Procès des 20 milliards de Sudatel : Latif bute sur le degré d’implication de Thierno Ousmane Sy

il aura fallu plus de dix tours d'horloge pour vider le contentieux qui oppose Abdou Latif Coulibaly à Thierno Ousmane Sy. Ainsi, à l'issue de l'audience spéciale lors de laquelle le journaliste - écrivain a reconnu la paternité de ses écrits, la vérité judiciaire sur l'affaire des 20 milliards de commissions du Sudatel sera livrée au peuple sénégalais, le 16 novembre 2010.

Vingt milliards de commissions de Sudatel : Thierno Ousmane Sy et Kéba Keinde au cœur du scandale. Ce titre qui a barré la Une de l'hebdomadaire La Gazette dans sa livraison datant du mois de juin dernier constitue aujourd'hui la source du conflit entre le directeur de publication dudit canard, Abdou Latif Coulibaly, et le conseiller en Tic du président Wade, Thierno Ousmane Sy.

Dans ce dossier où notre confrère dénonçait une ‘magouille’ et une ‘vaste opération de corruption de dirigeants de haut niveau’, trois articles jugés diffamatoires et mettant en cause Thierno Ousmane Sy et Keba Keinde, directeur général d'une compagnie de pétrole basée à Dubaï, ont été publiés dans les colonnes de l'hebdomadaire précité. A cette occasion, un éditorial signé par le dirpub de La Gazette et intitulé Au service de la vérité, faisait état du rôle central de Thierno Ousmane Sy dans le paiement des commissions. Les autres articles signés par ses deux reporters Alioune Badara Coulibaly et Alioune Niane évoquent une ‘opération de corruption’ ainsi que la ‘complicité des autorités sénégalaises’ qui a permis à Sudatel de remporter la compétition sur l'appel d'offre pour l'attribution de la troisième licence de téléphonie mobile.

Abdou Latif Coulibaly reconnaît la paternité de ses écrits basés sur des ‘preuves matérielles’ pour déterminer l'implication de Thierno Ousmane Sy dans le processus de délivrance de la licence à Sudatel. Dans ce procès où notre confrère a eu droit au soutien d'une importante frange de la population, Abdou Latif Coulibaly s’est voulu clair : ‘Nous n'avons jamais écrit que Thierno Ousmane Sy a perçu de l'argent sur les 20 milliards de commissions de Sudatel. Nous avons seulement dit qu'il est impliqué dans le processus de transaction ayant conduit à la délivrance de la licence, parce qu'il était chargé de piloter le projet’. Le journaliste - écrivain fonde sa conviction sur ses ‘sources fiables et crédibles et confirmées par des documents techniques’. Abdou Latif Coulibaly a été défendu par un collectif composé de sept avocats (Assane Dioma Ndiaye, le Français William Bourdon, Aly Fall, Mame Adama Guèye, Ciré Clédor Ly, Ndèye Fatou Touré, Djiby Diallo) qui ont demandé la relaxe.

Pour sa part, Thierno Ousmane Sy estime que les accusations portées sur sa personne relèvent de ‘contrevérités’. Lui qui est d'avis que l'attribution de la licence s'est déroulée dans la transparence va même jusqu'à révéler que ladite licence, qui est la plus chère en Afrique noire et de celle des pays comme l'Afrique du Sud et le Nigeria, a été vendue à 89 milliards Fcfa (200 millions de dollars), contrairement au montant de 100 milliards avancés. S'expliquant sur le choix porté par l'Etat du Sénégal sur Sudatel, le conseiller spécial du président Wade parle de ‘réputation sérieuse’ d’une boîte qui n'a pas de ‘conflit juridique’, favorise ‘la création d'emplois massifs’ et contribue ‘à la croissance économique’ du pays, entre autres. Thierno Ousmane Sy, qui estime avoir été atteint dans son honneur en tant que personne investie d'un ministère de service public, réclame cinq milliards ainsi que la publication du jugement dans un certain nombre de journaux paraissant à Dakar, ainsi qu'à l'hebdomadaire Jeune Afrique.

La vérité sur cette affaire sera connue à la date du 16 novembre 2010.

Le Sénégal dans sa diversité investit le temple de Thémis : Latif gagne le pari de la mobilisation

Après plusieurs renvois, le procès du journaliste Abdou Latif Coulibaly contre le conseiller en Technologies de l’information et de la communication du président de la République, Thierno Ousmane Sy, s’est finalement tenu hier. C’est vers les coups de 10 heures que le procès dit de la ‘révélation’ a démarré pour tirer en longueur jusque tard dans la soirée. Ce procès a connu une innovation de taille avec l’intrusion des Tic en pleine salle d’audience.

Un peu avant 8 heures, la salle où doit statuer le tribunal régional en matière correctionnelle est bondée de monde. Difficile de se frayer un passage. L’extérieur du nouveau palais de justice Lat Dior est envahi par une horde de policiers qui veillent au grain. A l’intérieur, deux camionnettes remplies de gendarmes sont postées. Le hall central est envahi par un nombre important de personnes venues suivre le procès. La salle ne pouvant les contenir, nombre d’entre elles sont massées aux alentours de la salle devant abriter le procès. Au niveau de chaque porte, sont postés deux gendarmes qui filtrent les entrées.

