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Afghanistan: quatre décennies de guerres depuis l'invasion soviétique

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Invasion Sovietique
Cela fait 40 ans, ce vendredi 27 décembre 2019, que l’invasion soviétique d’Afghanistan a commencé. Quatre décennies plus tard, c'est toujours la même question : pourquoi ?

Le jeune homme sur la photo ternie et craquelée sur la cheminée de ce petit appartement de la banlieue nord de Paris porte un regard perçant, mais froid et triste. Plus qu’un portrait de famille, l'image ressemble étrangement à une photo d’art frappée d’âge.

Blessé au visage par l’indélicatesse de sa marche, l'homme sur le cliché de trois quarts au visage diamant porte fièrement sur ses épaules en diagonale des ceintures cartouchières. Et dans les mains, un vieux fusil tourné vers l’objectif, celui de l’appareil photo.

« Qui est-ce ? », demandons-nous à Sima, la maîtresse de maison. « Un Afghan parmi les centaines de milliers qui ont perdu la vie en raison de l’invasion soviétique d’Afghanistan », dit-elle avec ressentiment et dépit. Le connaissait-elle ? « Non », répond notre interlocutrice. Et après quelques secondes de silence, elle se tourne vers la photo, la regarde avec insistance et ajoute : « C’était mon père. »

Notre étonnement muet l’encourage à parler. « Il est mort quelque part dans les montagnes du nord de l’Afghanistan durant l’hiver 1979-80, avant que je naisse. Cette photo a été prise quelques semaines avant, au début de son engagement dans la résistance. Il s’appelait Karim, il avait 22 ans. De lui, c’est à peu près tout ce que je sais. »

Si Sima n’en sait pas plus, c’est que le clan familial a été décimé par les guerres successives qui, depuis cette nuit d’invasion du 27 décembre 1979, se sont emparées de l'Afghanistan. Ceux qui en savaient quelque peu ont péri au fur et à mesure de leurs périples, de village en village, pour s'éteindre avant qu’elle n’atteigne, à leurs yeux, l’âge de pouvoir entendre « ces horreurs ».

Mais ces « horreurs » dont la famille voulait l’épargner accompagnent toujours Sima aujourd'hui. La perte de la mère, de l’oncle, des enfants sous les bombardements ; la faim, l’exil, la solitude… Et elle en sait beaucoup sur « l’histoire de son peuple », sans en savoir assez sur celle de son père.

Lorsque le jeudi27 décembre 1979, près de 400 avions de transport militaire déversent sur la capitale afghane, en seulement cinq heures, 20 000 soldats équipés de leurs matériels de combat, Karim « ne s’y connait pas encore en arme et joue, apparemment assez bien, du rubâb », un instrument de musique de la famille du luth.

Au même moment, deux longs convois militaires partis du Turkménistan et du Tadjikistan, alors deux des Républiques socialistes soviétiques, s’avancent avec 45 000 hommes vers Hérat dans l’ouest et Mazâr-e Charîf dans le nord du pays.

Cette intervention de l’Armée rouge se préparait déjà depuis plusieurs mois. Les services de renseignement américains avaient relevé des mouvements de troupes et de déplacement d’équipements sur les bases militaires près de Douchanbe et de Merv, dans le sud de l’URSS.

Trois jours avant l’invasion, plusieurs milliers de parachutistes et de membres des forces spéciales soviétiques étaient déjà dépêchés en Afghanistan et placés sur les principaux aéroports et autour des installations vitales pour sécuriser l’arrivée massive des troupes.

La première mission confiée aux forces d’intervention est accomplie le soir même du 27 décembre. Les spetsnazs, forces spéciales du KGB soutenues par les parachutistes de l’armée, s’emparent du palais présidentiel, Dar-ol-Aman, et tuent le président communiste d’Afghanistan, Hafizullah Amin.

Un peu plus de trois mois avant son assassinat, Amin avait renversé et fait tuer par étouffement son prédécesseur, Nour Mahammad Taraki, le premier président de la République démocratique d’Afghanistan, protégé des Soviétiques. Ce coup d'État, mis en œuvre au sein du parti communiste afghan sans l’aval de Moscou, avait fortement contrarié les dirigeants soviétiques.

Hafizullah Amin, figure radicale du Parti démocratique populaire d’Afghanistan (PDPA), considérait que les réformes entreprises par Taraki n’allaient pas suffisamment à vive allure.

Il ignorait que le « grand frère » soviétique, témoin de la résistance de la population afghane aux réformes sociales et économiques déjà mises en œuvre, craignait une mobilisation plus vaste et plus déterminante des combattants islamiques et ne souhaitait pas brusquer les choses.

Ce qui importait pour l’Union soviétique dans l’immédiat, ce n’était pas d’accélérer la transformation du pays, mais de ne pas perdre face aux islamistes qui bénéficiaient déjà du soutien des États-Unis, du Pakistan et de la Chine.

De plus, le conflit interne qui déchirait le parti communiste afghan entre les deux courants, Khalq (le peuple), représenté majoritairement par les Pachtounes, et Parcham (le drapeau), incarné plus par les Tadjiks, inquiétait beaucoup le parti frère à Moscou.

