ME KHASSIMOU TOURÉ, AVOCAT DU DÉFUNT KHALIFE DES MOURIDES : "CE QUE SERIGNE BARA M'A CONFIE...»

En tant qu’avocat du défunt Khalife général des Mourides, pouvez-vous nous parler de lui ?

Je commencerais par rendre grâce à Dieu le Miséricordieux de nous avoir gratifié d’un homme de la dimension et de la trempe de El Hadji Mouhamadou Lamine Bara Mbacké. Je présente mes condoléances les plus attristées à toute la Ummah islamique. Je trouve beaucoup de peine à parler du saint homme pour la bonne et simple raison que El Hadji Bara Mbacké est un immense champ où on peut trouver à redire. En réalité, mes relations avec El Hadji Bara Mbacké datent de très longtemps. Ce sont des relations qui remontent à celles qui ont été tissées et fortifiées par nos deux parents : son père Mohamadel Fadel Mbacké et le mien El Hadji Cheikh Touré. Ils avaient des relations cordiales, sincères. Des relations totalement dévouées à la Ummah islamique et à la communauté mouride en particulier. Ce n’est pas pour rien que l’aîné de ma famille porte le nom de Serigne Fallou Mbacké. Cela témoigne amplement des relations qui ont toujours existé entre la sainte famille de Cheikh Ahmadou Bamba et ma modeste famille. Je crois que c’est dans cette dynamique que, lorsqu’il a accédé à son Khalifat, j’ai eu le privilège à être appelé à ses côtés. Et, je précise, pour votre gouverne, qu’avant que Serigne Bara n’accéda au Khalifat, j’avais ces mêmes relations avec Serigne Saliou Mbacké, qui me confiait des missions ponctuelles. Donc, Serigne Bara n’a fait que continuer l’œuvre de Serigne Saliou Mbacké, qui était lui aussi un homme d’une extrême générosité. Un homme d’une extraordinaire sainteté, un homme d’une extraordinaire piété. C’est donc à l’accession de son Khalifat, qu’il m’a appelé pour me dire qu’il aurait souhaité que je lui sois utile modestement quelque part, dans ce que je connais le mieux : le domaine judiciaire. Et, ses proches, ses enfants en savent quelques choses. J’ai eu à gérer des dossiers très sensibles, très pointus pour Serigne Bara dans la plus grande confidentialité, dans la plus grande discrétion. Et donc, par devoir de mémoire, je ne vais pas étaler des dossiers qu’il m’avait confiés. Et que, grâce à Dieu, je suis parvenu, dans la plus grande discrétion, à gérer en bon père de famille et bien sûr avec sa sainte bénédiction.

Est ce que vous gérez de la même manière les dossiers que vous confiez Serigne Bara et ceux d’autres justiciables ?

Ça ne peut pas être de la même manière.

Pourquoi ?

Parce que ce sont des dossiers sensibles.

Qu’appelez-vous donc dossiers sensibles, ça renvoie à quoi ?

Ça renvoie à la discrétion qui doit entourer ces dossiers. Qui peut impacter sur le destin de beaucoup de personnes. Serigne Bara m’a reçu à toutes les heures. Il m’a reçu le matin, le soir, à des heures creuses, à plusieurs occasions pour que nous parlions de ces dossiers. Il m’a recommandé aussi des gens qui lui étaient très proches. Il me recommandait à d’autres Khalifes, mais qui sont tous sous la chapelle de Touba. Il me recommandait à des gens de Darou Mousty, des gens de Darou Salam, des gens de Serigne Massamba Mbacké. Bref, il me recommandait à beaucoup de gens pour que je traite leurs dossiers de la façon la plus efficace, et efficiente, mais le tout entouré, moulé dans le sceau de la confidentialité et de la discrétion.

Pouvez-vous nous en citer quelqu’uns?

C’est que ce sont des dossiers qui ne nécessitent pas beaucoup de bruits. Ce sont des conseils juridiques, c’est-à-dire, voir les perspectives et les sillages dans lesquels on doit mettre les pieds, pour résoudre un conflit latent. C’est de ça qu’il s’agissait. Mais il arrivait que les dossiers qui atterrissaient sur la place publique, me parviennent avec l’onction de El Hadji Lamine Bara Mbacké. Je peux vous donner un exemple patent. Il y a un de vos confrères de la place qui avait titré sur la famille de Serigne Bara. Lorsque la famille a voulu porter plainte, c’étais moi qui devais gérer ce dossier. Mais il s’est trouvé malheureusement que j’étais le conseil de ce groupe de presse, donc sur la gestion sage de certaines personnes ressources, je me suis rendu chez Serigne Bara pour lui dire : voilà je suis votre conseil juridique et le groupe de presse qui est en face est un groupe de presse que je défends et que j’ai toujours défendu. Lorsqu’il m’a demandé mon avis, je lui ai dit que j’aurais souhaité que ce dossier soit classé. Et avec sa bénédiction, et qu’on en parle plus parce que ça va créer des bouleversements, et que quel que soit Alpha si j’étais l’avocat du groupe de presse en question et que le dossier atterrit au tribunal, je me devais, moralement et socialement, de me ranger du côté de El Hadji Bara. Mais grâce à Dieu, à son onction et à sa générosité, je suis parvenu à faire en sorte qu’il n’y ait aucune poursuite judiciaire contre ce groupe de presse.