Pour les reporters venus couvrir la manifestation, c’est la croix et la bannière pour accéder à la salle d’audience. L’intérieur de la salle d’audience est transformé pour la circonstance en une véritable arène où s’élèvent les cris du bouillant avocat, Me El Hadj Diouf de la partie civile. La salle, quant à elle, refuse de contenir tout ce monde qui s’y était donné rendez-vous. Les couloirs, les étagères du parvis sont occupés par cette marée humaine, venue soutenir Abdou Latif Coulibaly. Certains gagnés par la fatigue s’accroupissent ou s’assoient à même le sol.

On a aussi noté la présence d’hommes politiques (Moustapha Niass, Abdoulaye Bathily, Jean Paul Dias, Cheikh Tidiane Gadio), des membres de la société civile (Bara Tall), des universitaires, des patrons de presse, etc., tous venus prêter main forte au journaliste-écrivain. Devant la barre du tribunal correctionnel, sont postés la partie civile avec Thierno Ousmane Sy et les prévenus, à savoir Latif Coulibaly, le responsable principal, et ses deux complices Alioune Niane et Alioune Badara Coulibaly. Vêtu d’un costume sombre de couleur bleu marine, Latif est resté zen tel un bonze durant l’interrogatoire d’audience. Devant les interpellations du président du tribunal, de ses assesseurs et des avocats de la partie civile comme de la défense, il a tenté de prouver la véracité de ses écrits. Mieux, avec la projection de ‘mémoire de défense’, projeté sur le mur du tribunal, il a su servir un cours magistral pour démontrer avec véhémence qu’il y a bel et bien eu une malversation dans l’attribution de la troisième licence de téléphonie.

Sa défense, assurée par un pool avocats, dont Mes Assane Dioma Ndiaye, Mame Adama Guèye, Aly Fall, etc., a fasciné le public et le tribunal de par la pertinence des questions posées, soit à leur client soit à la partie civile. Le bouillant avocat, Me El Hadj Diouf et son confrère François Sarr ont parfois provoqué l’hilarité dans la salle par l’incohérence de leurs questions. Me Diouf a ainsi créé des incidences d’audience qui auront valu deux suspensions d’audience. Mais il s’est aussi attaqué à sa consœur député Ndèye Fatou Touré par des propos on ne peut plus discourtois.

Réactions…Réactions…Réactions…

Pr Malick Ndiaye, Société civile : ‘L’Etat devrait s’autosaisir…’

‘L’Etat devrait s’autosaisir, car il connaît la vérité d’avance. Notre pays a reculé d’une trentaine d’années. Me Wade doit assumer ses responsabilités et qu’on arrête de harceler, de vilipender et de discréditer la conscience des hommes de la trempe de Latif. Nous avons un problème de liberté avec les harcèlements qui sont faits à l’encontre des journalistes. Ce qui constitue un musellement de la capacité de recherche pour la bataille de la liberté. Ce pays a besoin de l’audace conduit par des gens incarnés par des personnes comme Latif’

Moustapha Niass, Secrétaire général de l’Afp : ‘Le Sénégal n’est pas seulement l’affaire des hommes politiques’

‘Abdou Latif Coulibaly est un petit frère et un ami. Latif est un fouineur qui a su montrer les actes malhonnêtes qui se déroulent dans notre pays. Le Sénégal n’est pas seulement l’affaire des hommes politiques, les autres comme Latif Coulibaly doivent s’y mettre pour faire éclater des vérités. Cette affaire qui nous réunit aujourd’hui est une petite affaire parmi tant d’autres…’

Mamadou Lamine Diallo, Mouvement Tekki : ‘Le travail abattu par Latif est un travail d’émergence citoyenne’

‘Le travail abattu par Latif Coulibaly est un travail d’émergence citoyenne. Car il a essayé de lever les zones d’ombre sur l’attribution de la troisième licence de téléphonie. Je pense bien que c’est un travail qu’il va continuer à faire pour instaurer la vigilance citoyenne’

Abdoulaye Bathily, Secrétaire général de la Ld/Mpt : ‘Cette affaire a terni l’image du pays’

‘Je soutiens Abdou Latif Coulibaly parce qu’il est courageux. Il fait le travail que nous les hommes politiques ne pouvons faire (…) Ce qui est clair, c’est que Latif a raison d’avoir mis à nu le système gouvernemental avec comme illustration l’affaire Sudatel. C’est inadmissible qu’un conseiller du chef de l’Etat pilote une affaire aussi importante que la vente de la 3e licence de téléphonie en dirigeant les industries de l’Etat. Ce qui est étonnant dans ce dossier, c’est qu’on ne voit pas le gouvernement, le ministre compétent, pas l’Agence de régulation des télécommunications et des postes. Il y a un manque total de transparence. On ne convainc personne, car selon ses dires c’est 200 millions de dollars pas 89 milliards de Fcfa. Le reste de l’argent est où ? Et dans quelle banque ? Quel que soit le verdict, cette affaire a terni l’image du pays et ça ne se terminera pas comme cela ! On n’y reviendra dans l’audit de la gestion de Wade. Les affaires de cette nature, on le compte par milliers. Le peuple sénégalais se fera justice au-delà de la justice. Parce que je n’ai pas confiance en cette justice qui est dévoyée.’