C’est donc en partie pour mettre fin au désordre, et surtout, comme disait Léonid Brejnev, président du présidium du Soviet suprême de l’URSS, pour ne pas perdre l’Afghanistan, que Moscou décide d’y envoyer ses troupes. Les dirigeants soviétiques estiment que l’échec de l’expérience communiste en Afghanistan pourrait avoir des conséquences considérables sur les républiques musulmanes du sud de l’Union, considérées comme des maillons faibles.

La guerre froide est au comble de ses démonstrations de force, et la fièvre islamique de la révolution iranienne de 1979 semble prendre en otage les esprits les plus alertes, même en Occident.

Le soir même du 27 décembre, et à peine deux heures après la liquidation de Hafizullah Amin, les Soviétiques investissent Babrak Karmal, l’autre homme fort du parti communiste afghan, lequel présente son gouvernement deux jours plus tard.

L’Union soviétique ne semble pas s’inquiéter des vigoureuses condamnations venant des pays occidentaux, arabes et des Nations unies, ainsi que des fortes mesures de rétorsion comme l’embargo sur les équipements de haute technologie et des produits agroalimentaires, ou le boycott des Jeux olympiques de Moscou.

L'URSS poursuit le déploiement des forces atteignant vers la mi-janvier 90 000 hommes disposés dans les grandes villes et sur les points névralgiques pour contrôler les principales voies de communication.

À Kaboul et dans les autres zones urbaines, la population est sous étroite surveillance. Les intellectuels, les journalistes, les artistes et tous ceux qui ne sont pas considérés comme favorables à cette intervention sont menacés, arrêtés, torturés et emprisonnés.

Kacem Fazeli, ancien conseil juridique du gouvernement de Hamid Karzai, puis l’ambassadeur de son pays à Prague et auprès de l’Unesco, se souvient encore des jours où la peur au ventre et la colère étouffée dans la gorge, il se rendait à l’université de Kaboul.

Professeur et directeur du département du droit pénal, il est chaque jour témoin de « la présence de plus en plus pesante des soldats soviétiques sur le chemin et autour de l’université ».

Un jour, très contrarié et affligé par ce « spectacle d’occupation », il partage ce sentiment avec l’un de ses collègues, et ensemble, ils tentent de créer un mouvement de résistance au sein de la faculté de droit et au-delà au sein de l’université. Quelques jours plus tard, les hommes en armes arrivent chez lui, l’arrêtent et le conduisent au centre d’interrogation de la police politique pour lui signifier de se taire et se soumettre.

« Dès le lendemain, raconte-t-il, chaque jour dans les couloirs de l’université, un jeune homme, probablement un étudiant, différent de celui des jours précédents, s’approche pour me menacer et dire que tous mes actes sont surveillés. »

La pression s'accroît chaque jour, rendant la poursuite du travail, et même de vivre, difficile. Kacem prend le chemin de l’exil, « passant par les montages et les vallées » pour se réfugier en France.

Comme lui et comme Sima, durant les dix années d’occupation soviétique, au moins 5 millions d'Afghans sont contraints de quitter le pays. Trois millions d’autres sont déplacés à l’intérieur du pays. Dans les années 1980, la moitié des réfugiés dans le monde sont des citoyens afghans.

Sur le plan militaire, l’Armée rouge détient la maîtrise du ciel. Mais au sol, elle ne contrôle que les grands centres urbains et les grands axes de communication. À partir de 1986, les moudjahidines qui contrôlent quatre cinquième du pays reçoivent par les États-Unis les missiles antiaériens Stinger mettant en péril les aéronefs soviétiques. Ce qui modifie sensiblement l'issue de la guerre.

Mikhaïl Gorbatchev, alors secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, commence par mettre fin aux grandes opérations de l’armée à partir de janvier 1987, avant d’envisager son retrait total.

Pour ce faire, il a rappelé, en novembre 1986, Babrak Karmal à Moscou, laissant sa place à Mohammad Chamkani, lequel est remplacé 10 mois plus tard par Mohammad Najibullah. Le nouveau président est chargé d’entamer des négociations avec les moudjahidines pour préparer les conditions du retrait soviétique.

Ce retrait s’achève le 15 février 1989 à 11h30, lorsque le général Boris Gromov, commandant en chef des forces soviétiques en Afghanistan, traverse le « pont de l’amitié » à Hairatan, sur la frontière entre les deux pays.

Les dirigeants de l’Union soviétique ne se sont rendu compte de l’impossibilité de gagner cette guerre que près d'une décennie après l’avoir commencée. L’indignation de la population, lors des arrivées de cercueils de soldats tués, le rapatriement des blessés, l’effort financier insoutenable pour poursuivre le conflit, et surtout la prise de conscience de son inutilité, ont contraint le pouvoir soviétique à se retirer de ce bourbier.