Peut-on avoir des noms de quelques personnes concernées par les dossiers ?

Il y avait des dossiers qui concernaient la communauté mouride, mais aussi d’autres dossiers qui concernaient ses propres affaires, pas au sens péjoratif du mot, mais des affaires sur lesquelles il avait un regard bien veillant et il me demandait quelle solution juridique disposait. Et grâce à Dieu, je parvenais à donner des solutions aux problèmes qu’il me posait. Ce qui m’a le plus ébloui chez Serigne Bara, c’est sa capacité de discernement. Il était une symbiose, un confluent de droits, de regard, de bienfaisance. Il puisait sur la pensée juridique de Cheikh Ahmadou Bamba. Il puisait aussi sur la pensée juridique du droit romain. Il faisait une symbiose entre le droit politique moderne et la pensée juridique de Cheikh Ahmadou Bamba qui existe. Je pense que les juristes mourides doivent plancher sur la pensée juridique de Cheikh Ahmadou Bamba qui est un terrain en friche. Cheikh Ahmadou Bamba était un grand juriste qui composait avec sa société et avec une société donnée, c’était son devoir de donner à la communauté qu’il a mise en place les règles qui lui permettaient de fonctionner. El Hadji Bara était un grand républicain. C’est quelqu’un qui croit en l’Etat. Quelqu’un qui croit aux règles de droit positif qui gouvernent un Etat. Ça aussi, c’est une dimension de la mondanité, de la générosité de Serigne Bara qui faisait appel au droit positif. Et il connaissait les règles de droit qui régissent une société moderne. Ça m’a toujours ébloui chez lui. C’est une autre image de Serigne Bara qui par-delà sa sainteté, sa générosité, sa naissance, sa stature, était un homme qui épouse son époque et qui sentait les pulsions de la population et les transmettait aux autorités compétentes. Pour dire que El Hadji Lamine Bara était une chance pour l’Humanité.

Par exemple y a t-il des dossiers qui vous ont marqués?

Avec le temps, l’occasion se présentera. Mais pour le moment, je suis vraiment gêné de dire les dossiers qu’il m’avait confiés. Ce n’étaient pas des dossiers en instance de juridiction, mais des dossiers qui nécessitaient des avis. Il m’appelait et me posait des problèmes et je répondait avec la plus grande courtoisie, pour qu’il puisse savoir où aller. De manière générale, lorsqu’on lui faisait savoir que lorsqu’il fait telle chose sur le plan juridique, cela allait régler ses problèmes, il y répondait favorablement. Et dans ses actions qu’il posait chaque jour, je voyais ma modeste contribution.

Y avait-il des dossiers fonciers, judiciaires ?

Je suis au regret de ne pouvoir répondre à cette question.

Un dernier mot alors ?

Je voudrais prier pour le repos de l’âme de ce saint homme qui, en peu de temps, a beaucoup fait pour la Ummah  islamique, il insufflait une dynamique unitaire. Il a su faire une symbiose entre ce qui est spirituel dans la vie et ce qui est matériel. Il a su maîtriser la science ésotérique et la science matérielle. Ce qui est sûr et certain, c’est que son magistère a été d’un grand apport pour la communauté musulmane et la communauté mouride. Aujourd’hui, Touba a été modernisé en peu de temps. Il a toujours su gérer les conflits, casser les velléités des uns et des autres. C’était une personne vers qui tout le monde convergeait, car Serigne Bara était une solution. Nous prions Dieu pour que son successeur à qui toute la communauté a donné pleine confiance puisse continuer la dynamique qui a été commencée depuis Serigne Mouhamadou Lamine Mbacké, celui de faire fleurir la pensée de Cheikh Ahmadou Bamba, c’est de faire fleurir la pensée du Prophète Mouhamed (PSL), de faire en sorte que la vie sur terre soit une prière pour l’au-delà. Car, tous les dignes fils de Bamba inscriront leurs actions dans cette dynamique qui est salutaire non pas uniquement pour les mourides, mais aussi pour l’Humanité entière.