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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Politique

[ CONTRIBUTION ] Me Wade et le diplôme

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[ CONTRIBUTION ] Me Wade et le diplôme
PAR Ibrahima SOW
Me Wade croit-il au diplôme ? Cette question peut paraître plutôt absurde devant la fierté que manifeste l’intéressé quand on étale son CV, et surtout après sa récente sortie sur les « sous-diplômés » de l’opposition. À l’entendre regretter que Tanor, apprenti-géomètre, n’ait accédé à l’Enam que grâce à la politique, que Niasse n’ait qu’une licence en droit, que le diplôme de journalisme de Dansokho soit douteux, et surtout à voir l’emphase - sans doute simulée - qu’il met dans la présentation de ses maîtrisards et docteurs, on est tenté de croire qu’il attache un certain intérêt aux titres universitaires. Ce n’est pas si évident. Reste à savoir pourquoi.

Avant d’y revenir, sans doute convient-il de relever que sous d’autres cieux, ce serait tout à l’honneur de Tanor et des autres, par exemple Cheikh Tidiane Sy, Diakaria Diao etc. de gravir les échelons et de se retrouver aux cimes à force d’efforts, après avoir dû, pour une raison ou une autre, interrompre les études au niveau du Bepc/Bfem, ou même parfois du Cepe. Sous celui wadien, ces gens-là seraient des moins que rien. Pourtant, un sympathique gouverneur, ancien secrétaire dactylographe, très différent de notre président, aimait dire sa fierté d’être « monté par l’escalier », en tant qu’administrateur, admis à l’Enam par concours professionnel (comme, sauf erreur, l’actuel directeur de cabinet du président, Diakaria Diao, et d’autres célèbres hauts fonctionnaires qui ne valent pas moins que dix Me Wade réunis…), de n’avoir rien à envier à ceux qui étaient montés par l’ascenseur, et qui par conséquent étaient loin d’avoir son expérience. Les universitaires, les vrais, ont beaucoup de mérite certes, mais les « carriéristes » travailleurs, sérieux et consciencieux sont aussi dignes de respect.

Quant aux Dansokho et Niasse, c’est le Sénégal qui a de l’estime pour le premier, tel qu’il est, avec ou sans diplôme, y compris dans les rangs du Pds, n’en déplaise à la seule constante, « Frère Suprême », celui-là qui, ridiculisant aujourd’hui la petite licence du second, en a apprécié autrement le poids des 17% un jour de mars 2000 ! Me Wade, pour revenir à lui, entretient avec le diplôme un rapport compliqué. Sans doute a-t-il aimé collectionner, et a-t-il effectivement collectionné de nombreux certificats, licences et autres titres qui ne tiendraient pas dans une cantine. Mais, en même temps, il affiche mépris et dédain à l’égard de tout autre diplômé que lui. Les diplômes différents des siens ne sont rien ; ceux qui ont les mêmes diplômes que lui ne sont de toute manière pas à sa hauteur. Quelle logique ! Parlez-lui de Senghor, et vous êtes surpris de sa réaction, très éloignée de l’admiration vouée à ce grand Monsieur, autant au Sénégal qu’à l’étranger : « celui-là, ce n’est qu’un poète qui ne connaît rien à l’économie… »

Deux explications pourraient être retenues à cela. D’abord, Me Wade ne peut admettre que quelqu’un brille quelque part. Personne n’a oublié comment il a privé notre pays du poste qu’occupait Moussa Touré à l’Uemoa. C’était plus fort que lui ; un Sénégalais, qui ne lui doit rien de surcroît, être à cette station, le désappointe. Tout le monde se rappelle aussi combien il a souffert, et continue sans doute de souffrir, de l’élection de Abdou Diouf à la tête de la Francophonie. Ainsi, ce qui compte pour notre président, ce ne sont point les titres ou les compétences, mais le rapport de dépendance des « sujets » à Sa Majesté. Vous pouvez tout avoir, encore faut-il lui faire sentir, avec dévotion, que vous lui devez tout, et qu’elle - Sa Majesté - a sur vous droit de vie et de mort, pour vous avoir « créé ». Qu’on ait des aptitudes avérées ou qu’on n’en ait aucune, c’est pareil. Si on sait acquiescer quand il discourt, relayer ses « goanas » (promesses mirobolantes incroyables et sans lendemain), vanter sa « vision » et contenir sa colère, on a les principales qualités pour être son collaborateur. Ce qu’il ne peut supporter, c’est qu’on ait sa personnalité, son style propre et sa dignité, en plus de qualifications reconnues.

La deuxième explication pourrait être liée aux diplômes mêmes de Me Wade. C’est connu, le président est avocat ; c’est aussi connu qu’il est économiste et a enseigné à l’Ucad. Or, comme avocat, un de ses grands défenseurs actuels a eu à soutenir que « durant sa longue carrière, il n’aurait pourtant jamais remporté de procès d’envergure ». À vrai dire, on n’entend pas beaucoup parler de Me Wade comme d’un grand ténor d’aucun barreau. Quand il a été concerné par de grands dossiers, il y a rarement - sinon jamais - joué les grands rôles. Comme économiste et professeur, très peu nombreux sont les étudiants qui vantent son enseignement. Aussi rares sont ses maîtres, professeurs ou condisciples qui ont témoigné sur le brillant élève ou camarade qu’il aurait été. En plus, qu’a-t-il à se donner tant de mal à sortir des livres et des formules maintenant qu’il a tant à faire, ayant le pays sur les épaules ?

Évidemment, on s’expose moins à la critique de pairs et d’étudiants à la présidence qu’à l’université. Ainsi, malgré ses diplômes, Me Wade serait-il aussi brillant qu’il veut bien le faire croire ? Quoi qu’il en soit, l’homme, lui, se connaît. Au fond de lui, il sait ce qu’il vaut. Me Wade est seul à savoir pourquoi, élu selon une constitution et des lois, donc on ne plus formellement, et bardé de diplômes, c’est-à-dire de « reconnaissances formelles » de niveau de qualifications, il se proclame « le premier informel du pays ». Quelqu’un qui le connaît moins que lui-même, mais qui lit entre les lignes ou « entend entre les mots », peut voir là un stratagème pour cacher ou excuser des carences. Chaque diplômé sait comment il a obtenu ses titres. Le respect qu’il leur voue est proportionnel à ce « comment ». Si c’est au bout d’un travail soutenu et honnête, sans triche, ni « taaba-taaba », aucun problème. Au cas contraire, le diplômé n’a en réalité aucun respect pour ses titres, même s’il ne peut pas le clamer tout haut ; un tel sujet vit constamment une situation peu enviable : il aura tendance à classer les diplômés dans deux catégories : 

  celle de ceux qui peuvent avoir fait comme lui, et qu’il assimile au « tappalekat » qu’il est lui-même,
  et celle des sérieux, honnêtes et travailleurs, donc nécessairement meilleurs que lui.

Les psychologues ou autres psychiatres pourraient sûrement donner un nom à un tel cas. Pour un profane, si cela n’est pas un double complexe de culpabilité et d’infériorité, ç’en n’est pas éloigné. Osons simplement souhaiter que notre président ne souffre pas d’une telle pathologie. Thiès, mai 2008



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