« Le Comité central a été inondé de lettres demandant qu’on arrête la guerre. Elles étaient écrites par les mères, les femmes et les sœurs des soldats […] Des officiers se déclaraient incapables d’expliquer à leurs subordonnés pourquoi nous combattions, ce que nous faisions là-bas et ce que nous voulions obtenir », avouait en 2003 l’ancien président soviétique Mikhaïl Gorbatchev.

L’URSS, en décidant de lancer cette invasion, a balancé aussi ses soldats « dans de la lave en fusion », écrira plus tard le colonel des parachutistes, Vladimir Savitskiy.

Dans un entretien au Nouvel Observateur, Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter (1977-1981), déclare : « Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j'ai écrit au président Carter » pour lui dire : « Nous avons maintenant l'occasion de donner à l'URSS sa guerre du Vietnam. »

Pendant les 110 mois de guerre, l’Union soviétique a déployé au total 620 000 militaires en Afghanistan. Selon les chiffres officiels de la Russie, au moins 15 400 soldats ont été tués et 50 000 blessés.

Le nombre des tués atteint 26 000 hommes, selon le Bureau de l’histoire de l’état-major russe, si on y intègre des soldats morts d’accidents ou de maladies. La CIA estime qu'en tenant compte de tous ceux qui ont été tués au combat, d’accidents, de maladies ou de suicides, le nombre atteindrait 50 000 personnes.

L’Armée rouge a perdu aussi 800 avions et hélicoptère et 1 500 chars dont les carcasses rouillées sont encore éparpillées presque partout sur le territoire afghan, rappelant la stupidité de cette guerre.

Par son malheur humain, sa faillite politique, son échec militaire et son coût financier de plus de 30 milliards de dollars pour Moscou, elle a selon les mots du politologue russe Alexeï Bogatourov, « torpillé l’unité de la société soviétique » et contribué à l’effondrement de l’URSS. Le congrès des députés du peuple de l’URSS, en 1989, a qualifié l’incursion d’Afghanistan de « désastreuse aventure ».

Mais le désastre a surtout frappé l’Afghanistan. Les Soviétiques lui ont laissé comme héritage l’hydre de guerre qui, 30 ans après leur départ, tue les personnes, décime les espoirs, dévaste le territoire et rejette encore la population sur les chemins de l’exil.

Le pouvoir communiste, qui a résisté trois ans de plus après le retrait soviétique, s’est effondré le 16 avril 1992 sous les coups d’une coalition composée de plusieurs groupes de résistants, lesquels n’ont pas tardé à mettre à sac la capitale et à se livrer à une guerre fratricide.

Durant la guerre soviétique, 20 000 soldats gouvernementaux et environ 90 000 moudjahidines afghans ont perdu la vie. La guerre a laissé aussi 75 000 blessés dans les rangs des combattants.

Mais ce sont les pertes civiles qui auront été particulièrement désastreuses : les estimations varient de 562 000 à 2 millions de personnes tuées par la guerre durant cette période.

L’imprécision du chiffre et le grand écart entre les estimations est un affront à l’histoire et à chacune de ces vies éteintes violemment dans l’indifférence et le silence. Elles ne sont même pas recensées, seulement estimées. Sans nom, sans visage, peut-être sans tombe.

La photo posée sur la cheminée de Sima, 40 ans après sa prise, lui rappelle chaque jour dans la douleur ce que fut cette guerre terrible. De quoi la laisser avec ses nombreuses questions, toutes résumées en un seul mot : pourquoi ?

Sima est convaincue que des centaines de milliers d’autres photos, certaines ternies et craquelées, d’autres éclatantes et radieuses, évoquent la même vérité à ceux qui les gardent, à ceux que les regardent. Et tous - enfants, épouses, mères, pères - posent les mêmes questions avec le même mot : pourquoi ?

Ces dix dernières années, les conflits en Afghanistan auraient fait plus de 100 000 victimes civiles, en comptant les personnes tuées et blessées. Des chiffres annoncés jeudi par le responsable de la mission de l'ONU dans le pays, qui établit un comptage très précis.

L'Afghanistan est en proie aux violences perpétrées par plusieurs groupes armés, dont les talibans, qui sont en pourparlers avec les États-Unis pour le retrait de leurs soldats installés depuis 2001. Depuis l'invasion soviétique, le pays n'a connu que des guerres.

 Quand les Soviétiques ont envahi l’Afghanistan en décembre 1979, ils ont vraiment enclenché un mécanisme absolument terrifiant qui se poursuit. Pour être intervenu dans beaucoup de pays en guerre depuis longtemps, on sait que la guerre a sa propre logique et que sortir de la guerre, c’est très compliqué. On était dans un pays qui se développait doucement mais sûrement. On était dans un pays dont le régime était une monarchie parlementaire. Le roi a été renversé par son cousin et par les deux partis communistes afghans, qui finalement ont perdu pied puisqu’ils étaient ultra-minoritaires dans le pays. Il y a eu une sorte de jacquerie un peu partout dans les campagnes, dans les villes, et l'Union soviétique est venue à leur secours, parce que le régime allait tomber. Et là, on est entrés dans un processus de guerre qui n’en finit pas. Aujourd'hui, après les Soviétiques, ce sont les Américains


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