu'il s'insère mieux dans les secteurs d'activités propres au pays. Il faudrait aussi préparer un terrain à l'éclosion des jeunes talents.

 



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